¡Cataluña dada vuelta!

Le 30 septembre dernier, les catalans ont de nouveau affirmé leur désir d’indépendance. La violence des épisodes marque un tournant dans leur combat.

Le référendum

Les catalans se sont exprimés le samedi 30 septembre 2017 à 90% en faveur de l’indépendance catalane, avec une abstention de 57,6%. Le même jour, les autorités catalanes faisaient état de 91 blessés et de 761 personnes accueillies dans les hôpitaux et les centres de santé de toute la région. Avant même la tenue du referendum, « Madrid avait fait valoir l’inexistence de la souveraineté du peuple catalan et le fait que la loi de référendum viole huit articles de la Constitution, dont l’article 2 qui entérine le principe d’unité indissoluble de la nation espagnole ». Carles Puigdemont, président de la région, signe le mardi 10 octobre l’indépendance de la catalogne qu’il suspend immédiatement après en vue d’un dialogue avec Madrid.

Les différences avec l’État Fédéral

La volonté d’indépendance de la Catalogne repose sur l’idée que la Catalogne est un État avec sa propre langue, sa propre culture et sa propre histoire (bien qu’elle ne fût jamais un État à proprement parler indépendant). Bien qu’ancien, le mouvement indépendantiste catalan repose aujourd’hui principalement sur des arguments économiques. La région de 7,5 millions d’habitants, qui compte environ 16% de la population espagnole, contribue pour environ 18% au PIB espagnol, génère 21% des recettes fiscales de l’Espagne mais ne reçoit que 11% des investissements publics du pays. Le déficit fiscal de la région, calculé selon la méthode des flux monétaires, est communément estimé à environ 16 milliards d’euros, soit environ 8% du PIB de la Catalogne. Le système de redistribution des recettes fiscales entre l’État et les communautés autonomes espagnoles est considéré inéquitable dans la mesure où il ne respecte pas le principe d’ordinalité: le classement des régions selon la richesse par habitant avant redistribution se trouve fortement altéré après redistribution, la Catalogne étant, par exemple, rétrogradée du quatrième au onzième rang des 17 communautés autonomes[1]. Aujourd’hui, la Catalogne est indépendante du point de vue de la police, de l’éducation, de la santé, de la sécurité, des services sociaux, et possède bien sûr son propre parlement. Elle n’est en revanche pas indépendante en termes de défense, de politique internationale et de fiscalité[2].

Un marathon à l’indépendance

À partir des années 2000, la lutte pour d’indépendance de la Catalogne s’intensifie. En 2006, l’autonomie de la région est renforcée par un nouveau statut adopté par le parlement espagnol. En 2010, suite à la demande des conservateurs, la cour constitutionnelle abroge 14 articles du nouveau statut d’indépendance, annulant le concept de « nation catalane » et rejetant l’usage du catalan comme « langue préférentielle ». Cette annulation est perçue comme une trahison par un bon nombre de catalans et renforce le sentiment indépendantiste. En 2014, la Catalogne organise une consultation symbolique sur son indépendance et le « oui » obtient 80% des votes, mais la participation plafonne à seulement 33% des inscrits. En 2015, l’ensemble des partis indépendantistes obtiennent aux élections régionales 47,6% des voies et deviennent, pour la première fois, majoritaires en termes de sièges dans le parlement catalan. Carles Puigdemont devient le président de la région en 2016 et annonce la tenue d’un referendum pour l’automne 2017.

L’Europe face à l’Espagne divisée

Le referendum catalan soulève une pléthore de questions, voire d’enjeux, au niveau européen aussi. Tout d’abord quel organe pourrait réagir et avec quelle légitimité? Jean-Claude Juncker, président de la Commission Européenne, déclarait qu’ « il est évident que si un oui à l’indépendance de la Catalogne voyait le jour, nous respecterions ce choix ». De ce point de vue, le leader européen apparait presque en contradiction avec lui-même quand il déclare le 13 octobre dernier dans son discours à l’université du Luxembourg que « si nous permettons à la Catalogne – et cela ne nous regarde pas – de se séparer, d’autres vont faire la même chose. Je ne veux pas ça. »[3]. Pour ensuite conclure : « Je ne veux pas d’une union qui consiste en 98 pays »[4].

D’autre part, si la Catalogne venait à devenir indépendante, son avenir européen ne serait pas acquis de facto : « un État né d’une sécession au sein de l’UE ne serait pas automatiquement considéré comme faisant partie de l’UE. Il faudrait consulter la Commission et le Parlement, obtenir un vote du Conseil européen à l’unanimité et faire ratifier un accord d’adhésion par tous les États membres » déclarait l’ancien président de la Commission européenne Romano Prodi en 2004.

Reste alors pour l’Union Européenne le rôle de médiateur, certes toujours sans légitimité démocratique, mais qui pourrait arranger les deux parties. Alors que l’Europe pourrait bien connaitre la crise de confiance la plus impétueuse depuis sa création, il n’en reste pas moins qu’elle bénéficie toujours d’une autorité tacitement recherchée car synonyme de sécurité. Mais pour que l’Europe intervienne, ne serait-ce qu’en tant que médiatrice, il faudrait que les deux parties soient d’accord. Or le gouvernement catalan, craignant un favoritisme en faveur de Madrid, qui est la seule garante d’une Europe inchangée, risque de se montrer réticent à l’égard de Bruxelles. Pour le moment, la Commission européenne a appelé pour la première fois au dialogue et a condamné l’emploi de la violence comme « instrument en politique », en prenant soin de ne pas froisser Madrid[5].

Tant d’enjeux qui ne sont pas directement liés à l’Union Européenne mais qui la touchent. C’est que ce genre de crise semble éternellement remettre en question son rôle, sa légitimité, son autorité. La crise catalane renvoie implicitement la balle dans son camp : que se veut-elle? Le contexte dans lequel a émergé l’idée européenne a largement changé : plus de guerre, plus d’anéantissement économique, plus de haine entre les peuples. Mais son idiosyncrasie reste inchangée : les pays qui la constituent ont trop en commun. Leurs histoires sont trop liées, leurs cultures sont trop complices.

« D’une certaine façon, l’UE est une institution faite pour les temps heureux. Tant que tout va bien, elle fonctionne bien. Mais dès qu’un problème surgit, elle rencontre d’énormes difficultés pour se positionner et agir. »

Stefani Weiss, directrice du bureau bruxellois de la fondation Bertelsmann

À nous de montrer que l’Union Européenne n’est pas seulement une institution pour les « temps heureux ».

Iason Tsaldaris

Sources

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ind%C3%A9pendantisme_catalan http://www.lemonde.fr/international/article/2017/09/29/catalogne-a-j-2-avant-le-referendum-sur-l-independance-comprendre-les-enjeux-du-scrutin_5193225_3210.html http://www.euronews.com/2017/10/13/the-eu-can-t-mediate-in-spain-if-only-one-side-asks-for-eu-mediation-eu https://wwwfr.uni.lu/universite/actualites/diaporama/leading_european_politicians_discuss_the_eu_s_future_with_students https://www.tdg.ch/monde/europe/crise-catalane-menace-union-europeenne/story/25599709