Le Petit Guide de la Politique Suisse

Cet article est le deuxième d’une série de trois articles sur la politique suisse. Vous pouvez retrouver le premier article ici. Le dernier article sera publié le 7 mars.

Tome 2 : Comprendre le fédéralisme

Confédération helvétique, État fédéral, fédéralisme helvétique… Tant de mots compliqués qui se rapportent à la Suisse mais dont on ne comprend pas toujours le sens exact. Or, le fédéralisme est au cœur de notre pays, au sein de nos institutions comme dans notre vie quotidienne. Le deuxième numéro de cette série sur la politique suisse vous invite à un voyage dans le temps afin de mieux comprendre la Suisse. Enfilez votre plus belle chemise edelweiss et prenez votre cor des Alpes, un long périple au travers des siècles nous attend.

Aux origines de la Suisse

Notre aventure commence évidemment en 1291. Outre le nom d’une bière que l’on trouve en vente chez Denner au mois d’août, 1291 est surtout l’année du mythe fondateur de la Suisse. Selon la légende, c’est le 1er août 1291 que se sont réunis trois représentants d’Uri, de Schwitz et d’Unterwald sur la plaine du Grütli pour créer un nouveau pays. Les historiens ont prouvé que la date avait été choisie de manière plutôt hasardeuse et qu’il n’y a pas un seul traité fondateur mais un ensemble de traités établis sur plusieurs années. Peu importe, ces documents ne visaient finalement qu’à faciliter le commerce entre les cantons de la Confédération helvétique. Il s’agissait en effet d’une confédération, c’est-à-dire un ensemble d’États indépendants qui avaient des accords entre eux pour des problématiques particulières mais qui restaient souverains chez eux. Nous sommes donc encore très loin de la Suisse que nous connaissons.

Avançons de quelques siècles. Nous sommes au début de l’an 1798, la Confédération helvétique est désormais composée de 13 cantons, dont certains ont plus de pouvoir et dominent des territoires qui vont progressivement s’ajouter à cet ensemble. En effet, le 24 janvier 1798, le canton de Vaud est libéré du contrôle des Bernois par les troupes de Napoléon qui vont vite prendre le contrôle de toute la Suisse. Libérés des Bernois mais envahis par les Français… Malgré tout, cet événement aidera beaucoup la Suisse à devenir ce qu’elle est aujourd’hui. En 1798 toujours, Napoléon proclame la République helvétique, sous domination française. Avec ce nouveau nom pour l’ensemble du territoire s’opère aussi une unification totale de la Suisse. Les cantons disparaissent, devenant de simples unités administratives, et le pays est uni, sur le papier. Dans la réalité, les appartenances cantonales sont trop ancrées pour espérer les faire disparaître si facilement. Insatisfaits du régime et en proie à de nombreuses ébauches de guerres civiles, les cantons réclament leur indépendance. L’unification semble être un échec et Bonaparte doit trouver une solution à ce problème.

Nous sommes maintenant en 1802 et Napoléon décide d’organiser la Suisse selon un modèle fédéraliste. Le fédéralisme est un ensemble d’États (dits « États fédérés ») qui cèdent ensemble certaines de leurs compétences au profit d’un nouvel État, supérieur à eux, l’État fédéral. Autrement dit, les cantons regagnent une partie de leur autonomie, mais restent sous le contrôle des Français. Il s’agit encore d’une forme de fédéralisme imposée par le haut, c’est-à-dire que les cantons, qui ont retrouvé leurs frontières, sont contraints de renoncer à leur autonomie mais ne le font pas de leur plein gré. Néanmoins, un certain équilibre est trouvé et durera jusqu’à ce que Napoléon abandonne le contrôle de la Suisse, sentant la fin de son règne approcher.

En 1815, Bonaparte est chassé de France et les frontières de l’Europe doivent être redéfinies. C’est lors du Congrès de Vienne que l’on négociera cela entre les représentants des différents États européens. Quelques mois plus tôt, la Suisse s’est réorganisée en une confédération d’États, mais cette fois sur la base d’un seul traité, signé par tous les cantons. Au Congrès de Vienne, les grandes puissances s’accordent pour déclarer la neutralité perpétuelle de la Suisse, désormais composée de 22 cantons. La situation semble s’être calmée, les Suisses ne feront plus jamais la guerre et ils vivent désormais tranquillement dans leurs cantons respectifs. Cependant, les temps changent et le parti radical-démocratique, ancêtre du PLR d’aujourd’hui, devient de plus en plus important dans les cantons dits protestants. Les sept cantons catholiques se sentent menacés par cette idéologie des villes qui veut se distancier de l’Église, mais surtout qui demande une plus grande centralisation du pays, donc une perte d’indépendance des cantons. Il s’agit donc davantage d’un conflit politique que religieux.

Nous arrivons à la dernière étape de notre voyage. Nous sommes en 1847 et, après des années de tension pendant lesquelles les cantons catholiques se sont alliés secrètement pour se protéger contre les cantons protestants, la guerre civile éclate en Suisse. Dernière guerre que le territoire ait connu à ce jour, on la nomme guerre du Sonderbund, du nom de l’alliance des cantons catholiques. En 25 jours, l’affaire est pliée et les cantons catholiques se sont tous rendus. La suite de l’histoire est sans doute tributaire de la volonté du chef de l’armée victorieuse, le général Dufour, qui a décidé de mener la guerre en tuant le moins d’ennemis possible. En effet, les deux armées combattaient dans le même uniforme et avaient appris l’art de la guerre dans les mêmes casernes, il s’agissait donc davantage de frères que d’ennemis. L’idée de Dufour et d’autres radicaux-démocrates était de reconstruire la Suisse sous la forme d’un État fédéral mais en y intégrant entièrement les perdants du Sonderbund. Il fallait donc ménager l’ennemi pour l’intégrer ensuite comme un ami. C’est chose faite en 1848 lorsque la première Constitution de type fédéraliste est adoptée par le peuple. La Suisse en tant qu’État fédéral est née.

Mise en place du fédéralisme

Nous l’avons vu, la volonté de Dufour et de ses contemporains était de ménager les perdants de la guerre et leur donner envie de faire partie d’un nouvel État. Pour cela, il fallait éviter de les réduire à néant sur le champ de bataille, certes, mais ce n’était pas suffisant. Après la guerre, dans l’élaboration de la nouvelle constitution, de nombreux cadeaux ont été faits aux perdants. En créant un nouveau parlement démocratique, les constituants décident de le composer de deux chambres, le Conseil national et le Conseil des États, chaque chambre ayant autant de pouvoir que l’autre. On parle de bicamérisme égalitaire. Au Conseil national, les sièges sont attribués aux cantons proportionnellement à leur population, ce qui avantage les cantons urbains, gagnants du Sonderbund. En revanche, au Conseil des États, chaque canton a droit à deux sièges, exception faite des demi-cantons qui en possèdent chacun un. Ainsi, les sept cantons catholiques sont surreprésentés. On le voit cette année encore, près de 200 ans plus tard : le PDC, parti emblématique des cantons du Sonderbund, devient de plus en plus marginal au Conseil national tandis qu’il reste le premier parti au Conseil des États. Le Sonderbund n’est pas si loin qu’on ne le pense…

Lors de la mise en place du système fédéraliste, certains principes ont été appliqués pour les cantons. La nouvelle constitution prévoit donc de garantir l’autonomie des cantons pour s’administrer librement dans leurs domaines de compétence. Cependant, elle reconnaît que les cantons sont contraints de se conformer au droit supérieur qui vient de l’État fédéral. Enfin, elle accorde aux cantons la possibilité de participer à la vie politique au niveau national par divers outils, comme le référendum cantonal, entre autres exemples. Autrement dit, lorsque la constitution dicte leur comportement aux cantons, ceux-ci sont tenus de s’y soumettre mais, dans les domaines où la constitution n’intervient pas, ils sont libres d’agir comme ils le souhaitent. En plus, ils sont un acteur à part entière de la vie politique et peuvent faire entendre leur voix. Enfin, il ne faut pas oublier que la Suisse connaît un fédéralisme à 3 niveaux, c’est-à-dire que cette organisation est valable entre les cantons et la Confédération, mais aussi entre les communes et le canton. Une commune a donc une certaine autonomie et des domaines de compétence spécifiques.

Le fédéralisme au quotidien

Toutes ces notions sont peut-être encore abstraites, mais le fédéralisme a des implications même dans notre vie quotidienne. C’est pourquoi il faut s’intéresser à ce qui est bon et moins bon dans le système suisse. En ce qui concerne les limites du fédéralisme, nous avons vu que la prépondérance du PDC est potentiellement problématique car elle ne semble pas représenter l’opinion de la majorité de la population. Pourtant, rien ne peut être fait pour équilibrer cela sans chambouler toute l’organisation du pays, et il ne reste donc plus qu’à attendre que les cantons catholiques changent de préférences partisanes ou que le PDC redevienne plus populaire. Plus concrètement, le fédéralisme se retrouve dans les différences entre cantons. Si le gymnase dure 3 ans dans le canton de Vaud, il dure 4 ans à Fribourg et cela ne pose aucun problème légal. En effet, en matière d’éducation par exemple, les cantons sont compétents et gèrent seuls leurs systèmes scolaires. Ainsi, certains services publics sont très difficiles à uniformiser, les cantons ne souhaitant pas renoncer à leur souveraineté. Un autre problème serait la lenteur accrue des procédures qui doivent souvent passer par les trois niveaux du fédéralisme, c’est-à-dire la commune, le canton, puis enfin l’échelon fédéral. C’est le cas avec les demandes de naturalisation, par exemple.

Outre ces limites que l’on peut trouver au fédéralisme, il n’en demeure pas moins un bon système. Premièrement, car si la Suisse ne s’était pas construite en un système fédéraliste respectant aux mieux les identités cantonales, nous parlerions probablement tous allemand ! En effet, les pays qui possèdent plusieurs langues officielles, comme la Suisse, le Canada ou la Belgique, connaissent un système fédéraliste, mieux adapté à leurs spécificités régionales. C’est pourquoi le fédéralisme permet de préserver au mieux les cultures diverses des différents cantons. En outre, cela nous permet d’avoir accès à des services publics mieux adaptés à nos besoins, grâce au principe de subsidiarité, au cœur de l’organisation de notre pays. En effet, ce principe de droit constitutionnel dit que tout ce qui peut se faire à l’échelon le plus bas du pays ne doit pas être délégué. Ainsi, si une commune est capable de s’acquitter de certaines tâches, le canton doit lui laisser l’autonomie dans ces tâches spécifiques. Les autorités communales sont des agents de terrain qui connaissent mieux que quiconque les besoins de leurs habitants. Finalement, lorsqu’on repense à l’histoire suisse et à la difficulté d’unir un pays très divisé, on comprend que tout doit passer par la recherche permanente d’un consensus et en faisant de nombreux compromis. Cette culture du compromis helvétique nous vient donc tout droit de la guerre du Sonderbund et est exacerbée par le besoin de compromis, afin de faire accepter un projet de loi par exemple, à un parlement qui met les gagnants et les perdants de la guerre sur un pied d’égalité.

En conclusion, notre périple à travers l’histoire suisse nous a permis de comprendre que, contrairement à la France ou d’autres États unitaires et très centralisés, la Suisse telle que nous la connaissons n’aurait pas pu exister sans organisation fédéraliste. Les différences entre cantons étaient trop grandes à l’époque du Sonderbund et, près de 200 ans plus tard, le constat semble être resté le même. Nombreux sont les Suisses qui aiment cette organisation particulière et complexe qui, malgré ses défauts, prône l’intégration des différences plutôt que la convergence vers un idéal de la nation.

Deborah Intelisano
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Sources :

  • https://www.ch.ch/fr/
  • Cours du Pr. Andreas Ladner, Politique et institutions suisses, IDHEAP, Unil, 2019.
  • Cours du Pr. Bernard Voutat, Institutions politiques et droit constitutionnel, SSP, Unil, 2016.