Biélorussie – fin de la dernière dictature européenne ?

Après plus de 30 jours de protestations suite à une probable fraude électorale, les Biélorusses s’opposent à la réélection de leur président, Alexandre Loukachenko, en fonction depuis le 20 juillet 1994.

Afin de pouvoir mieux appréhender la situation où parfois plusieurs dizaines de milliers de manifestants, vêtus de rouge et de blanc, défilent dans la capitale biélorusse, penchons-nous sur ce dernier quart de siècle sous le régime Loukachenko.

L’ascension du président biélorusse ne débute qu’un an avant la dissolution de l’URSS, en 1990, au moment où il gère une ferme d’État. Les élections de 1994 marquent son arrivée au pouvoir. En 1996, sa présidence est prolongée jusqu’en 2001. Les premières contestations apparaissent alors et sont d’ores et déjà accompagnées de présages d’autoritarisme telle que la proscription de l’opposition des médias. S’en suit une nouvelle série de mandats : en 2001, 2006, 2010, 2015 et enfin en 2020.

Cette suite de mandats incarne un contrat tacite que Loukachenko signe avec son peuple, une promesse de sécurité. Une partie de la population biélorusse est née sous un État autoritaire, ce qui favorise l’inculcation de cette idéologie. L’État providence, le peu de subventions pour l’économie et l’agriculture, le manque de privatisation qui contraste avec les fonctions publiques importantes, sont le prix à payer pour la prospérité du pays. La Biélorussie est alors considérée comme l’un des pays les plus « prospères » des anciens membres de l’URSS et permet au président d’appuyer son engagement.

Son autoritarisme est accompagné de côtés plus sombres : propagande, emprisonnements de leaders d’opposition, disparitions et enquêtes entachées d’irrégularités telle la disparition très curieuse du cameraman de Loukachenko, Dzmtry Zavadski, en 2000.

Les élections de 2020 sont marquées par une opposition historique. Après l’emprisonnement de son mari et opposant au régime, Svetlana Tikhanovskaya, ancienne professeure d’anglais, endosse sa candidature lors de l’élection présidentielle. Son but est d’incarner en sa personne la transition politique du pouvoir en promettant au peuple biélorusse la libération des prisonniers politiques, mais surtout, des élections démocratiques.

Bien que Loukachenko l’ait sous-estimée, Svetlana réussit à rassembler la population jusqu’alors démobilisée, à susciter de l’enthousiasme, mais surtout un réel et profond espoir.

Le 9 août 2020, Loukachenko annonce une fois de plus sa réélection. Selon les résultats officiels, celui-ci détenait le 80,08 % des suffrages. Ce résultat est totalement aux antipodes de ceux reportés de certains bureaux de vote au sein desquels l’opposante détenait le 70 % du vote. De là, naquirent des rumeurs de substitution d’urnes et de pression sur les bureaux de vote, et, par conséquent, des manifestations.

Quotidiennement, des dizaines de milliers de personnes se sont unies pour s’opposer à cette réélection. Bien qu’au début pacifistes, ces dernières ont été violemment réprimées par les autorités.

Les manifestants sont accueillis avec des grenades assourdissantes, des balles en caoutchouc et des coups. Violences injustifiées sur mineurs et personnes âgées, détentions injustifiées, humiliation, tortures, viols, emprisonnements et disparitions sont les réponses utilisées par les forces de l’ordre pour contrer les manifestations.

Dans un pays où les femmes sont le sujet de discours misogynes par leur propre président, les manifestations tout comme l’opposition politique ont été menées par des femmes. Les principales figures sont évidemment Svetlana Tikhanovskaya, mais aussi Veronika Tsepkalo, épouse, elle aussi, d’un opposant au régime forcé à l’exil. Sans oublier Maria Kolesnikova, la dernière femme du trio à être restée en Biélorussie grâce à un ultime mouvement de contestation. Cette dernière a déchiré son passeport à la frontière de l’Ukraine pour empêcher son expulsion. Elle est depuis poursuivie pour des « actions visant à porter atteinte à la sécurité nationale de la Biélorussie » et pourrait être condamnée à 5 ans d’emprisonnement.

En usant de leur « immunité » face aux forces de l’ordre, les femmes, main dans la main, vêtues de blanc, forment des chaînes humaines pour protéger les manifestants masculins des violences des forces de l’ordre.

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D’autres leaders d’opposition sont, quant à eux, comme à chaque élection, chassés. Tikhanovskaya a fui la Biélorussie pour rejoindre ses enfants en Lituanie. Son mari, lui, est toujours emprisonné.

Prédictions

En contraste avec le presque silence des États-Unis, Angela Merkel, chancelière de l’Allemagne, a exprimé de vifs doutes quant à la conduite de l’élection.

La Russie et la Chine ont exprimé, sans surprise, leur soutien. Pourrions-nous imaginer une aide plus prononcée de la part de son voisin ?

Nous pouvons en douter… La menace russe n’est que peu plausible. La Russie est secouée depuis juillet dernier par d’importantes manifestations à l’est. Une intervention pourrait inspirer la population russe à imiter la cohésion des manifestants de son pays limitrophe et par conséquent se propager dans le pays, où la popularité du président est déjà en baisse.

Le scénario le plus probable serait une intervention modérée, suivie d’un abandon de poste dilué dans le temps qui affaiblirait les manifestations sans donner l’impression que la « rue » l’a emporté. De par son règne autocratique et les actes graves qui ont été commis, la chute de Loukachenko entraînerait avec lui la fin de son impunité judiciaire.

Des certifications et garanties pour son entourage ainsi que pour lui-même seront éventuellement réclamées.

« Nous avons déjà tenu une élection. Sauf si vous me tuez, il n’y en aura pas d’autre ! » – Alexandre Loukachenko

De plus, il est dans l’intérêt de l’Europe et de la Russie que la Biélorussie reste dans la zone d’influence russe. Sans ces rapports, la Biélorussie ne serait que très peu intéressante au niveau économique, car très dépendante de la Russie.

Pour l’instant, Loukachenko possède un certain degré de légitimité bien qu’il ait perdu l’appui de ses citoyens. Sans l’aide de son voisin et la quasi-certitude de sanctions de l’Ouest, la chute de Loukachenko se fait pressentir.

Mais ne remarquons-nous pas, à travers cette colère et ses échos, une première victoire remportée sur la crainte de ne jamais pouvoir imposer sa voix ?

Lilou Gaudin

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