Affaire Carlsen – Niemann [Partie 2] : Hans Niemann, victime malheureuse de la collusion des puissants ?

Nous avons présenté dans l’article de la semaine dernière comment le jeune et controversé grand-maître Hans Niemann avait porté plainte contre le champion du monde Magnus Carlsen, le célèbre steamer Hikaru Nakamura et la plateforme d’échecs en ligne Chess.com, pour répondre aux accusations de triche qu’il avait essuyé de ses trois défendeurs. Dès lors, quelles sont les chances de Niemann d’obtenir gain de cause dans cette affaire d’ores et déjà retentissante ? Peut-on se fier aux apparences ? Faut-il davantage craindre la triche au jeu d’échecs ou les tentatives de manipulation des plus influents de ce milieu ?

Une absence de preuves qui interroge

Malgré les vives accusations fusant de part et d’autre de la communauté échiquéenne, aucune ne délivre à ce jour de preuve accablante mettant en lumière la culpabilité de Hans Niemann au cours de la Sinquefield Cup. Plus étonnant, les résultats des différentes enquêtes menées à l’initiative des organisateurs des tournois n’aboutissent sur l’identification d’aucun aspect litigieux sur la partie Carlsen-Niemann.

Notamment, la principale autorité de lutte contre la triche aux échecs, Kenneth Regan, n’a pu trouver aucun élément prouvant que Niemann se serait aidé d’un moteur d’analyse dans sa partie du 5 septembre, ni même dans aucune autre ronde du tournoi. Ce modèle, développé par le statisticien du même nom, compare les coups dans la partie d’un joueur à ses performances attendues en fonction de son classement Elo et détermine ainsi les probabilités de triche. Le rapport publié par Chess.com qui mettait en évidence les cas de triche de Niemann sur Internet confirme, quant à lui, qu’il « manque de preuves statistiques concrètes qu’il a triché dans sa partie contre Magnus Carlsen ou dans toute autre partie sur l’échiquier ».

L’analyse de la partie la plus controversée du 21e siècle par des grand maîtres ne donne pas plus raison à Carlsen. Ainsi le GM et 8e joueur mondial Fabiano Caruana déclare-t-il « La partie contre Magnus était impressionnante […] Mais rien d’extraordinaire, n’est-ce pas ? Rien d’invraisemblable pour un joueur du niveau de Hans, entre 2650 et 2700 (Elo, ndlr), c’est quelque chose qu’un joueur de ce niveau est capable de faire. » Sur sa chaîne YouTube « Blitzstream », le maître national Kevin Bordi s’est fait une joie de commenter la partie à ses abonnés en compagnie du GM français Mathieu Cornette, surnommé affectueusement « Cornetto » par la communauté. Pour les deux amis, les deux protagonistes se sont livrés à un combat intense, mais parsemé d’erreurs et de gaffes, dont certaines de Hans Niemann qui lui ont fait rater le gain à plusieurs reprises. Loin de la copie parfaite, donc.

Dès lors, pourquoi le champion du monde Magnus Carlsen accuse-t-il son adversaire, à la sortie d’une partie médiocre de toute part et sans apporter aucune preuve concrète, au risque de se faire lui-même condamner pour diffamation ? S’il semble si sûr de ses propos malgré son incapacité à les appuyer convenablement, il semblerait que Carlsen puisse toujours compter sur son influence et sur ses soutiens de taille pour espérer remporter ce combat médiatique et juridique.

Une entente cordiale Carlsen – Chess.com contre Niemann ?

Les intérêts de Magnus pourraient largement dépasser la simple dénonciation de la triche aux échecs, comme il le prétend en public : en effet, s’il ne peut déterminer avec certitude si son adversaire de la 3e ronde l’a battu loyalement ou non, le Norvégien peut néanmoins choisir de défendre ses intérêts en délégitimant la victoire de son adversaire – de 12 ans son cadet et réputé bien plus faible que lui – afin d’éviter que ce dernier n’entache sa réputation de champion du monde et par la même occasion, la valeur de sa marque à plusieurs millions de dollars « Play Magnus ».

Depuis la fusion du groupe Play Magnus et Chess.com en août dernier, nous comprenons que les intérêts de l’un dépendent étroitement des intérêts de l’autre, d’où l’implication de l’entreprise Chess.com dans cette affaire qui, à l’origine, ne la regardait pas, afin de protéger l’image de son principal associé Magnus Carlsen. L’entreprise dirigée par le maître international Daniel Rensch a en effet procédé au bannissement de Niemann de sa plateforme et de tous ses futurs événements ainsi qu’au au lancement d’une investigation sur ses cas de triche sur Internet d’il y a plusieurs années. Sans oublier la participation non-négligeable du principal partenaire Twitch de Chess.com, le super GM Hikaru Nakamura, dans le processus d’adhésion du public aux accusations de Carlsen, via ses streams et ses vidéos sur YouTube. Son refus de jouer contre lui lors de la seconde rencontre confirmerait ainsi la crainte de Carlsen de subir une nouvelle humiliation qui porterait préjudice à son image de marque, quitte à briser la carrière ascendante d’un jeune joueur en proliférant des accusations infondées à son égard.

Grâce à sa popularité – il est notamment le joueur d’échecs le plus suivi sur les réseaux sociaux – son statut de champion du monde et le soutien de Nakamura, Magnus Carlsen s’attendait logiquement à gagner la confiance de la communauté échiquéenne dans son ensemble et bénéficier ainsi d’un soutien populaire quasi unanime dans son affaire qui l’oppose à l’« adolescent probablement le plus irrespectueux » des échecs, pour reprendre les mots du super GM américain Wesley So. Par sa manœuvre sans nul doute réfléchie, Carlsen s’est également assuré que plus aucun tournoi d’échecs réputé n’invite Niemann à l’avenir et que de nombreux grands maîtres le boycottent, à commencer par le GM allemand Vincent Keymer, dans son optique d’évincer de la scène compétitive celui qui semble constituer à l’heure actuelle la principale menace à sa notoriété.

Paradoxalement, dans le cas où le champion du monde se verrait incapable d’étayer ses propos avec des preuves concrètes apportées par lui-même ou ses soutiens à l’issue de l’affaire, celui-ci risquerait non seulement de perdre gravement en crédibilité pour avoir perdu face au 40e joueur mondial, puis délibérément menti pour sauver sa face – quitte à abuser de la confiance que ses soutiens avaient pour lui – mais aussi de passer pour un individu profondément immoral, prêt à ruiner la réputation et la carrière de joueurs prometteurs en usant malicieusement de son influence pour tromper l’opinion publique en vue de préserver son ego et ses intérêts personnels. Tout porte donc à croire que Magnus Carlsen a en réalité beaucoup plus à perdre dans cette histoire que son opposant Hans Niemann qui, lui, a tout à gagner s’il est innocenté. Comme le souligne l’avocat au barreau de Paris et joueur d’échecs amateur Joël Gautier dans sa brève interview donnée sur la chaîne du MI français Joachim Mouhamad, les probabilités de triche par analyse a posteriori des coups joués ne constitue pas une preuve suffisante pour accabler Niemann, réduisant encore un peu plus les chances de succès de Carlsen, Nakamura et la société Chess.com dans le cas où la polémique pousserait les lourdes portes du tribunal.

Conclusion

Une sorte de « paranoïa » générale semble s’être immiscée depuis maintenant presque deux mois dans le monde des échecs, pour reprendre le terme du grand maître Jon Tisdall, phénomène qu’il décrit comme « une menace existentielle pour le jeu d’échecs », faisant par là-même un clin d’œil à la déclaration de son comparse norvégien, avant d’ajouter « mon opinion générale est que tous soupçonnent certains de leurs collègues, pas nécessairement les mêmes, et pas nécessairement pour les mêmes choses ». Alors, si triche il y a bien eu, se pourrait-il que l’affaire Niemann soit l’arbre qui cache la forêt ? Le rapport du Wall Street Journal indique en effet que des dizaines de grands maitres ont été surpris en train de tricher dans des parties sur Internet, dont quatre membres du top 100 mondial, sans publier les noms des concernés. Si l’on en croit les quelques paroles autant éparses qu’évasives de Kevin Bordi à ce sujet sur ses réseaux (qui a pu côtoyer le milieu des échecs de haut niveau il y a plusieurs années), en laissant de côté le scandale du « toiletgate » qui avait secoué le monde des échecs en 2006, de nombreux autres cas de triche auraient été aussi vite constatés qu’étouffés par le passé, ceci afin d’éviter tout scandale nécessairement néfaste à l’image de la FIDE. Le GM américain Gata Kamsky, pour qui les risques de se lancer dans une telle procédure judiciaire seraient bien trop élevés pour Chess.com, s’attend à voir la situation se régler sur un accord à l’amiable entre les différentes parties. Pas sûr que cette issue ne convienne à Hans Moke Niemann, connu pour sa détermination et sa pugnacité, qui voudra sans aucun doute faire valoir sa présomption d’innocence et obtenir coûte-que-coûte des réparations à la hauteur des préjudices colossaux qu’il a subis. Affaire à suivre donc…

Martin Vasseur
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