L’Europe à l’ère de l’indépendantisme

Nos démocraties sont en crise. De la Catalogne à l’Écosse, les mouvements indépendantistes semblent gagner en importance. Les manifestations sévèrement réprimées par la police espagnole en Catalogne sont encore dans toutes les têtes, alors que le Royaume-Uni cherche à gagner son indépendance de l’Union européenne sans grand succès. Si le Brexit est un cas particulier, il a néanmoins réactivé ou renforcé la volonté d’indépendance de l’Écosse et de l’Irlande du Nord. La Corse, le Pays basque et, outre-Atlantique, le Québec n’échappent pas à l’influence de ces mouvements indépendantistes, bien que plus faibles dans ces régions. Une volonté d’indépendance flotte sur l’Europe et semble prête à faire éclater certains équilibres nationaux.

Indépendantisme, séparatisme ou nationalisme ?

Ces trois notions se recoupent et sont souvent utilisées à tort, or il est important d’en connaître les subtilités. L’indépendantisme peut être défini comme la revendication d’indépendance d’une entité plutôt homogène possédant un territoire particulier (une région demandant l’indépendance) ou une population spécifique (une colonie, par exemple), voire les deux en même temps. Le séparatisme diffère de l’indépendantisme en cela qu’il s’agit ici d’une attitude, d’un acte ou d’une tendance à sortir d’un ensemble national. Les manifestants seront donc des séparatistes, alors que les indépendantistes n’auront « que » la revendication d’indépendance, même si les séparatistes sont généralement aussi indépendantistes. On peut considérer que la séparation est le passage obligé de la revendication à l’indépendance effective.

Le nationalisme est une notion qui traverse les deux concepts précédents, car il s’agit d’un mouvement politique qui souhaite se doter d’un État souverain sur la base des caractéristiques que partagent une communauté et, par extension, rejeter ceux qui ne partageraient pas ces caractéristiques. Si le nationalisme a permis de créer les États-nations modernes en rejetant l’ordre établi de l’Ancien Régime, il est aujourd’hui l’apanage des partis et mouvements d’extrême-droite, avec des revendications telles que la préférence nationale à l’emploi ou une politique d’immigration particulièrement stricte.

Les indépendantistes sont souvent en accord avec les arguments des nationalistes, même si tous ne sont pas nécessairement xénophobes. Il s’agit simplement, pour eux, de créer une nouvelle entité, partageant des caractéristiques communes et ayant le sentiment d’appartenir au même ensemble, qui ne serait pas représenté par l’État auquel ils appartiennent actuellement.

Pourquoi être indépendant ?

Au vu de la situation européenne actuelle, on peut légitimement se demander pourquoi et comment certaines régions sont devenues des ados en crise, réclamant à leurs « parents » davantage d’indépendance. Si l’on comprend la distinction entre les différentes notions précédemment évoquées, on voit se dessiner un début d’explication quant à la prédominance des mouvements indépendantistes.

Tout d’abord, le discours populiste des nationalistes tente de rassembler une communauté plutôt homogène autour d’un même sentiment d’appartenance, par exclusion des autres, ce qui contribue à alimenter la volonté d’indépendance de l’opinion publique. Cela amène à une notion importance en sociologie politique, l’identité nationale. Ce concept rassemble les caractéristiques culturelles, historiques, linguistiques, ethniques, et bien d’autres, que partage une communauté qui s’identifie comme appartenant à un État. Or, lorsque l’identité nationale devient moins forte que l’identité régionale, l’indépendantisme peut se créer une place dans l’opinion publique. C’est le cas notamment de la Catalogne, où le peuple se sent davantage catalan qu’espagnol.

Des raisons historiques peuvent aussi être évoquées pour expliquer qu’une partie d’un État souhaite son indépendance, les régions tardivement annexées étant moins susceptibles d’avoir une identité nationale forte. Un autre élément explicatif peut parfois se trouver du côté économique, avec des régions économiquement fortes qui ne souhaitent plus être solidaires, comme la Catalogne ou même le Royaume-Uni et les autres pays qui regrettent parfois de servir de « locomotive » de l’Union Européenne, par opposition à des pays ou régions moins productives.

Notons toutefois que l’indépendantisme est une menace souvent plus présente dans les États fédéralistes, où les États fédérés ont déjà une certaine autonomie et souvent une identité régionale forte. Un Länder en Allemagne a donc davantage de risques de vouloir s’affranchir de Berlin qu’un département français ne souhaiterait le faire par rapport à la capitale, bien que cette condition, au même titre que toutes celles précédemment évoquées, ne suffise pas à expliquer seule les mouvements séparatistes.

Enfin, un élément extérieur peut agir de déclencheur dans un contexte relativement calme, comme l’a fait le résultat du vote sur le Brexit, ravivant les tendances séparatistes presque oubliées de l’Écosse ou de l’Irlande du Nord.

Et en Suisse ?

La question de savoir si un canton pourrait quitter la Confédération peut sembler farfelue en Suisse où l’on ne connaît pas de grande manifestation séparatiste, et pourtant elle est tout à fait légitime. En effet, même si cela semble actuellement peu probable, il est envisageable qu’un canton décide un jour de quitter la Confédération. Dans un système fédéraliste aussi décentralisé, l’identité cantonale prime largement sur l’identité nationale. Qui n’a jamais pensé que le canton de Vaud n’avait rien en commun avec Appenzell Rhodes-Intérieures, ou que le Valais et le canton de Zurich étaient comme le jour et la nuit ? Avec une telle diversité, l’État fédéral doit, depuis ses débuts, composer avec les différentes entités pour éviter de perdre des membres en cours de route.

Mais si un canton voulait réellement exprimer sa volonté de nous quitter, il lui faudrait pour cela modifier la Constitution fédérale, ce qui passe nécessairement par un référendum obligatoire exigeant la double majorité du peuple et des cantons. Autrement dit, pour qu’un canton quitte la Suisse, il doit obtenir l’accord de l’ensemble du peuple suisse et de la majorité des cantons. Dans ce cas, il est fort probable que les cantons au moins refusent cette scission et que cela amène à des scènes de révolte comme on les voit aujourd’hui à travers toute l’Europe. A la vue de ces perspectives plutôt pessimistes, mieux vaut se réjouir que le seul mouvement séparatiste de Suisse soit celui de Moutiers qui souhaite uniquement changer de canton, et encore, cela semble plutôt difficile à mettre en pratique.

Deborah Intelisano