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La révolution européenne, Partie 1 : Le capitalisme financier en crise

Cet article est le premier d’une série de deux articles qui traiteront d’un sujet à la fois économique et historique. Il s’agira d’aborder la question de la situation économique de l’Europe et de l’Amérique durant l’entre-deux guerre. Nous ferons également un détour par la crise de 1929. Quels en furent les causes mais aussi les réponses apportées ? Nous parcourrons la situation de l’économie du monde occidental incarné ici par les Etats-Unis, et cela sera le sujet du présent article, puis nous nous intéresseront dans le second article aux réponses apportées devant ces difficultés et particulièrement au cas de l’Allemagne qui, nous le verrons, adopta une approche tout à fait singulière. Le but sera de permettre au lecteur de prendre connaissance de la complexité et de la richesse des expériences économiques qui furent misent en pratique. Pour lire la seconde partie, cliquez ‘ici‘. 

La guerre de 1914-1918 qui terrasse l’Europe au début du XXème siècle est un évènement cataclysmique. Celui-ci rebat totalement les cartes de la domination mondiale. Peu à peu, les États-Unis émergent au détriment de l’Europe. Les hommes comme les infrastructures des pays touchés par la guerre ont été terrassés. L’Europe occidentale meurtrie a besoin de se reconstruire. En réalité, la guerre continue, une guerre diplomatique et économique cette fois-ci. Le but de cet article sera de brosser un portrait général de la situation dans cet Occident agité durant l’entre-deux guerre.

L’Amérique en expansion

Les États-Unis sont encore pauvres avant la Première guerre mondiale. Pendant ce temps, les pays d’Europe occidentale rayonnent sur le monde de par leur génie scientifique, commercial et militaire. Ce sont les capitaux européens qui irriguent l’Amérique pour lui permettre de bâtir sa future prospérité. Mais une fois la guerre passée, la tendance s’inverse. Francis Delaisi, économiste français et contemporain des évènements, nous donne des détails chiffrés sur les réalités économiques de l’époque. Ainsi, on apprend que les Américains débiteurs de l’Europe pour un montant de 5 milliards de dollars avant la guerre se retrouvent créanciers de l’étranger pour 18 milliards au sortir de la guerre.

L’âge d’or du capitalisme américain s’étend sur toute la durée des années 20 avant de prendre fin avec la crise financière de 1929 sur laquelle nous reviendrons plus loin. Durant cette décennie, la production industrielle américaine augmente de 50%, le revenu national est en hausse de 42% et l’urbanisation se développe. Pas moins de 935’000 logements sont construits en 1925 par exemple. Le développement de l’industrie des appareils électriques ainsi que de l’automobile contribuent pour une grande part à cet accroissement du parc industriel américain. La taylorisation et son idée de rationalisation du travail par la segmentation du temps de travail et de la division des tâches en chaînes d’opérations sera reprise par Henry Ford qui monopolisera le secteur de l’automobile à ses débuts en implémentant ingénieusement la méthode tayloriste dans ses usines. Ford établit également une synthèse géniale entre capitalisme et socialisme : pour que le marché puisse s’étendre, la consommation des biens ne peut pas se limiter à la seule bourgeoisie. La grande masse des simples travailleurs doit aussi pouvoir y être intégrée. C’est ce que fera Ford en augmentant les salaires de ses employés d’usine. Ceux-ci devaient également pouvoir acheter les voitures qu’ils fabriquaient et échapper ainsi à l’aliénation dénoncée par les penseurs marxistes.

Ford comprit que tout le monde serait financièrement gagnant en baissant le prix des biens et en augmentant les salaires. Les industriels géniaux comme Ford furent les véritables architectes de la réussite américaine.

L’agriculture américaine est également en très forte expansion. La raison en est que l’Europe est grandement désorganisée et celle-ci devient, immédiatement au sortir de la guerre, dépendante de la production agricole américaine. Les Américains doivent donc produire en proportions conséquentes pour exporter vers l’Europe. De 1918 à 1920, les productions agricoles américaines s’accroissent pour se déverser en Europe. Cette production, qui devient excédentaire une fois que l’Europe arrive à se remettre sur pied, conduit à une crise de surproduction agricole entre 1922 et 1923. Cette crise se restreint au secteur agricole pour le moment. La crise conduit à une chute des prix des biens agricoles allant jusqu’à une baisse des prix de la terre des terrains fertiles du middle-west américain, ce qui conduit à un exode rural de 2 millions de personnes vers les côtes, notamment vers la Californie. Mais à ce moment les États-Unis conservent une courbe de croissance jamais vue auparavant.

La fabrique à dollars

Traditionnellement, on distingue dans les pays européens deux types de banques : banques de dépôt et banques d’affaires. Les premières reçoivent des dépôts d’argent de clients et les prêtent à des emprunteurs faisant une demande de prêt auprès de la banque. La banque se rémunère en faisant la différence entre les intérêts perçus sur ses prêts et les intérêts payés aux clients ayant déposé leur argent. Les banques de dépôt doivent pouvoir rembourser à tout moment aux uns ce qu’elles ont prêté aux autres. La banque favorise les placements à court terme et procède à des placements à long terme uniquement en se servant de son capital propre ou de ses réserves. La banque de dépôt accorde beaucoup d’importance à ses liquidités et son but est de fournir leurs fonds de roulement aux entreprises.

Les banques d’affaires fonctionnent différemment. Celles-ci sont spécialisées dans la création d’entreprises. Elles ne cherchent pas les dépôts à court terme des particuliers. Leurs capitaux proviennent des actionnaires ; capitaux avec lesquels ces banques prennent part dans les affaires commerciales et industrielles des entreprises dont les banques d’affaires rachètent des parts.

Alors que dans beaucoup de pays à cette époque la distinction entre ces deux types de banques est établie, aux États-Unis est pratiqué le « mixed banking » qui, comme son nom l’indique, est un mélange entre les banques de dépôt et les banques d’affaires. Ce système aboutit souvent à une certaine confusion pour le client qui aura du mal à distinguer entre réserve et fonds de roulement. La banque aura aussi du mal à refreiner la tentation de procéder à des placements à long terme ou des placements risqués avec des dépôts à vue. Ceci est le résultat d’un principe bancaire qui est que l’argent ne doit jamais dormir. Le système de « mixed banking » incite fortement au placement de titres car le client peut les acheter à crédit. Le banquier de son côté touche une commission sur ces placements mais, si le client fait une mauvaise affaire, les titres peuvent lui rester pour compte.

Quand une banque n’a plus les moyens de rembourser le montant des dépôts de ses clients, elle se tourne généralement vers une banque centrale qui s’appelle la federal reserve aux Etats-Unis. La banque en difficulté appose sa signature sur certains de ses effets de commerce qu’elle va présenter à la federal reserve qui va à son tour avancer en billets de banque la somme demandée. Pour empêcher une trop forte inflation, la loi exige que le volume de billets émis ne dépasse pas 9 fois le montant total de la réserve d’or de la banque. Ce rapport de 9 pour 1 fit l’objet de vives critiques en son temps, considéré comme trop élevé. Ce ratio se justifiait à l’époque où les États-Unis étaient encore un pays à l’activité en plein essor et dont les richesses ne demandaient qu’à être exploitées. Le rapport de 9 pour 1 continua tout de même à être utilisé durant toute la durée des années 20 aux États-Unis. La masse monétaire continua d’autant plus à grimper que les encaisses d’or américaines passaient du double au triple entre 1914 (1’124 millions d’encaisse or), 1919 (2’456 millions) et 1922 (3’785 millions). Cette forte hausse des réserves d’or américaines était le fruit des commandes européennes passées aux États-Unis durant la guerre et dont ces derniers exigeaient le payement en or. Les USA possédaient la moitié des réserves d’or mondiales après la guerre de 1914-1918. Ils pratiquaient également des tarifs douaniers très élevés : 21% en 1913 pour atteindre 51% en 1930.

Un malheur en entraînant un autre…

On attribue le déclenchement initial de la crise à la faillite d’un investisseur britannique fortuné, Clarence Hatry. Cette évènement causa une revente importante de titres américains par les banquiers anglais pour éponger leurs pertes. Par la suite, un enchaînement de causes à effets dont est coutumière toute économie sophistiquée provoqua pour la première fois la baisse de quelques valeurs à Wall Street. La crise de 1929 est évidemment multifactorielle mais, si l’on peut y distinguer une cause fondamentale, ce sera l’opposition entre deux formes de capitalisme : le capitalisme industriel, moteur de la prospérité d’un pays par la création de richesses tangibles, et le capitalisme financier, spéculatif et centré sur le court terme. Chacun a besoin de l’autre pour se pérenniser mais les problèmes surgissent quand la fuite en avant du deuxième prend des proportions telles que le premier ne peut plus suivre. La crise résulte de cette disproportion entre la richesse réellement produite par les entreprises et les valeurs particulièrement hautes que ces mêmes entreprises prenaient dans le cours des actions.

L’alliance entre ces deux bras du capitalisme avait été salutaire quand l’Amérique, au tout début du XXème siècle, dénuée de capitaux, n’avait pour elle que la force de travail et l’audace d’immigrés venus de toute l’Europe, fuyant la misère du monde paysan confronté aux conséquences de la révolution industrielle. On découvrait des sources de richesse inespérées sur ce vaste continent encore largement inexploré : un gisement d’or apparaissant soudainement, un puits de pétrole surgissant après quelques fouilles. Le continent américain était recouvert de richesses inexploitées mais il fallait des moyens considérables pour équiper les mines et les chemins de fer qui allaient permettre l’extraction de ces richesses. Les banquiers, à cette occasion, firent des placements de titres considérables à l’étranger pour permettre le financement de toute cette industrie. Ici, l’alliance du capitalisme industriel et financier fut assurément féconde.

Nous avons déjà évoqué en partie les difficultés rencontrées au sein de l’industrie agricole américaine qui survinrent dès 1923. En 1928, le stock de blé mondial dépassait déjà de 10% la quantité normale. Évidemment, cette surproduction exerçait une pression à la baisse sur le prix des céréales. Dans un premier temps, l’État fédéral américain et le président Hoover font preuve de grandes réticences à intervenir. L’idée libérale qui prévaut alors est que le marché s’autorégulera rapidement et que l’État n’a pas à intervenir. Le président Hoover, en 1929, met tout de même en place le plan Farm Board qui vise à racheter pour un montant de 500 millions de dollars les excédents de productions agricoles pour maintenir les cours stables. Mais ceci n’est qu’une solution de très court terme puisque, quand l’État devra à son tour liquider ces stocks au moment de la crise, les cours agricoles s’effondreront comme jamais auparavant. Qui plus est, ces demi-mesures ont eu l’effet inverse puisque l’agriculteur, voyant qu’il avait en la personne de l’État un moyen facile pour écouler son stock excédentaire, était incité à produire encore davantage. La production américaine continua donc à croître et les agriculteurs augmentèrent même leurs surfaces agricoles. Tout cela eut pour effet d’aggraver encore la crise de surproduction.

On voit donc qu’il y eu trois causes principales à cette crise. La première concerne un certain gigantisme des États-Unis qui, enivrés par l’augmentation des stocks d’or, prétendirent au sortir de la guerre, redresser à eux seuls toute l’économie de l’Europe mais aussi celle du continent américain tout entier, ainsi que des pays producteurs de denrées exotiques. La deuxième cause est l’application de ce ratio de 1 pour 9 qui consistait à construire un dépôt de 100$ pour une couverture de 11$, appliqué par les banques et qui aurait dû être abandonné plus rapidement car trop dangereux si couplé avec cette vaste entreprise de redressement de l’économie mondiale. Le troisième problème consiste en la confusion et les abus provoqués par le système de « mixed banking » qui confond banque de dépôt et banque d’affaires.

« Quand l’Amérique s’enrhume, l’Europe attrape la grippe » comme le dit l’adage. Nous verrons dans le prochain article les répercussions que ces évènements eurent sur l’Europe avec un accent mis sur le cas très intéressant de l’Allemagne.

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Sadjan Oehler
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