LE BUSINESS CONTROVERSÉ DE LA NEIGE

Les jours sont de plus en plus courts, il fait de plus en plus froid et les premiers flocons font leur apparition sur les sommets. Cela ne fait plus aucun doute, l’hiver arrive !

Le début du mois de novembre a été marqué par de fortes chutes de neige en altitude, permettant aux stations de ski de bénéficier d’un bon manteau neigeux à une période de l’année où la plupart des stations accueillent leurs premiers clients. Bien moins plébiscités que les vacances d’été, les sports d’hiver restent néanmoins une valeur sûre en terre helvétique, le ski demeurant un des sports nationaux. Le charme des montagnes enneigées attire chaque année de nombreux curieux, qu’ils soient skieurs, snowboardeurs, baroudeurs ou simplement à la recherche d’un grand bol d’air frais. Les stations d’altitude proposent une large gamme d’activités allant du simple cours de ski à la location de motoneige, en passant par le casino ou les spas.

Pour la grande majorité d’entre elles, les stations font le plein de décembre à mars, au point que les remontées mécaniques suisses réalisent 78% de leur chiffre d’affaires en hiver. Nous verrons que leur succès dépend pour beaucoup de la météo mais qu’au delà de la classique recette ‘’soleil-poudreuse‘’, les stations ont su tirer profit de nouvelles activités et accueillir une nouvelle clientèle étrangère. Malgré un chiffre d’affaires avoisinant les 709 millions de francs rien que pour la saison d’hiver (2014/2015), les exploitants des remontées mécaniques suisses souffrent de plus en plus : le manque de subventions, le vieillissement de la population, le réchauffement climatique et la concurrence entre les destinations y étant pour beaucoup.

L’engouement pour l’or blanc

Depuis toujours, la neige fait parler d’elle : elle excite les plus petits, agasse les travailleurs et passionne les plus âgés. En Suisse, l’attrait pour la neige et les sports d’hiver remonte à plus de cent cinquante ans.
En 1864, c’est dans la station de St-Moritz (canton des Grisons) qu’apparaissent pour la première fois les activités hivernales, à la suite d’un pari fou entre un hôtelier prénommé Johannes Badrutt et ses hôtes anglais persuadés que le climat ne pouvait être aussi agréable en hiver qu’en été. L’hôtelier, sûr de lui, leur promis de leur offrir le séjour dans le cas où ils n’apprécieraient pas leur escale hivernale, ce qui bien évidemment ne fût pas le cas.
C’est également à St-Moritz qu’apparurent les premiers éclairages électriques de Noël en 1878, le premier tournoi de golf dans les Alpes quelques années plus tard et enfin l’un des premiers téléskis de Suisse inauguré en 1935.

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La station de St Moritz (GR)

Aujourd’hui, la Suisse compte environ cent cinquante stations et possèdent, avec plus ou moins 40%, la part la plus importante de skieurs parmi ses habitants. L’hiver et le ski font partie intégrante de la culture locale. Des plus jeunes aux plus âgés, tout le monde y trouve son compte.

Le tourisme suisse mise aujourd’hui sur la venue d’autres touristes et tout particulièrement la clientèle asiatique (notamment les chinois), à la recherche de services alliant luxe et qualité durant leur voyage en Europe.

Fini les voyages de groupe, le séjour personnalisable est désormais la norme, et les domaines skiables l’ont bien compris, en engageant des professeurs de ski chinois !

Selon un rapport international sur le ski, même si moins d’un pourcent des chinois pratiquent ce sport, les stations semblent plutôt satisfaites des chiffres liés à cette nouvelle clientèle. Souvent, le passage des touristes chinois en Suisse n’est qu’une étape de leur circuit en Europe, mais le pouvoir d’achat des voyageurs asiatiques reste le plus élevé du monde et profite à l’ensemble des pays qu’ils traversent : le chocolat et les montres suisses, notamment !

Nombreuses sont les stations suisses qui ont su implanté ce luxe au cœur de leur domaine, à l’instar d’Engelberg (dans le canton d’Obwald), dont la boutique « Swiss Lion » se revendique être la boutique d’horlogerie et de souvenirs la plus haute du monde.

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La boutique ‘’ Swiss Lion ‘’ en contrebas du sommet du Titlis

La commune de St-Moritz (GR) a également misé sur l’aéroport de Samedan-Engadin, le plus haut d’Europe (1707 m), permettant aux riches vacanciers d’affluer à bord d’avions privés.

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L’aéroport de Samedan-Engadin près de St-Moritz (GR)

Enfin, nombreuses sont les boutiques de luxe à s’être implantées dans les stations d’altitude. Nous pourrions nommer à cet égard la marque de textile Moncler à Gstaad (BE), à Crans-Montana (VS), Zermatt (VS) ou à Verbier (VS), le bijoutier Bucherer à St-Moritz (GR) ou encore la maison française de maroquinerie Louis Vuitton présente dans la plupart des stations citées précédemment.

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La boutique Louis Vuitton à Crans-Montana (VS)
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La boutique Hublot à Zermatt (VS)

Un regain d’attractivité

L’innovation est au cœur des défis des exploitants d’aujourd’hui, pour attirer toujours plus de clients. Qu’ils soient étrangers ou que ce soit des locaux, il faut être plus performant et plus attrayant que son voisin de versant. La station de Saas-Fee (VS) a récemment voulu donner un coup de fouet à son exploitation puisqu’elle propose jusqu’à la fin du mois de novembre une offre en collaboration avec (entre autre) Raiffeisen et les Car Postal permettant d’obtenir des abonnements pour la saison d’hiver aux remontées mécaniques pour une durée de 1, 3 ou 15 ans à des prix imbattables. Près de 46’000 cartes ont déjà été commandées grâce à cette offre.

Un peu plus loin, à Tenna (GR) : les exploitants ont eu le désir de fonctionner à l’énergie verte puisqu’on y trouve le tout premier téléski au monde alimenté à l’énergie solaire. Exposés au sud, les modules solaires permettraient de produire 90’000 kWh par année (dont 22’000kWh servant au fonctionnement du téléski), le surplus étant revendu au réseau d’utilisateurs de la région.

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Téléski alimenté à l’énergie solaire à Tenna (GR)

Cependant, malgré les différentes activités de base qui rythment les stations de ski aujourd’hui, les jeunes générations se désintéressent peu à peu de la montagne et les professionnels n’ont d’autre choix que d’élargir leur clientèle.

Avec les contraintes liées à la météo, ils tentent peu à peu de créer une offre autour du ski pour à terme entendre les gens se demander : « Tu montes à la montagne ce week-end ? » et non plus « Tu montes skier ce week-end ? ».

Les stations travaillent désormais côte à côte avec de nouveaux acteurs. À l’instar de Crans-Montana, Davos, Gstaad et de Verbier qui ont su devenir des lieux où la musique et la beauté du paysage se mélangent. L’organisation Modernity Events organise des festivals un peu partout dans les Alpes suisses, et installe une bulle transparente qui fait office de piste de danse, où plusieurs centaines de personnes danseront au rythme des plus grands noms de la scène techno internationale. Les personnes travaillant derrière ce projet sont par ailleurs les mêmes que celles derrière le Polaris Festival, nouveau festival né l’an dernier à Verbier, rassemblant là aussi la crème des DJ’s techno internationaux et dont la prochaine édition se tiendra du 8 au 11 décembre prochain.

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La scène de Modernity lors du ‘’Caprices Festival’’ à Crans-Montana (VS)

L’innovation se retrouve parfois même directement sur les pistes ou non loin de ces dernières. Aux Mosses (VD) par exemple, il est possible de faire de ‘’la plongée sous glace’’ dans les eaux du Lac Lioson, perché à 1’850 mètres d’altitude. Une fois sous l’eau, les plongeurs guidés par un fil d’Ariane découvrent le spectacle magique qu’offre l’eau claire du lac, le jeu de lumières que propose les bulles formées par la glace et les quelques poissons restés là.

Un plongeur s’aventurant sous la glace des eaux du Lac Lioson (VD)
Un plongeur s’aventurant sous la glace des eaux du Lac Lioson (VD)

Autre activité pour le moins surprenante : ‘’ Le Yoga on Snow ‘’ là encore à St-Moritz (GR). Il est possible pour les adeptes de cette pratique venue d’Inde de s’y essayer sur la neige au travers de différentes approches.

"Yoga on Snow" à St-Moritz (GR)
« Yoga on Snow » à St-Moritz (GR)

Pour un futur toujours aussi incertain

Ce business qui à première vue peut paraître aussi prospère que fleurissant, connaît aujourd’hui de nombreux freins. À commencer par les contraintes météorologiques. Chaque année, le réchauffement climatique se fait de plus en plus sentir en altitude et les exploitants des stations de ski redoutent le manque de neige. Depuis trente ans, le taux d’enneigement dans les Alpes a ainsi diminué de 30% en moyenne.

Pour le moment, les professionnels ont trouvé la parade en utilisant de la neige artificielle, mais cela à un coût : on estime à plus de 40’000.- par jour les coûts liés à l’enneigement d’un grand domaine skiable.

Autre frein à l’économie du ski, le vieillissement de la population. C’est un fait et selon une étude française, ces vingt dernières années, plus de 10% des jeunes de moins de 20 ans ont délaissé les pistes de ski, remplacés par les plus de 50 ans. A terme, cette évolution posera un problème de relève.

De plus, la faible internationalisation de ce secteur rend son expansion difficile, ce dernier ne représentant que 3 à 4% du marché touristique mondial. La grande majorité des skieurs proviennent généralement des régions proches des zones où la pratique des sports d’hiver prend place. La sphère de recrutement peine ainsi à s’élargir et le moins que l’on puisse dire, c’est que le secteur du tourisme ne manque pas de concurrents. Comme dit précédemment, la Suisse compte environ 150 stations mais la concurrence ne les oppose pas uniquement entre elles. Les destinations plus exotiques comme les Caraïbes offrent durant la même période de l’année la mer et le soleil pour des prix identiques si ce n’est inferieurs à ceux des sports d’hiver.

Les touristes vont de moins en moins skier et les prix y sont pour beaucoup. C’est en Suisse que l’on trouve les tarifs les plus chers, avec un prix moyen de 70.- pour un forfait adulte d’une journée dans une grande station, la Suisse étant 20.- plus chère que ses voisins italiens, autrichiens ou français.

Prix forfait journée adulte plein tarif saison 2014/15 (en CHF) dans les stations top 10

Enfin, l’avenir des stations est toujours aussi incertain en raison des coûts qui sont engendrés par l’exploitation d’un domaine skiable. Rares sont les sociétés de remontées mécaniques capables de couvrir leurs coûts d’exploitation, d’amortir leurs investissements passés et d’épargner suffisamment pour garantir le renouvellement et la modernisation de leurs installations. Quant aux mieux gérées, elles parviennent parfois à soutenir l’ensemble de leurs coûts d’exploitation mais ne dégagent pas suffisamment de profits pour financer les investissements futurs. La plupart des stations sont subventionnées par la confédération, les cantons ou les communes mais les mécènes ont aussi un rôle à jouer comme l’homme d’affaires Ernesto Bertarelli à Gstaad. Malheureusement, bien trop souvent, de grands écarts se creusent entre les stations dans ces aides.

Coûts totaux par jour pour un grand domaine skiable

Le secteur de l’or blanc ne vit donc pas pour l’instant ses dernières heures mais les différents défis que lui pose l’avenir le rendent plus que jamais instable.

 

Corentin Pfeiffer

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