ENTRE DÉSINFORMATION ET INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES : LA LUTTE POUR L'INFLUENCE EN AFRIQUE

Depuis l’arrivée des Européens, ce continent à la forme si particulière sur nos cartes du monde est devenu, malgré lui, un enjeu central pour les puissances occidentales. L’Afrique, un continent de tentations, riche en ressources et en nature, de souffrances, de luttes de pouvoir, et la maison de nombreux peuples qui ont dû subir de nombreuses guerres et qui doivent encore aujourd’hui vivre avec un lourd héritage postcolonial.

Notamment, l’Angleterre et la France ont joué un rôle prédominant dans l’histoire coloniale, mais de nombreux pays comme l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas – ou même le Portugal et la Belgique – ont également été impliqués. Puis, la Seconde Guerre mondiale a bouleversé les relations de pouvoir, et après celle-ci, les revendications d’indépendance en Afrique ont augmenté partout et se sont intensifiées. Depuis 1945, toutes les nations africaines sont devenues indépendantes, avec Djibouti (relevant de la puissance coloniale française) en 1977 et le Zimbabwe (relevant de la puissance coloniale anglaise) en 1980 comme les dernières.

LA CONFIANCE JOUÉE

Malgré cela, les puissances occidentales ont toujours gardé des liens très étroits avec leurs anciennes colonies, comme l’Angleterre avec la création du Commonwealth et la France avec des accords bilatéraux et multilatéraux. Un intérêt primordial pour les puissances occidentales était de maintenir des troupes sur place, ce qu’elles ont réussi à faire sous le prétexte de défendre le pays en question en cas de danger et d’assurer sa sécurité.

En 1981, le président François Mitterrand assurait lors de son voyage en Afrique que « la France n’est pas le gendarme de l’Afrique ». Pourtant, depuis lors, la liste des interventions françaises sur le sol africain est longue, voire très longue. Au total, on dénombre 52 interventions entre 1964 et 2014, ce qui montre clairement qu’elle a pris une position de gendarme. Pour l’Angleterre, c’est d’ailleurs une situation similaire. Pour les deux pays, les relations entre les populations locales et les forces déployées se sont détériorées depuis les décolonisations, notamment ces dernières années. Cela résulte d’une part des promesses creuses des anciennes puissances coloniales, qui ont considérablement entamé leur confiance en poursuivant leurs propres intérêts, et d’autre part de l’arrivée de nouveaux acteurs sur le continent africain.

LE BOULEVERSEMENT DU STATU QUO

Aujourd’hui les rapports de forces ont changé et c’est une sorte de « néo-colonialisme » qui s’est implémenté en Afrique, en bouleversant les rapports existants et en augmentant la colère des peuples contre les anciennes puissances coloniales.

La Russie est le chef de file de ces actions, qui s’attaquent principalement aux anciennes colonies françaises dans le but de réduire l’influence de la France et donc de l’Europe en Afrique. Dans son ombre, la Chine agit plus discrètement, mais de manière tout aussi drastique et cohérente que Moscou.

Ein Bild, das Text, Karte, Atlas enthält.Automatisch generierte Beschreibung — Une carte illustrant les influences françaises et russes sur les anciennes colonies (source : Diplo Web)

Depuis février 2022, les forces françaises se sont retirées du Mali, du Burkina Faso et du Niger sous la pression des autorités de ces pays ainsi que des manifestations contre la France. Étonnamment, on trouve également dans ces pays la présence des troupes Wagner, une armée privée russe. Mais on verra plus tard leurs rôles dans le jeu.

La Russie mise sur l’exportation d’armes et le transfert de mercenaires dans les régions africaines, tandis que Pékin poursuit une autre stratégie, plus économique, consistant à réaliser d’énormes projets de construction et à acheter des terres entières afin de renforcer son influence. On peut établir un parallèle avec le début des conquêtes coloniales en Afrique par la France et l’Angleterre en 1830. Les Français étaient connus pour leur colonialisme militaire, tandis que les Anglais étaient plus connus pour leur commerce et agissaient davantage dans un intérêt économique. L’histoire se répète.

La Chine a considérablement augmenté ses investissements et ses prêts accordés aux pays africains au cours des années précédentes, et les experts craignent une dépendance croissante de l’Afrique vis-à-vis de la Chine. Ces deux acteurs cherchent à attirer l’Afrique de leur côté et à creuser un fossé entre l’Afrique et l’Occident. Son véritable projet est l’extension et l’élargissement de la Route de la Soie, un méga-projet qui doit rapprocher la Chine du monde entier en matière de commerce.

LA LUTTE POUR L’INFLUENCE

De retour sur les troupes Wagner, celles-ci sont précisément utilisées pour déstabiliser l’influence des pays occidentaux en Afrique, notamment la France, qui a le plus d’anciennes colonies sur ce continent. À l’aide de campagnes de désinformation et de moyens de catalyse, la Russie a réussi à attiser la colère dans les rues et sur la scène politique contre la France. Cela n’a pas été très difficile car il existe encore des ressentiments très profonds au sein des populations contre l’ancien colonisateur. À cause des événements historiques, les populations sont aujourd’hui plus ouvertes aux Russes et aux Chinois qu’aux Européens parce que ces deux premiers n’étaient pas des puissances coloniales. De plus, comme ils étaient ou sont encore des régimes communistes, ils en profitent pour se présenter comme des frères venus pour les aider.

France-Russie : Ouattara, Goïta, Sassou Nguesso… Les cibles et alliés de Paris et de Moscou - Jeune Afrique — Une image qui montre des acteurs principaux en Afrique (Source : Jeune Afrique)

Une étudiante malienne a déclaré dans le Tagesschau que « la troupe de mercenaires Wagner est là pour nos intérêts communs ainsi que pour un développement à long terme. Les Français, quant à eux, veulent seulement nous faire croire que nous avons des intérêts communs. En vérité, ils ne se soucient que de leurs propres intérêts ». Cela montre en effet la profondeur de la problématique. Les troupes de Wagner sont-elles véritablement mieux ? Est-ce que renvoyer les troupes d’un pays comme la France, qui fait partie des plus vieilles démocraties au monde, et les remplacer par des troupes d’un régime autoritaire qui est en ce moment en guerre en Europe avec l’Ukraine est vraiment préférable ?

Les hommes et femmes politiques en Europe, notamment à Paris, sont inquiets pour les événements à venir, comme l’a souligné l’ex-ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin sur la chaîne France : « l’Afrique se révolte contre nous. Beaucoup exigent que la France quitte l’Afrique. On se trompe en pensant que ces pays sont neutres. Ils sont un levier de la politique mondiale, que la Russie utilise en ce moment ».

BEAUCOUP DE PAROLES MAIS PAS D’ACTES

L’Europe, autrefois colonisatrice du monde et aujourd’hui dernier bastion des démocraties, est dans une position difficile et son influence est en déclin. La France et la Grande-Bretagne ont du mal à assumer leur passé colonial et sont peu à peu contraintes de céder la place à d’autres puissances pour combler le vide de pouvoir qui s’est créé. Malheureusement, ces puissances sont dirigées de manière autocratique et ne respectent pas les principes des droits de l’homme et de la dignité de chaque individu.

Mais ce qui est presque plus important, c’est que ni les anciennes puissances coloniales ni la néo-colonisation n’ont vraiment réussi à faire sortir les peuples et les États africains du stade de pays en développement et que, finalement, chaque pays poursuit ses propres intérêts. Les Russes et les Chinois ont beau prétendre qu’ils sont là pour avancer ensemble dans la fraternité selon des principes communistes, il s’agit en fin de compte pour la Russie d’étendre sa puissance et de créer un contrepoids à l’Europe hostile à la Russie, et pour la Chine de développer ses intérêts économiques et donc, indirectement, d’accroître sa propre puissance.