Chronique d’antan : « interdit aux chiens et aux arabes »

Une chaude soirée d’été, tu t’es approché de moi. Mes yeux se sont écarquillés à la vue de cette malle que tu m’as tendue. Quelques secondes se sont écoulées. J’ai apprécié le ciel, il s’ornait de couleurs pâles ; un oranger sucré, un lila aux odeurs enivrantes. Tout portait à laisser son esprit se prêter à une rêverie. Mais il fallait rester concentré, cette boite en cuire contenait une partie de ton histoire, une partie de l’histoire d’un peuple. J’ai saisi la malle et j’y ai jeté un discret coup d’œil. Des photos, des objets, des lettres jamais encore dévoilés remplissaient cette relique. Avec précautions, j’ai sorti une photo…

La découverte

Enfin, c’était toi. Mon grand-père. Tes traits fins et gracieux traduisaient d’une beauté élégante ; un petit nez légèrement remonté, une chevelure chocolat et des yeux aux reflets verts qui envoutent celui qui s’y plonge. Tu étais habillé d’un costard noir. Ta droiture se lisait dans ta posture. Le regard pénétrant, tu inspirais puissance et justesse. Soudain mon regard fut saisi par l’arrière-plan. Quel était cet endroit à l’allure envoutante. On avait l’impression d’être plongé dans l’Alchimiste de Paulo Coelho. Un vent chaud semblait émaner de ce portrait : le désert à perte de vue et les couleurs aux tons orangers.

Ainsi commença ton récit. Sur cette photographie tu te situais dans les plaines de Chlef en Algérie prêt à représenter les nationalistes. Mais comment en étais-tu arriver à là ? Comment un jeune garçon qui aspirait à devenir médecin a fini par être l’une des têtes pensantes d’un groupe du front de libération national. Tant de questions se précipitaient dans ma tête.

Tu as pris une grande respiration. Tes yeux commençaient à briller mais je ne pouvais percevoir quelle émotion te parcourait.

Une enfance dans un pays soumis à la France

L’ambitieux jeune homme que tu étais rêvait de devenir médecin. Toutefois, l’ombre de ton père s’esquissait. À L’époque dans les grandes familles, les hommes étaient destinés à faire de la politique, un point c’est tout ! Mais comment se plaindre lorsqu’on appartient à une bonne famille en Algérie française ? En effet, vous étiez privilégiez … en quelque sorte. Votre quotidien était semblable à celui des pieds noirs, c’est-à-dire les Français vivant en Algérie Française. Vous bénéficiez de nombreux avantages et ne subissiez pas l’oppression française. Mais quelque chose de l’ordre de l’identité propre était tourmenté pour tous ces privilégiés ; ils n’appartenaient réellement à aucun peuple comme déracinés. Ils étaient considérés comme Francisés par les Algériens et les Français leur rappelaient amèrement leur origine. Ton père, 4ème sénateur de la République, fermait les yeux sur les persécutions grandissantes envers les Algériens ; il se confortait dans une illusion. Et toi ? Tu te sentais perdu dans ce pays scindé auquel tu n’avais pas vraiment l’impression d’avoir ta place.

La résistance

Cependant, lors d’une fraîche matinée de l’année 1954, en te baladant au bord de la mer, tu as découvert le panneau qui allait changer le cours de ton existence. Tu te souviens t’écrier « Quelle horreur ! Quelle honte ? ». Une pancarte disgracieuse se tenait devant la plage avec les mots : « interdit aux chiens et aux arabes ». C’en était trop ! D’un pas décidé, tu te mis en route pour Alger pour intégrer le mouvement du front de libération national (FLN). Ainsi, tu avais choisi de te battre pour les droits de ton peuple. En 1954, l’Armée de libération nationale est également fondée pour soutenir les actions du FLN. Les combats violents ont persisté jusqu’en 1962, l’année ou les accords d’Évian ont déclaré l’indépendance de l’Algérie.

Mais quel rôle as-tu joué pendant ces années de guerre ? Les mots sortirent de ma bouche sans que j’aie le temps de réfléchir une seconde. J’étais tantôt fascinée tantôt horrifiée par ce récit. Alors, tu cessas de parler et te mis à chercher un peu dans la malle, puis tu sorti un papier vieilli par les années. Je ne pouvais pas en croire mes yeux ; c’était une condamnation à a mort de l’état Français portant ton nom. Qu’avais-tu donc pu faire ? Le mouvement ne cessait de se voir grandir tout comme la haine du peuple Algérien. Tu m’as expliqué que très rapidement tu as pris une place importante dans le FLN. Ta parfaite maîtrise des deux cultures était un véritable atout. Le FLN a été reconnu coupable de plusieurs attentats dans la capitale après de vaine tentatives pacifistes demandant l’indépendance de l’Algérie. Habile, tu arrivais toujours à t’en sortir. On n’a d’ailleurs jamais vu ton nom sur aucunes des archives sauf sur un document : la condamnation à mort.

Cependant, en 1958, tu participais à une embuscade visant à faire exploser un baraquement de l’armée française. La chaleur du désert exacerbait le sentiment de haine. La tension montait. Soudain, un soldat vous a vu. Pris de panique, vous vous êtes dispersés. Tu t’es alors retrouvé face à face avec un officier français. Vous vous êtes longuement regardés.

La solitude de l’étendue de terre qui vous entourait, produisait un effet particulier. Deux hommes, seuls dans le désert. Le conflit paraissait absurde. Vous étiez ennemis mais humains. Cependant, quelqu’un devait revenir vainqueurs. Tu as tiré. Tout s’est très vite accéléré après cet évènement. Un mandat d’arrêt à ton nom a été émis. La sentence était claire : condamné à mort par l’état Français. Rapidement, tu as décidé d’abandonner ta vie en Algérie pour fuir. Arrivé dans le port le plus proche, tu as pris le premier bateau. Tu t’es alors remplis la bouche de pierres pour feindre d’être un autre. Ton rêve de voir l’Algérie libre s’effondrait, tu ne pouvais plus combattre aux côtés des tiens pour ton pays.

Le paquebot a amarré en Italie après quelques semaines. Tu as réussi atteindre la Suisse pour demander un permis de séjour de réfugié politique. Cette volonté de te battre pour l’Algérie ne s’était pas éteinte. Tu as clandestinement continué avec le réseau du FLN réfugié en Suisse à lutter pour l’indépendance jusqu’en 1962.

C’est alors que maintenant que j’ai compris quelles émotions tes yeux reflétaient : de la nostalgie, de la douleur et par-dessus tout de la joie. Tu avais dû quitter ton pays parce que tu avais voulu te battre pour son indépendance. Tes plus belles années s’étaient envolées lors des combats. La guerre t’a marqué à tout jamais toi et tous les algériens. Mais ton sourire touchant me disait que tu étais fière d’avoir pu contribuer à l’indépendance de l’Algérie. Pour que plus jamais on ne revoit une pancarte avec ces mots.

Ines Saiah
Ines Saiah
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