La saison d’alpage n’a rien d’une relique enterrée de l’histoire, et dans les Alpes francophones et alémaniques on retrouve cette tradition millénaire bien vivante.
Jusqu’ici, une image positive, parfois idéalisée, voire carrément romantique a certainement permis à l’économie alpestre de bénéficier de soutien, mais sur l’alpe, les défis restent nombreux pour valoriser les produits de l’alpage : transmission des savoir-faire, absence de main d’œuvre, gestion de l’eau, des grands prédateurs, meilleure sensibilisation du public concernant les réalités agricoles, cohabitation entre le bétail et les randonneurs.
En mai, la montée des vaches à l’alpe, puis la désalpe en octobre, sont des fêtes traditionnelles importantes où les vaches paradent ornées de couronnes fleurs avec leurs paysans en tenue traditionnelle.
À la désalpe, les paysans portent le résultat de la saison sur leur dos ou sur leur tête : les précieux fromages.
Le travail des paysans de montagne avec la nature et les bêtes est déjà protégé par l’Office fédéral de l’agriculture.
Depuis décembre 2023, avec l’inscription de la Saison d’alpage sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, l’Office fédéral de la culture est aussi concerné.
Cette idée géniale, mais tardive, vise à préserver et transmettre ce patrimoine des Alpes.
Quoi de mieux qu’une telle inscription pour peindre une image qui corresponde à la réalité alpestre ?
Avant
Depuis les premiers temps, la montagne désigne les pâturages d’altitude.
À l’état ancestral, avant que les vaches ne soient toutes gouvernées par les humains, elles s’auto gouvernaient, à l’état sauvage avec les bouquetins, les moutons, les chèvres et les chamois.
D’où vient cette tradition des paysans de suivre leur vaches qui, la saison d’alpage venue, montent en mai et redescendent en octobre ?
Aujourd’hui
De nos jours, on distingue deux types de troupeaux.
D’un côté, les vaches montagnardes qui habitent en montagne toute l’année, l’hiver à la ferme chez le paysan à côté du village, et l’été aux sommets à l’alpage.
De l’autre, les troupeaux qui vivent en hiver en bas en plaine, et montent « en vacances » à la montagne passer l’été (cette pratique contribue à la préservation des paysages et crée des liens économiques entre populations locales et alpagistes).
La poya
La poya c’est la fête au moment où les vaches montent à l’alpage et où on les décore pour la montée avec des couronnes tressées de rubans, fleurs en tissu et fleurs typiques (rhododendron alpin, aster des alpes, pulsatille des Alpes, gentiane, pin de montagne, chardons dorés).
Dans chaque troupeau, il y a une reine des vaches, c’est la maitresse du troupeau, celle qui mène le troupeau, qui est devant et qui se fait respecter de toutes, porte la plus belle couronne.
Sur les couronnes on peut aussi ajouter des petits miroirs pour détourner le mauvais œil, des grelots et des clochettes, clarines et sonnailles pour éloigner les mauvais esprits.
La Poya est une tradition séculaire où art et fête s’unissent à agriculture.
Dès 1800, c’est aussi une peinture sur bois qui représente la transhumance de manière bucolique.
La saison d’alpage, patrimoine alpestre vivant
La saison d’alpage, ou l’estive, c’est un terroir particulier : c’est une peu comme passer les vacances d’été comme un Lausannois, un Grison ou un Bernois viendrait à Leysin, Val d’Illiez ou Zermatt. Comme les oiseaux migrateurs pour trouver à manger, les vaches migrent : naturellement elles montent l’été et descendent l’automne.
La transhumance, ou l’inalpe et la désalpe, vient du fait que naturellement, les vaches montent l’été pour brouter du fourrage plus riche sur les pâturages d’altitude, et redescendent dès que la végétation s’arrête de croître l’automne ou que la neige des premiers froids précoces vient recouvrir l’herbe.
La Saison d’alpage réunit tout un répertoire notamment de coutumes, savoir-faire (méthodes de fabrication du fromage, de gestion des pâturages) et rituels (contes et chants traditionnels) qui en font un patrimoine alpestre vivant.
En Suisse, ce patrimoine est solide et on en retrouve des marques « romantiques » dans l’imaginaire collectif sous forme d’art, objets en bois (cuillères à crème), récits historiques, contes et légendes dans la littérature, ainsi que dans la musique, la peinture ou les découpages.
C’est une expérience qui unit les éleveurs, villageois et la population au sens large.
Léonard Cohen disait : « j’ai vu un groupe de vaches dans un champ. Leur beauté m’a frappé, à tel point que je me suis agenouillé pour les vénérer. Et figurez-vous qu’elles étaient très contentes. Plus je les vénérais, plus elles étaient contentes ».
Un terrain idéal pour l’alpage
Par exemple, avec des hameaux d’habitations développés dès l’an 1111 à Leysin, « idéalement situés sur des plateaux de montagne orientés plein sud, protégés des vents du nord par des pentes et des monts de forêts d’épineux denses, avec des terrains riches et bien exposés au soleil : une vie paysanne bénéficiant d’un climat local d’exception a permis à cette commune de montagne de se développer ».
Mouvements constants
À Leysin, la vie des familles paysannes était organisée au rythme de la transhumance. Aujourd’hui, le déplacement saisonnier du bétail se fait toujours en fonction de la pousse de l’herbe des pâturages en altitude. « Il était habituel de se déplacer tous les deux ou trois mois d’un chalet d’alpage à un autre. Les 15 chalets d’alpage du lac d’Aï à plus de 2000 mètres d’altitude, sont le véritable patrimoine de la vie paysanne du 18ème et du 19ème siècle ».
Dans le temps les vaches étaient traites, on trayait du lait pour aller à la laiterie, ou pour faire du fromage, ou pour nourrir les veaux. Aujourd’hui on a aussi des vaches allaitant leurs veaux, et la légende de Alfred Cérésole est toujours vivante : « il y avait une fois, dans la grotte de la Tour D’Aï, de mignonnes fées qui venaient danser la nuit dans les rayons de lune au bord du petit lac alpin de couleur émeraude. Les armaillis, qui gardent les vaches à la montagne et qui font durant l’été de si beaux fromages ronds, aimaient les fées et déposaient chaque soir à leur intention, sur le faîte d’un chalet, un baquet de bonne crème épaisse. On n’apercevait jamais les fées d’Aï, mais on savait qu’elles portaient bonheur et qu’elles protégeaient les bergers ».