« Panama papers » ou le yearbook des fraudeurs

A l’instar du jeudi 29 octobre 1929, le fameux Black Thursday, le dimanche 3 avril 2016 n’est pas prêt d’être oublié. Après avoir passé plus d’un an à collecter et à analyser 11.5 millions de documents secrets du bureau d’avocats panaméen Mossack Fonseca, 370 journalistes de l’International Consortium of Investigative Journalists publient les noms des protagonistes impliqués dans cette vaste affaire d’évasion fiscale, dite des « Panama Papers ».


 

L’idée de la société offshore

Les sociétés offshore shell sont des compagnies inactives économiquement, créées dans des pays qui offrent de conséquents avantages fiscaux, en échange d’une taxe qui permet aux non-résidents d’y établir leur compagnie offshore. L’idée des sociétés offshore est donc plutôt attrayante. Le droit fiscal stipule en général que les détenteurs de comptes bancaires à l’étranger doivent les déclarer. Néanmoins, les personnes morales ne sont pas dans l’obligation de déclarer leurs avoirs et leurs comptes. L’intérêt d’une société offshore est tel que la personne physique détentrice de cette société peut « cacher » son argent à travers cette entité de façon anonyme et ainsi échapper au fisc. Ces pratiques sont illégales dès l’instant où le bénéficiaire à l’origine est une personne physique.

 

L’origine des leaks

Il y a environ un an, le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung a reçu de nombreuses pièces témoignant d’une partie des activités de Mossack Fonseca : mails, tableurs et copies de fax… Ces informations, de sources anonymes, incluent près de 11.5 millions de documents (260 GB !), soit 152 fois plus de renseignements que les informations divulguées par Julian Assange à travers WikiLeaks.

 

Mossack Fonseca

Mossack Fonseca est un bureau d’avocat panaméen créé en 1977 à Panama par Jurgen Mossack et Ramon Fonseca Mora. Considéré comme le 4ième plus grand cabinet dans le domaine, Mossack Fonseca a créé 214’000 entités dans 21 pays différents. A titre d’exemple, Mossack Fonseca contribue pour 80% du PIB du micro-état Niue situé dans le Pacifique. La capacité à contourner les normes internationales et le soutien de quelques 14’000 établissements financiers sont à l’origine du succès de ce cabinet. Mossack Fonseca était ultérieurement impliqué dans d’autres scandales tels que Pétrobas ou le braquage du Brink’s Mate.

 

Un spectre de fraudeurs fiscaux

D’un jeune héritier à la fortune colossale au président d’un état, ce scandale lève le voile sur les fraudes fiscales perpétrées. Selon les documents traités, la grande majorité des sociétés offshore ont été créées pour le compte de personnalités russes et chinoises. Grâce au soutien d’un de ses plus proches collaborateurs, Vladimir Poutine aurait ainsi réussi à placer 2 milliards USD dans différentes sociétés offshore. En tout, cinq chefs d’états actuellement au pouvoir ont eu recours aux services de Mossack Fonseca. La liste comprend également des personnes proches de dictateurs déchus telles que les familles Khadhafi et Moubarak. Du côté des artistes, nous comptons également le réalisateur espagnol Pedro Almodovar ou la chanteuse Tina Turner. Après le scandale de la FIFA, le monde du sport replonge de nouveau dans la tourmente, avec l’implication de Michel Platini.

 

L’implication de la Suisse

La Suisse a joué un rôle notable dans la création de sociétés offshore. Parmi les 14’000 établissements financiers associés à Mossack Fonseca, on dénombre 1’200 fiduciaires, bureaux d’avocats et banques suisses. Les banques Crédit Suisse et HSBC Suisse sont les plus concernées. Les intermédiaires financiers helvétiques ont contribué à la création de 34’300 sociétés offshore, soit 16% de la totalité des sociétés offshore créées.

Bien que les évadés et fraudeurs fiscaux ont de plus en plus de mal à « tricher », le scandale des « Panama Papers » révèle que des alternatives pour placer son argent sans le déclarer subsistent encore. Suites aux pressions internationales, la Suisse a adhéré à l’échange automatique de renseignements, ce qui met fin, dès 2018, à son secret bancaire. Cet accord, initié par l’OCDE et l’UE, permet aux états membres de partager les informations et ainsi de limiter la fraude fiscale. Cet échange ne prend néanmoins pas en compte les sociétés offshore mais pourrait, à l’avenir, potentiellement être étendu à ces dernières. Avec une opacité de 72% sur les informations financières, le Panama est désigné comme un état peu coopératif dans la lutte contre la fraude fiscale. Cette abstention peut être expliquée par l’importance que jouent les services financiers offerts par ce pays pour le développement de son économie.

Manel Mahmoudi