Dimanche 10 mai, 20h00… Suspens, attente et, enfin, deux visages apparaissent sur les écrans de télévision de chaque foyer français. Alea jacta est. C’est pour presque 68 millions de Français, comme un goût (amer ou victorieux) de 2017. Cinq ans après, finalement, rien n’a changé ? Malgré la révolte des Gilets Jaunes, une victoire des Bleus à la Coupe du Monde, Notre-Dame en feu et, cerise sur le gâteau, une crise sanitaire, a-t-on simplement repris les mêmes et recommencé ? Est-ce que le paysage politique français est comme ce fameux village gaulois, résiste-t-il face à l’envahisseur qu’est le changement ?
A seulement quelques jours du résultat qui déterminera qui sera le ou la capitaine à la barre du navire français pour ces cinq prochaines années, voici quelques constats, interrogations et leçons que nous pouvons retenir de ce premier tour des élections présidentielles françaises.
LE TRIPARTISME A LA FRANÇAISE
Il faut reconnaître qu’au premier abord, la familiarité des deux candidats qui s’affronteront au deuxième tour pourrait nous faire penser que l’histoire se répète. Un nouveau duel entre Emmanuel Macron versus Marine Le Pen, sans que les cartes n’aient été vraiment redistribuées entre tous les joueurs. Cependant, cela serait ignorer un nouveau joueur qui s’est invité dans la partie. En effet, Jean-Luc Mélenchon, avec un score de 21,95 % de voix et talonnant Marine Le Pen de seulement 1.2 points, est un peu la surprise de ce premier tour. Surtout, les résultats des trois premiers candidats sont en net contraste avec les résultats des neufs autres participants à la présidentielle. En effet, entre Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour, arrivé en 4ème position avec 7.07 % de voix, la différence est de presque 15 points, ce qui laisse Zemmour et ses autres camarades candidats bien derrière le trio de tête.
Avec ces résultats, nous observons un clivage politique particulier, une forme de tripartisme crée par une répartition plus au moins égale de l’électorat français entre trois partis politiques différents ; La République en Marche, le Rassemblement National et enfin la France Insoumise. Sans claire majorité et avec un électorat encore plus divisé, la recherche du consensus et de solutions s’annonce compliquée, d’autant plus que la composition de l’électorat gagné par ces trois candidats est très différente. Par exemple, alors que Marine Le Pen a particulièrement touché la population ouvrière, rurale et âgée, Jean-Luc Mélenchon a quant à lui mobilisé un électorat jeune et citadin (à noter cependant que dans les départements d’outre-mer, Mélenchon a obtenu des résultats très importants, avec des scores allant de 40 % à 56 %, bien devant les autres candidats). Tout cela nous amène à une situation délicate pour le ou la prochain.e président.e, qui aura la dure tâche de devoir unifier et rassembler ces trois bases électorales qui ont des intérêts, des valeurs et préoccupations très différentes.
Il est aussi intéressant de noter que, tandis que ce tripartisme se formait, nous assistions en même temps à la chute de deux autres partis politiques traditionnels que sont Les Républicains et le Parti socialiste. Alors qu’ils se menaient bataille autrefois coude à coude, ces derniers ont subi une défaite cuisante lors de ce premier tour. Leurs scores (particulièrement bas, au point de ne pas pouvoir bénéficier du remboursement total de leur campagne) ont été une onde de choc chez ces deux partis qui ont chacun de leur côté évoqué la nécessité d’une importante remise en question et une réflexion quant à leur avenir.
L’ENNEMI DE MON ENNEMI EST MON AMI
Nous l’avons évoqué, la différence de voix entre Mélenchon et Le Pen est faible, si faible qu’elle ne se résume qu’à « quelques » 400’000 voix. Plus intéressant encore, si nous additionnons toutes les voix obtenues en faveur des candidats de la gauche autre que Mélenchon (soit 9.97 % des voix), le résultat nous offre une perspective intéressante : en cumulant ces 9.97 % à son propre résultat, Mélenchon aurait peut-être même dépassé le score de Macron. Cette stratégie de « cumul » avait été discutée avant le premier tour, où une union en faveur d’un seul candidat qui se présenterait sous la bannière de l’ensemble de la gauche avait été évoquée. Ainsi, Mélenchon avait été proposé comme candidat naturel à cause de sa forte popularité, acquise même depuis la présidentielle de 2017. Mais, sans trop vous divulgâcher le résultat, il est clair que les aspirations personnelles des candidats de gauche et les dissensions entre les différents partis ont tué dans l’œuf toute possibilité d’une telle collaboration. Cette « désunion » de la gauche a été ressassée au lendemain du premier tour, au point que Ségolène Royal, ancienne candidate à la présidentielle de 2007, a insisté sur le fait que les candidats de gauche, à cause de leur non-retrait, « portent la responsabilité de l’arrivée de l’extrême-droite au second tour de la présidentielle ». Des mots durs, mais qui reflètent finalement une sorte de désillusion et de regret ambiant de ne pas avoir réussi à créer une unité de l’électorat de gauche.
Cependant, ces savants calculs de pourcentages de voix qui auraient potentiellement pu être dirigées en faveur de Mélenchon sont à prendre avec des pincettes. Certes, sans autre candidat pour représenter la gauche que Mélenchon, une bonne partie de l’électorat aurait fait porter son choix sur le candidat de la France Insoumise. Toutefois, il est nécessaire de nuancer à ce stade une réelle union de la gauche en la personne de Mélenchon : une partie des électeurs de la gauche désapprouvent certaines positions de Mélenchon, notamment par rapport à la Russie, et voter pour lui aurait été, de ce fait, inconcevable. Il est donc difficile de savoir ce qu’il serait advenu du résultat de ce premier tour si une union de la gauche avait réellement existé. Et pourtant, avec des « si », on mettrait Paris en bouteille…
ABSTENTIONNISME, PREMIER CANDIDAT ?
Comme à chaque élection, la grande question qui se pose est celle de combien de Français vont encore bouder la présidentielle. Entre l’abstention de conviction, les vacances à Barcelone malencontreusement tombées en même temps que le dimanche de l’élection ou bien le non-intérêt abyssal pour la politique, la population française qui s’est abstenue a été nombreuse. Cette année, l’abstention se montait à 26,1 % de la totalité des électeurs, encore plus forte qu’en 2017.
L’enjeu pour le deuxième tour de la présidentielle concerne donc cette partie de la population qui ne s’est pas engagée : comment la faire voter, surtout, comment ne pas perdre les électeurs déçus du premier tour ? Car parmi les électeurs qui n’ont pas vu leur candidat gagner dimanche dernier, il existe trois catégories de personnes : celles qui souhaitent faire « barrage » à l’extrême droite et voteront donc Macron, celles qui ont une poussée d’urticaire en imaginant un autre quinquennat sous Macron et choisiront d’accorder leur vote à Le Pen et enfin, celles qui sont désillusionnées et qui, en leur âme et conscience, ne peuvent glisser dans l’urne un vote pour l’un ou l’autre candidat, et voteront donc blanc.
Ainsi, depuis l’annonce des résultats dimanche dernier, les deux candidats se sont lancés à la conquête des électeurs de Mélenchon, Zemmour, Pécresse et compagnie, élaborant des stratégies pour grapiller les voix des candidats qui ont échoué. Entre recommandations de vote, soutien clair et affiché ou bien messages subliminaux prononcés à demi-mots, les neuf candidats malheureux ont tous donné leur avis pour le second tour. Reste à savoir cependant s’ils seront suivis…
UNE BATAILLE DE GAGNÉE MAIS PAS LA GUERRE
Quoiqu’il en soit de l’issue du résultat des élections dimanche prochain, les électeurs et électrices auront toutefois encore leur mot à dire lors des législatives qui se profilent elles aussi très bientôt. En effet, dès juin, la population française pourra élire ses représentant.e.s au Parlement, et les résultats de ces élections seront déterminants pour la future présidence. En effet, le ou la Premier.ère Ministre est issue de la majorité élue au Parlement, il est donc nécessaire d’obtenir une majorité au Parlement pour que la Présidente ou le Président puisse mener et mettre en place les mesures phares de son programme. En résumé, remporter les législatives est crucial pour ne pas se retrouver face au mur d’une majorité hostile. Ainsi, dimanche prochain, rien ne sera perdu, l’enjeu est de taille pour les deux candidats, car les législatives pourront, peut-être, réellement redistribuer les cartes entre les différents pouvoirs. Nous suivrons donc ces prochaines semaines avec attention.
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