L’eldorado des zones riches en nodules polymétalliques de Clarion-Clipperton

L’impact géopolitique et environnemental de l’exploitation et l’exploration

En février 2022, la Suisse est pointée du doigt par des militants de Greenpeace sur les risques liés à l’exploitation minière en eaux profondes, avec une fausse machine d’excavation installée sur la place fédérale. L’ONG accuse une multinationale suisse de vouloir piller les fonds marins. En effet, la société suisse “Allseas” est en attente d’autorisation d’exploitation des nodules polymétalliques de la zone de Clarion-Clipperton. La réponse des autorités internationales (AIFM) est attendue pour 2024. Pour comprendre l’action des militants pour le climat, il faut nous plonger à plus de 3500m sous le niveau de la mer.

L’Océan Pacifique est aujourd’hui une zone très surveillée et enviée par les autorités, car elle regorge de matières premières, comme les nodules polymétalliques. Ceux-ci sont principalement contenus dans la zone de Clarion-Clipperton, au large des côtes pacifiques du Mexique. On compte plus de 308000 millions de tonnes de nodules d’une valeur estimée à plusieurs centaines de milliards de dollars. Ces nodules sont des perles minérales ressemblant à des gros galets d’environ 5 à 10 cm de diamètre, qui se trouvent dans les plaines abyssales de l’océan. Ils sont notamment composés de manganèse, de nickel, de cuivre et de cobalt.

La découverte de ces nodules dans les années 60 a fait apparaitre une nouvelle problématique car tous ces nodules se trouvent en dehors de la juridiction de tout Etat. Ce qui veut dire que ces nodules constituent un grand enjeu économique et politique, car juridiquement ils n’appartiennent à personne. C’est donc un véritable eldorado pour les multinationales. Ils n’auraient, sans juridiction, plus qu’à plonger, les ramasser et faire un profit faramineux.

Dans le contexte international actuel, les juridictions internationales ont évolué mais les enjeux restent les mêmes. Nous faisons toujours face à une hausse de la demande en matière de métaux, pour les nouvelles technologies et les énergies vertes (batteries, aimants etc..) et cela implique des tensions géostratégiques entre les gouvernements.

De plus, une autre problématique vient s’ajouter, celle de l’impact sur la biodiversité et l’écosystème marin. Les scientifiques mettent en garde sur les conséquences d’une activité minière dans les grandes profondeurs qui sont, selon eux, difficiles à évaluer. Mathias Haeckel du centre de recherche océanique GEOMAR, pense que si l’impact est trop important il faudrait penser à “d’autres technologies ou à modifier nos modes de consommations”

Les recherches nous amènent à nous poser la question sur les limites de l’exploitation des zones riches en matières premières. Peut-on satisfaire notre appétit en ressources minérales avec les nodules polymétalliques de la zone Clarion-Clipperton ? Avec les enjeux actuels, peut-on se permettre de profiter des océans, les plus grands puits à carbone de la planète, tout en les préservant ?

Historique de la découverte des nodules polymétalliques et juridiction internationale

Les nodules polymétalliques furent trouvés dans les années 60. Au même moment, l’ambassadeur maltais des nations unies, Arvid Pardo, a demandé que les ressources des fonds marins soient considérées comme le “patrimoine commun de l’humanité”. Il souhaite, à ce moment-là, créer un système de réglementation international pour éviter que les pays les plus avancés sur le plan technologique ne colonisent les fonds marins et monopolisent des ressources marines au détriment des pays en voie développement. Il faudra attendre 24 ans avant que l’assemblée générale des Nations Unies crée L’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) dont le siège se trouve à Kingston en Jamaïque. Les Etats qui font partie de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer sont membres de l’autorité qui est composée de 168 représentants. Cette autorité vient se joindre à deux autres institutions qui gèrent les réglementations de la mer. Les deux autres sont la Commission des limites du plateau continental et le Tribunal international des droits de la mer. La fonction principale de cette nouvelle autorité est de réglementer l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins, dont la “zone Clarion Clipperton”. C’est donc eux qui vont s’occuper de la zone non-réglementée au-delà du plateau continental. Cette “Zone” représente malgré tout dans son ensemble environ 50% des océans.

En 1970, avec la chute du prix des matières premières et l’abandon de développement des techniques d’exploitations, les Etats diminuent leur financement jusqu’aux années 90. Les Etats doivent passer par l’AIFM (Autorité internationale des fonds marins) pour demander un permis d’exploration à des fins scientifiques. La zone fut protégée par la loi qui déclare vouloir réaliser des recherches pour en apprendre plus sur l’écosystème marin, faire un état des lieux, et chercher les conséquences de l’exploitation de ces fonds et notamment de ces nodules.

Dans le cadre de la convention, l’exploration et l’exportation des minéraux doivent donc être entreprises avec un contrat délivré par l’AIFM. Ces contacts sont régis par des réglementations et des procédures. Ces contrats mettent en lien à la fois les entreprises minières publiques et privées à condition qu’elles fassent partie d’un des Etats membres de la convention. L’AIFM a élaboré des réglementations, y compris des normes liées à la protection environnementale, afin de régir en premier temps les activités d’exploration. À ce jour, elle a approuvé 28 contrats d’exploration dans les océans Pacifique, Indien et Atlantique, pour une superficie de fonds marins supérieure à 1,3 million de km2.

Impact de l’exploitation des nodules sur la biodiversité et l’écosystème marin

Le groupe de recherche français Ifemer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) a pu par exemple, réaliser deux études empiriques des fonds marins. Ils ont été capables de réaliser l’impact écologique que causerait l’exploitation des nodules polymétalliques de la “zone”.

Selon la campagne Nodinaud de 2004, les relevés effectués le long des pistes de chalutage d’il y a plus de 26 ans ont fait disparaitre l’épifaune marin. Les résultats montrent donc que les traces de la drague sont toujours visibles, ceci est notamment lié à une faible sédimentation et à une faible vitesse des courants. Le taux de restauration du peuplement benthique est donc particulièrement fragile et lent. De plus, les nodules ont un processus de formation très long, ils mettent environ 3 millions d’années à se former et ils grandissent de quelques millimètres par dizaines de milliers d’années ! Le constat des chercheurs est alors terrifiant, car aucun habitat ne s’était reconstitué et l’équilibre chimique de la zone chalutée a été bouleversé. La biodiversité en prend donc un coup. C’est donc un changement de paradigme, car dans les années 80, on pensait que l’impact de l’homme dans ces zones “désertiques” était nul.

La zone Est est donc ravagée tandis que la zone Ouest, encore peu observée présente une très grande hétérogénéité. Dans le macrofaune notamment, le Dr.Jurgen Guerrero Kommritz a identifié plus de 39 nouvelles espèces dans un des carottages effectués. Les nodules composent un habitat riche, qui abritent une macrofaune deux fois plus importante, “il y aurait environ 1000 espèces d’invertébrés sur moins d’une feuille A4” C’est plutôt une oasis qu’un désert !

Les résultats montrent donc des niveaux de biodiversité spécifique très élevés et inattendus, avec un fort pourcentage d’espèces inconnues. Les espèces dominantes d’invertébrés : les polychètes, les tanaïdacés et les isopodes sont des amphipodes détrivores. Ceux-ci sont des organismes qui se nourrissent de détritus et qui jouent donc un rôle essentiel dans la chaîne alimentaire, car ils participent au recyclage des composés organiques. Les idées globales qui ressortaient de l’étude consistaient en la création de 9 zones protégées sur toute la zone de fracture de Clarion-Clipperton. Bouleverser cet équilibre, c’est mettre un pistolet sous la tempe de l’humanité.

Plus précisément, le processus d’extraction de la matière des nodules pose un gros problème. La technique d’acheminement des nodules se fait par dragage. Pour simplifier, l’engin de dragage pousse un collecteur qui décolle les nodules du sédiment par des jets d’eau. Ils sont alors remontés à la surface par des bandes transporteuses, puis concassés pour faire le tri des sédiments qui rejettent la matière non-utilisable dans l’eau. Cette conduite métallique d’acheminement est une conduite de type pétrolière qui peut aller jusqu’à 4800m de profondeur. Le processus de concassement des nodules se poursuit par la suite par deux traitements : l’hydrométallurgie et la poly-métallurgie. Ce qui implique l’expédition de la matière vers les ports dans des gros navires de plus de 60000 tonnes.

Les problèmes environnementaux doivent être pris en considération dans le processus d’exploitation. Dans un premier temps, au fur et à mesure que la machine progresse dans le fond marin, elle produit un nuage de sédiments en suspension, ce qui recouvre toutes formes de vie sous-marine et l’asphyxie sur le coup. Ensuite, lors du broyage des nodules sur le navire pour la séparation grossière de la matière, l’excès d’eau riche en particules est rejeté à la surface de la mer. Les particules rejetées forment alors un autre nuage qui va perturber le plancton et le necton ; deux espèces particulièrement importantes du chaînon alimentaire des espèces maritimes. De plus, le nuage aura un impact sur la pénétration lumineuse qui permet l’activité photosynthétique et la production de nutriments dans la zone de prélèvement. Tous ces éléments vont influer sur les différentes espèces vivantes. La biodiversité est alors, encore une fois, particulièrement touchée.

Pour terminer, l’impact écologique du transport maritime représente une part non négligeable de la pollution et des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les grands navires utilisés pour acheminer les nodules sont, par ailleurs, les plus gros pollueurs. Ils rejettent des gaz toxiques dans l’air et dans l’eau. En effet, l’énergie nécessaire pour que les navires fonctionnent provient de combustibles qui rejettent du CO2 et des particules fines. Selon Actu-nautique, “Le paquebot émet autant de particules fines qu’un million de voitures”. Les particules fines impactent sur le long terme la santé cardiovasculaires, neurologiques, mais elles menacent aussi le rendement agricole de la végétation etc.

Dans un second temps, le CO2 augmente le changement climatique ce qui implique des phénomènes tels que l’on connait aujourd’hui comme par exemple, des vagues de chaleurs, des changements de la configuration des pluies, des inondations, des grosses tempêtes, la fonte des glaciers, l’acidification des océans etc. C’est pourquoi, malheureusement avec les techniques actuelles, l’exploitation des nodules polymétalliques est durablement impossible.

Enjeu géopolitique : L’intérêt des États

Ces décennies ont été marquées par les chocs pétroliers et les risques liés à l’exploitation des matières premières terrestres comme l’exemple des mines du Congo, qui représentent environ le 68% de production de cobalt. Le monopole économique a été pendant longtemps obtenu par les pays riches occidentaux, ce qui creuse les inégalités économiques à l’échelle mondiale.

Dans le contexte international actuel, les nodules sont malgré tout intéressants pour l’humanité, car la demande en matière première augmente. Ce sont des minéraux stratégiques qui servent à l’industrie lourde, c’est un véritable eldorado où on a juste à se baisser, les ramasser et gagner de l’argent. Les premières campagnes se sont donc penchées sur la rentabilité économique. Pour que le rendement soit positif, il faudrait extraire plus d’1,5 millions de tonnes de nodules. Les études GEMONOD conduisent à un taux de rentabilité interne compris entre 10 et 14% pour une exploitation sur 20 ans. La marge brute de l’exploitation s’élève à 353 millions de Dollars par an. Toutefois elle est la même en valeur relative par rapport à l’investissement initial, soit 23% à cause des charges supplémentaires dues à la complexité du ramassage. L’enjeu géopolitique est important car ces nodules se trouvent en dehors de la juridiction de tout Etat, et la course au monopole est lancée.

Limite morale à ne pas dépasser dans l’exploitation de l’humanité?

Selon Guy Herrouin, dans « L’exploitation des nodules polymétalliques : utopie ou réalité ?”, d’autres types d’exploitation maritime sont aujourd’hui au cœur de la recherche pour un approvisionnement plus durable et rentable tel que l’extraction des encroûtements cobaltifères et sulfures hydrothermauxes. Si l’on veut en actualiser les scénarios, on doit intégrer les évolutions technologiques et économiques et prendre en compte les impacts sur l’environnement.

La vraie question porte sur l’intérêt final de l’humain. Doit-on exploiter ces zones d’intérêt économique ou doit-on préserver la biodiversité ? Peut-on franchir cette limite entre gains économiques directs ou perte lente de la biodiversité ? Finalement, jusqu’où l’homme peut-il aller dans la destruction de son propre environnement ?

Après des décennies d’oubli de l’idée d’exploitation des nodules polymétalliques, le potentiel d’exploitation commerciale des ressources minérales des grands fonds suscite un regain d’intérêt de la part du secteur privé et des gouvernements dû essentiellement à des facteurs comme les avancées technologiques de l’extraction et du traitement des ressources des grands fonds marins et l’augmentation de la demande de minerais suscitée par la mondialisation et l’industrialisation dans le développement. Plus récemment, l’avancée de la technologie nous démontre qu’aujourd’hui les frontières infranchissables peuvent être dépassées. De plus en plus de pays sont en course, l’Inde, la Chine et la Russie par exemple veulent franchir le pas et s’assurer de l’approvisionnement en matières premières riches de la planète. Dans ce sens le 12 octobre 2022, plus de 14 tonnes de nodules polymétalliques ont été prélevés à 4380m de fond dans la zone de Clarion-Clipperton dans le Pacifique, par le groupe canadien “the Metals co”.

Samantha Cotter
Samantha Cotter
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Sources :

Monopolisation des ressources maritimes

Développement de la juridiction internationale, l’AIFM

Pensée morale sur l’exploitation des ressources maritimes

Les nodules polymétallique, c’est quoi ?

Prise de décision de l’ONU et de l’AIFM sur la zone Clarion-Clipperton