Ce mardi 23 février, la Fondation Jean Monnet pour l’Europe organisait une conférence sur la stratégie globale de l’Union européenne avec comme invitée de marque Federica Mogherini, ancienne Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et Vice-présidente de la Commission européenne. Ne connaissant ni le sujet de la conférence, ni l’intervenante, ma curiosité compulsive décida non seulement de suivre la conférence, mais également de vous en faire un bref résumé que voici.
Federica Mogherini est une politicienne italienne dotée d’une longue expérience. Membre du Parti démocrate (parti de centre-gauche italien), elle a notamment été ministre des affaires étrangères sous le gouvernement de Matteo Renzi avant d’être désignée en 2014 Haute représentante de l’Union Européenne (titre plus ou moins équivalent à cheffe de la diplomatie ou ministre des affaires étrangères) jusqu’en 2019. En 2020, elle devient rectrice du Collège d’Europe, un établissement supérieur présent à Bruges et à Varsovie, spécialisé dans les matières liées aux affaires européennes.
Elle a notamment été impliquée dans la création de la Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne (SGUE). Cette stratégie a été adoptée par les États-membres de l’UE en juin 2016. Dès le début de son mandat en 2014, Federica Mogherini commence à travailler à ce programme, car une première stratégie, alors limitée à la sécurité, avait été établie en 2003 par Javier Solana, premier Haut représentant. La situation était alors radicalement différente. En effet, à cette époque, le monde semblait aller dans une direction de développement et de croissance très différente de celle de 2014 : il n’avait pas encore connu la crise financière de 2008, ni d’ailleurs la crise migratoire. À ce moment-là, les conflits étaient bien moins prégnants qu’en 2014 : l’UE était dans un contexte de coopération plutôt positive avec la majorité de ses voisins. Dix ans plus tard, le monde était en proie à de nombreuses tensions avec certains partenaires internes et externes. Pour Federica Mogherini, il semblait donc évident de revoir de nombreux éléments de cette stratégie et de la compléter. Avec son équipe, elle a directement pensé à aborder cet exercice comme une stratégie globale, qui concerne non seulement l’UE et ses voisins, mais également le reste du monde. L’UE se pose comme un acteur ayant un rôle global : en effet, elle a un impact de l’Amérique latine à l’Asie, en passant même par la conquête de l’espace.
Cette stratégie globale a également amené une discussion importante sur la distinction entre la mise en avant des intérêts de l’UE d’une part, et de ses valeurs d’autre part. Certains, avec une vision pragmatique, étaient plutôt partisans d’une mise en avant des intérêts de l’UE, tandis que d’autres, mettant en avant son rôle dans un projet plus humanitaire (les droits de l’homme, notamment), prônaient plutôt la promotion de ses valeurs. La solution retenue et intitulée « principled pragmatism » (un pragmatisme de valeurs) est un véritable compromis entre ces deux visions, prônant une forme de synergie entre elles.
L’élaboration de la stratégie globale a suivi une méthodologie singulière en essayant de prendre en considération non seulement les États-membres de l’UE, mais aussi divers acteurs en son sein comme le monde académique, les ONG, certaines institutions et des syndicats, mais surtout en demandant à des États-tiers (non-membres de l’UE) leur vision concernant les actions de l’UE. Selon Madame Mogherini, indépendamment du résultat final, ce travail collectif très précieux a le mérite d’être salué, car il a tenté de prendre en compte les avis d’acteurs multiples et divers.
Quelques jours seulement avant la présentation de la stratégie globale, prévue en juin 2016, est survenu un événement pour le moins important : le Brexit était accepté par les Britanniques et le Premier ministre Cameron démissionnait. Malgré les demandes de report de la présentation, Federica Mogherini décida tout de même de présenter la stratégie en modifiant la préface. Selon elle, la perspective de la mise en œuvre de la stratégie a permis à l’UE d’acquérir un sentiment d’unité stratégique dans le but de guider l’action de l’Europe malgré la situation difficile. La stratégie globale était devenue un point de repère pour les États-membres avec comme bénéfice la capacité de se projeter dans le futur malgré l’effet Brexit.
La mise en œuvre de la stratégie globale a quant à elle été progressive, en commençant par la partie la plus visible : la défense. Contrairement aux craintes que suscitait le travail de mise en œuvre, le processus s’est réalisé de manière plutôt consensuelle, notamment avec la participation inattendue de la Grande-Bretagne, qui poursuivait pourtant en parallèle les démarches pour sortir de l’UE. Selon Madame Mogherini, ce travail commun de mise en œuvre a permis également d’outrepasser les difficultés liées au Brexit et à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.
Actuellement, l’UE est en train de réfléchir à des orientations stratégiques sur la sécurité et la défense, engendrées par l’adoption de la précédente stratégie. Selon la vision de Federica Mogherini pour le futur, la sécurité européenne et la politique étrangère ne seront pas spécialement mises à mal par la position hégémonique de l’OTAN et donc des États-Unis. En effet selon elle, l’idée du « avec nous ou contre nous », formule utilisée par George W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001, n’est plus d’actualité, car chaque pays dispose maintenant d’un agenda qui met le national avant le global : en d’autres termes, il s’agit de régler d’abord les problèmes internes avant de passer aux problèmes externes. De plus, selon Madame Mogherini, nous vivons dans un monde où les pays ont des alliances variables sur certains sujets avec des liens interchangeables : il existe donc une pluralité d’alliances globales sans aucune exclusivité entre États. Le discours de Federica Mogherini est donc un discours de multilatéralisme, qui veut favoriser la coopération entre les États par le développement de liens d’interdépendance entre eux. Dans cette optique, Federica Mogherini est favorable à des discussions même avec les pays où les relations diplomatiques sont compliquées, comme la Russie par exemple.
Enfin, lorsqu’est venue la question concernant les faiblesses de la politique étrangère de l’UE, Federica Mogherini répondit qu’à ses yeux, c’était le manque de confiance des Européens qui posait problème. Manque de confiance qui à mon sens est corroboré avec l’idée répandue dans l’esprit collectif qu’une forme d’opacité bureaucratique entoure les actions de l’Union européenne. Toutefois, l’Union européenne est encore jeune et semble avoir une longue vie devant elle pour apprendre et entreprendre les réformes nécessaires.
L’intégralité de la conférence est disponible ici.
Dans la même thématique, la rédaction vous propose les articles suivants :