Les psychédéliques : le remède de demain. Rencontre avec l’association PALA

Utiliser des champignons hallucinogènes ou encore du LSD pour soigner des pathologies mentales et somatiques sera probablement dans quelques années monnaie courante dans l’univers médical et psychothérapeutique. Si je vous avais dit cela il y a 20 ans, vous ne m’auriez pas cru. Pourtant les psychédéliques sont bien un des sujets les plus prometteurs de la recherche actuelle. D’ailleurs l’état américain de l’Oregon et la ville de Washington seront appelés à se prononcer le 3 novembre, en même temps que l’élection du président des États-Unis, sur une dépénalisation de la consommation des champignons hallucinogènes ainsi qu’une autorisation pour utiliser la psilocybine dans un cadre thérapeutique pour traiter la dépression, l’anxiété et les stress post-traumatique. L’association PALA, Psychedelics Association of Lausanne for Awareness, a été créée dans le but de sensibiliser les étudiants et les étudiantes de l’université de Lausanne à la question de l’usage thérapeutique et médical des psychédéliques. Nous avons pu rencontrer ses deux fondateurs : Federico Seragnoli, psychologue diplômé de l’UNIL qui travaille en cabinet privé ainsi qu’aux HUG où il participe à une étude dans laquelle du LSD est administré à des patients dans un cadre légal et hospitalier. Et Adam Armani qui, après avoir fini son bachelor en psychologie à l’UNIL, entreprend un master en psychologie clinique à l’Université de Fribourg.

Pouvez-vous présenter votre association ?

L’association a été créée il y a un an, bien que ses statuts aient été officiellement validés mercredi par l’UNIL ! Elle a été fondée dans deux buts : vulgariser les recherches concernant l’usage thérapeutique des psychédéliques et faire de la prévention concernant le mésusage de ces substances dans un cadre récréatif. La majorité des membres de l’association sont des étudiants en psychologie, mais nous essayons d’ouvrir l’association aux questions anthropologiques, ethnobotaniques et autres questions sous-jacentes aux psychédéliques. Nous sommes la première association universitaire suisse à traiter de ce sujet-là.

Comment procéder lorsqu’on administre des psychédéliques dans un cadre thérapeutique ?

Normalement, lorsqu’on utilise des psychédéliques dans un cadre psychothérapeutique, il y a deux notions phares : le set et le setting. Le set, c’est la condition spécifique de la personne à ce moment-là de sa vie : ses sentiments, son expérience de vie, les enjeux qu’il veut toucher lors de l’expérience. Le setting c’est plutôt le cadre dans lequel on administre les psychédéliques. Le setting comprend un suivi psychothérapeutique avant, pendant et après la prise de substance. Lors de toute la durée de la prise de substance, le patient est toujours accompagné de deux psychothérapeutes. À ce moment-là, la personne est couchée sur un lit les yeux fermés avec de la musique dans les oreilles pour lui permettre de rentrer dans une expérience introspective et intime. Dans les jours et semaines qui suivent, le patient va pouvoir décortiquer l’expérience avec son psychothérapeute. Le raisonnement et l’intégration de ce qu’elle a vécu lors de cette expérience est cruciale pour la personne. C’est pour cela que l’aspect thérapeutique est absolument nécessaire à l’expérience psychédélique : il permet de promouvoir les retombées cliniques positive grâce au processus de l’intégration de l’expérience.

Existe-t-il des risques liés à l’usage des psychédéliques dans un cadre thérapeutique ?

Actuellement, des études sont menées sur des populations de patients atteints de différents troubles psychiques en Suisse et dans le monde. La sélection de participants est très spécifique et c’est pour cela que les risques et les effets adverses sont presque inexistants dans le cadre clinique. Cependant, dans le cadre récréatif, non contrôlé, l’usage de ces substances peut avoir des conséquences négatives sur certaines personnes en empirant par exemple leur état de santé mentale, dû au manque de supervision et à un setting inadéquat (comme une grande fête par exemple). De plus, bien que le lien ne soit pas complétement établi par la recherche, tout participant avec un historique familial de troubles psychotiques (schizophrénie, bipolarité, etc.) est exclu systématiquement de peur de « réveiller » le trouble avec la prise de substance. Bien que le contexte de recherche universitaire soit très sécurisant pour les précautions qui sont prises, un setting adéquat ne devrait pas transmettre une sensation d’« hospitalisation ». En cela, il faudrait considérer des aspects du décor de la pièce, utiles à éveiller la sensibilité du sujet par exemple avec des tableaux où figurent des éléments en lien avec la Nature. C’est de cela que nous pouvons nous inspirer et, par exemple, considérer les rituels chamaniques en Amérique du Sud, où il y a toute une procédure d’accompagnement des personnes lors de leur prise de substance.

Y-a-t-il des psychopathologies particulières qui ont été étudiées dans le cadre du traitement ?

Actuellement, le fer de lance de la recherche psychédélique, c’est les syndromes post-traumatiques (PTSD) traités avec de la MDMA, où l’on est à la fin de la dernière phase d’essais cliniques pour les substances. Les résultats sont prometteurs, pour des pathologies sévères et résistant aux traitements. D’ici 2022 au maximum, cela devrait être légal de prescrire des thérapies psychédéliques à quelqu’un qui souffre d’un PTSD, aux USA. Une autre voie très prometteuse et le traitement de la dépression résistant aux traitements traditionnels par la psilocybine : dans une étude de l’Imperial College à Londres, des personnes ayant ce trouble depuis en moyenne 17 ans voient une rémission complète de leurs symptômes à 3 mois de la séance de psychothérapie psychédélique. Il commence aussi à y avoir de la recherche sur les troubles somatiques comme les migraines ou les douleurs chroniques ainsi que sur les troubles alimentaires ou les addictions. L’université John Hopkins (USA) a d’ailleurs réalisé une étude très prometteuse sur l’addiction au tabac sur des fumeurs qui avaient fait au moins 6 essais infructueux pour arrêter (psychothérapie, hypnose, patches etc.). À 6 mois, 80% des participants ne fumaient plus contre 25% dans un traitement classique. De plus il faut quand même préciser que, dans tous les essais thérapeutiques avec des psychédéliques, on est systématiquement obligés de manière légale de prendre des patients avec des formes sévères du trouble.

Dans les études sur la question, les chercheurs se sont concentrés sur l’administration d’une substance : la psilocybine. Qu’a-t-elle de particulier ?

Les psychédéliques sont une catégorie de psychotropes : on y retrouve le LSD, la psilocybine, la DMT, la mescaline, etc. Ces substances ont un commun effet : faire vivre à la personne un changement d’état de conscience. Elles sont toutes des agonistes de la sérotonine, leurs molécules sont semblables. La psilocybine est une substance psychoactive qui se trouve dans la classe des champignons hallucinogènes. La psilocybine n’est pas toxique pour l’organisme, comme pour tous les psychédéliques qui se retrouvent en bas de l’échelle de toxicité et d’addiction des drogues (bien en dessous de l’alcool et du cannabis). Il n’existe pas de cas d’overdose avec les psychédéliques. En effet, il y a eu des cas, dans un cadre récréatif, où des personnes ont pris par erreur des dizaines de fois la dose recommandée. Elles ont eu une expérience très intense certes, mais sans pour autant mourir ou connaître des séquelles importantes, contrairement à l’alcool et la nicotine où, avec une dose pareille, c’est la mort assurée. Les hallucinogènes classiques possèdent une toxicité physiologique remarquablement faible et ne sont pas associés à des dommages aux organes, à la cancérogénicité, à des déficits neuropsychologiques durables ou à des décès par surdose. De plus, les psychédéliques ont un pouvoir neuro-psychoplastogénique sur le cerveau, c’est-à-dire qu’ils contribuent à la croissance de dendrites et de connexions des cellules neuronales. La prise de psychédéliques va augmenter la sécrétion de la protéine BDNF (brain-derived neurotrophic factor) qui permet au cerveau de créer des connexions et de stocker de la nouvelle mémoire. Ainsi certaines recherches explorent les bénéfices que pourraient avoir les psychédéliques sur les personnes souffrant d’Alzheimer. Cette psychoplastogenèse favorise aussi le changement de schémas mentaux par le biais de ces nouvelles connexions (on est capable de penser selon un nouveau schéma), ce qui peut être d’une grande utilité dans le cas de nombreuses pathologies caractérisées par une rigidité de la pensée comme les phobies ou tout simplement au niveau de la créativité. Enfin, le temps d’action de la psilocybine est d’environ 4 à 6 heures, ce qui est relativement court par rapport à d’autre psychédéliques comme le LSD qui tourne autour des 12 heures et permet donc un gain de temps considérable pour les psychothérapeutes.

Pensez-vous que les psychédéliques puissent remplacer les médicaments, en étant moins nocifs pour la santé et moins addictifs ?

Les psychédéliques vont permettre de limiter l’usage de médicaments dans certaines pathologies. Cependant, dans certaines pathologies, les médicaments peuvent avoir un réel effet. De plus les psychédéliques n’agissent pas du tout de la même manière que les médicaments. Les médicaments vont atténuer un symptôme, alors que les psychédéliques ont un effet de soin en traitant des aspects plus profonds de la maladie, au niveau neurologique et psychologique. Les psychédéliques vont largement augmenter la capacité à être connecté à l’expérience subjective du patient alors que des médicaments comme les benzodiazépines vont réduire son vécu affectif ce qui lui enlève des outils d’intégration de l’expérience et réduisent ses chances de guérir à terme.

Comment est-ce que fonctionne la législation sur l’usage de psychédéliques dans un cadre de recherche ? Où en est la Suisse par rapport aux autres pays ?

On a certains pays, comme les Pays-Bas par exemple, où la psilocybine est légale. En Suisse, la psilocybine, comme les autres psychédéliques, est illégale, cependant elle peut être autorisée dans le cas de pathologies graves et résistantes aux divers traitements qui doivent être demandées par les psychothérapeutes et psychiatres à l’OFSP en demandant une autorisation spécifique pour chaque patient. Il y a aussi plusieurs universités en Suisse (Bâle, Genève, Zurich) qui ont le droit d’utiliser ces substances dans un cadre clinique de recherche. Cependant, certains pays comme la France sont très en retard sur ces questions-là, nous espérons que la recherche romande puisse amener son voisin à s’ouvrir sur le sujet des psychédéliques.

Vous êtes tous les deux étudiants en psychologie, abordez-vous la question des psychédéliques en cours, ou le sujet est-il trop délicat ?

Non, globalement nous n’avons aucun cours traitant de cela dans notre cursus et la question n’est presque jamais abordée en cours. Les psychédéliques sont même parfois mis au même rang que les opiacés. Nous nous sommes rendu compte lors d’un événement que nous avons organisé à l’université de Lausanne que les étudiants étaient vraiment surpris de découvrir tous les usages des psychédéliques. Surtout que nous ne parlons pas d’une technique marginale de soin, mais bien d’un domaine qui se situe à la pointe de la recherche et qui est en train d’amener un nouveau paradigme jamais vu au niveau de la santé mentale. L’objectif de cette association est aussi de pallier ce manque de connaissances à propos des psychédéliques dans le milieu universitaire.

La question de l’usage de psychédéliques dans un cadre thérapeutique reçoit-elle un bon accueil chez les professionnels et chercheurs de la santé mentale ?

Pour avoir parlé de cela dans des contextes académiques et professionnels différents, les gens adoptent une neutralité, un scepticisme scientifique sur la question, ou alors leurs réactions sont complétement négatives. Ces réactions sont souvent liées à la mauvaise réputation historique de ces substances. Il faut quand même préciser que l’université de Lausanne a mis environ un an pour valider nos statuts, en nous demandant de nombreuses informations complémentaires, nous avons dû créer un comité d’éthique en mobilisant des personnes extérieures à l’association. Nos statuts ont même dû passer par la Faculté de psychologie alors que normalement les facultés ne sont pas touchées par cela. Cela pose donc la question du rapport de l’université, normalement garante de la scientificité, avec ces questions-là, certes sensibles, mais à la pointe de la recherche scientifique.

Alors que la question de l’usage thérapeutique et la légalisation/dépénalisation du cannabis fait de plus en plus d’acquis en Suisse comme ailleurs, comment expliquez-vous que les psychédéliques, bien que moins nocifs, ne soient pas aussi bien perçus par la société ?

Si les gens étaient des agents parfaitement rationnels, cela se saurait. La méfiance peut être due à divers facteurs, comme par exemple la connaissance d’une prise de psychédéliques qui s’est mal passée ou l’étiquette historiquement donnée à ses substances.

Concernant le débat légalisation/dépénalisation, c’est une question qui divise beaucoup la recherche. Avec la légalisation ou même la dépénalisation de ces substances, il n’est pas certain que le bon sens guide les gens au niveau du set et du setting, il est évident qu’il y aura des problèmes dans la consommation récréative.

Cependant, certains avancent qu’utiliser ces substances uniquement dans un cadre médical dénaturerait les psychédéliques en les réduisant à un aspect médical. On a aussi un autre risque avec la légalisation, c’est au niveau de la sphère du travail. Les travailleurs pourraient être amenés à utiliser des micro-doses de psychédéliques pour booster leur créativité et leur productivité et ainsi avoir un avantage compétitif sur les autres. En effet, on le voit déjà maintenant, toute la sphère du développement personnel, de la méditation, etc., est récupérée dans une optique de productivité par le monde du travail. Enfin si l’on légalise les psychédéliques, il est possible qu’ils soient récupérés dans une optique de rentabilité par des entreprises privées, au détriment de l’expérience profonde des participants, et même au niveau de la qualité de l’expérience. Par exemple, en réduisant les heures de supervision dans une optique de profit, les conséquences peuvent être désastreuses sur les résultats thérapeutiques et sur l’expérience du patient. Il n’est pas envisageable de faire d’économie sur la qualité de l’expérience psychédélique. Toutes ces interrogations sur une légalisation des psychédéliques en font une question complexe, qui n’est pas tranchée et qui se réglera différemment selon les pays.

Interview réalisée le 22 Octobre

Jean Loye
Jean Loye
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