La présence du Conseil fédéral sur Instagram – analyse d’une membre de la

Voilà depuis 2021 que le Conseil fédéral nous en parle. Non, je ne pense pas à la fin du Covid ou à une solution miraculeuse aux problèmes énergétiques auxquels nous faisons face mais bien … du compte Instagram de la Confédération helvétique.

Toujours aussi rapide que nous le connaissons, n’oublions pas notre cher dicton « aussi vite que possible mais aussi lentement que nécessaire » ; il aura fallu presque 16 mois à notre gouvernement pour inaugurer le 10 octobre 2022 son compte Instagram.

Pourquoi Instagram ? Pourquoi maintenant ? Et surtout est-ce que ça fonctionne vraiment ? Voilà des questions qu’une personne qui passe un peu trop de son temps libre sur Instagram va décrypter pour vous.

Pourquoi une présence sur Instagram aujourd’hui ?

Dans sa stratégie média communiquée le 26 juin 2021, le Conseil fédéral juge important d’augmenter sa visibilité médiatique sur les plateformes en ligne, comme YouTube, Twitter ou Instagram.

À cette volonté d’augmenter sa présence, on y trouve deux explications principales : une possibilité d’augmenter sa visibilité internationale mais aussi et surtout de toucher un public souvent connu comme réticent en ce qui concerne la politique, les 18 – 35 ans, qui sont 80 % à utiliser Instagram et 40% qui l’utilisent pour s’informer.

En 2018, 80% des pays membre de l’ONU possédaient une présence sur les réseaux sociaux, l’idée d’un compte Instagram n’est pas révolutionnaire et s’inscrit dans une stratégie de communication moderne.

Pour cibler les jeunes, la Confédération s’entoure de son équipe marketing, composée de 10 personnes, qui trouvera les bonnes formes de communication auprès de cette frange de la population.

Une image soignée

Afin de comprendre cette communication auprès des jeunes, je me suis rendue sur le compte Instagram de la Confédération afin de découvrir l’image que la Confédération a souhaité renvoyer à ses citoyen·ne·s.

Premièrement le nom : @gov.ch. Il semblerait que ce dernier soit issu d’une longue réflexion. La Confédération a cherché un nom qui pouvait se lire dans toutes les régions linguistiques de la Suisse. On a donc opté pour de l’anglais.

Pour le reste de ses publications, la Confédération s’exprime en allemand, français et italien sur la majorité de ses publications, à l’exception de deux publications, en romanche, où le Conseil fédéral remercie la population grisonne d’être venue à sa rencontre lors de sa session extra muros qui a eu lieu à Val Müstair (GR). La bio est également écrite dans les quatre langues ainsi qu’en anglais.

Au niveau graphique, les publications (10, pour le moment) sont bien équilibrées en termes de couleurs. On reste majoritairement sur des tonalités froides avec quelques touches de couleurs chaudes çà et là.

Une même esthétique est appliquée en stories (contenus image ou vidéo de moins d’une minute, destinées à être visibles pendant 24 heures). L’entier des stories sont enregistrées en stories « à la une », rangées dans trois catégories : décisions, events et quiz, avec une couverture comprenant un logo blanc sur fond bleu, qu’on peut apparenter au bleu fédéral chez Pantone®.

La Confédération est abonnée à 91 comptes comme la Ville de Lausanne, de Genève ou d’Yverdon, les Nations Unies, le Conseil de l’Europe, la Maison Blanche ou le Gouvernement australien. On y voit une volonté de tisser des liens d’entente et, comme nous en avons parlé préalablement, d’agrandir sa présence médiatique à l’international.

Une présence pertinente

Toute personne qui connait un peu le fonctionnement d’Instagram a déjà entendu parler d’algorithme. Pour ceux à qui cela ne rappelle que des souvenirs des cours de maths, voici une petite explication.

Instagram a un certain nombre de critères qui détermineront à quel point un compte sera mis en avant. Le point le plus important est l’interaction avec la communauté, plus précisément la fréquence à laquelle ces interactions ont lieu. Entre autres, les comptes Instagram sont recommandés aux utilisateur·trice·s en fonction de similarité dans le contenu. Par exemple, si vous êtes un·e passionné·e de randonnée et avec tendance à suivre ou aimer des comptes qui en parlent, Instagram aura tendance à vous proposer d’autres comptes qui ont trait à la randonnée et qui publient en moyenne une publication par jour.

En sus, Instagram connait depuis quelques années maintenant les reels, vidéos qui durent jusqu’à 90 secondes. À nouveau, certains seront recommandés en fonction des points d’intérêt ainsi que de l’interaction du compte proposé avec sa communauté. Finalement, si le compte utilise des pistes audios tendances, l’algorithme Instagram mettra plus en avant le compte.

Les conseils qu’on peut retenir pour augmenter sa visibilité sur Instagram sont les suivants : proposer du contenu par reels, poster à des heures où sa communauté est plus active, utiliser des hashtags pertinents, poster régulièrement et finalement engager activement sa communauté, c’est-à-dire les faire participer à des sondages en stories, liker ou commenter les publications.

On peut se demander en quoi le compte Instagram de la Confédération remplit ces critères. La Confédération compte aujourd’hui 10 publication sur son compte, avec donc une moyenne d’une publication par jour, 3 reels et un peu moins de 40 stories postées. Certaines stories comportent des quiz, d’autres des liens externes qui poussent à l’interaction de la communauté. Une présence qui a l’air de plaire puisque le compte de la Confédération compte à ce jour 47,2k d’abonné·e·s.

Le compte est en autre vérifié ou certifié, c’est-à-dire qu’Instagram a authentifié le compte.

La Confédération a donc bien compris comment faire le meilleur usage de son compte Instagram. Cependant on peut se demander dans quelle mesure le compte serait réellement mis en avant dans l’onglet Explorer d’Instagram. Quand bien même sa présence algorithmique peut être intéressante, à quel point Instagram a-t-il tendance à proposer des contenus purement politiques ?

Un contenu « très institutionnel »

Parce qu’avoir un compte plaisant à l’œil et qui fonctionne ce n’est pas tout, qu’en est-il du contenu que partage la Confédération ?

Le Conseil fédéral déclare vouloir que les 7 départements soient représentés via le compte Instagram, sans garantir que cette représentation sera égale.

À ce jour, parmi les 10 publications, on trouve 3 publications axées sur le sujet de l’énergie. Il s’agit là pour l’instant du seul département réellement représenté (hors résumé des décisions prises). Cette ligne directrice s’explique très clairement par le contexte énergétique actuel auquel la Suisse est confrontée. Cela va de pair avec la campagne que vous aurez surement vus dans la rue, les transports publics ou à la télévision. On y retrouve aussi chaque semaine un résumé des décisions prise par les 7 sages, qui incite la population à s’intéresser davantage à la politique.

On se trouve face à un contenu institutionnel et politique, mais aussi qui va à la rencontre de la population, notamment dans un reel ou des jeunes sont interrogé·e·s sur ce qu’ils attendent du compte de la Confédération.

Un aller simple vers la propagande étatique ?

Le Conseil fédéral est clair sur son objectif de présence sur Instagram : influencer la formation de l’opinion de la population, notamment des jeunes.

Comme on a pu le voir, par une image et une présence qui peut plaire à notre génération, la Confédération nous fait passer un message politique via ses publications.

Le compte Instagram de la Confédération ne fait pas que des heureux. C’est notamment le cas de l’UDC, connu comme parti d’extrême droite en Suisse, qui s’étonne de la nécessité d’employer une équipe de 10 personnes pour gérer ce compte et critique le contenu jusqu’à maintenant « peu intéressant ».

Alors le compte risque-t-il vraiment de ne présenter qu’une opinion, celle du Conseil fédéral, au détriment de la formation d’opinions individuelles ? Seul le temps nous le dira. C’est également l’avis de Lysander Jessenberger, conseiller en communication, qui estime qu’il faut « laisser le temps [à la Confédération] d’offrir une approche différente sur la durée ».

Matthias Lüfkens, expert en diplomatie digitale nous donne certaines pistes que pourraient prendre notre gouvernement :

« Certains leaders politiques en Europe n’hésitent pas à poster des selfies sur leur compte Instagram. Je pense que le gouvernement peut avoir une touche d’humour. Il faut un bon équilibre entre infographies et les à-côtés du Conseil fédéral pour que le compte soit intéressant, informatif et, surtout, divertissant. »

Ce à quoi le chef suppléant de la Section communication de la Confédération répond qu’« il est envisageable de faire du contenu divertissant, de temps en temps, mais toujours en lien avec le travail du Conseil fédéral ».

Il ne nous reste plus qu’à patienter pour savoir si ce contenu divertissant sera à la hauteur des attentes.