Le système de l’assurance maladie va mal en Suisse. C’est un sujet qui cristallise les tensions comme nous avons pu le voir avec la polémique sur le salaire des médecins que beaucoup considèrent comme indécent (un autre sujet, vaste et pas si simple qui lie mérite et responsabilité et dont cet article ne parle plus dès la fermeture de cette parenthèse) et qui pousse certains à faire des propositions (un peu trop) extrêmes. Ainsi, Madame Colatrella, CEO de la CSS dont le nom est ironiquement si proche de collatérale (et ses victimes ?) propose une hausse de la franchise de l’assurance minimale à 5’000 ou 1’0000 CHF pour une baisse des primes de 170.- par année pour les assurés. Irréaliste et dangereuse, cette idée nous met aussi face à certaines obligations qui incombent à un pays comme le nôtre.
Une assurance obligatoire mais privée
Le système suisse tire son unicité du fait qu’il allie l’obligation pour chaque citoyen d’être assuré, comme dans beaucoup d’autres pays, à une offre d’assurance complètement privée. L’argument principal derrière cet état des choses reste l’idée que les prix seront tirés au maximum vers le bas si le marché est ouvert et met en concurrence des offres qui ne se différencient que sur leur tarifs (pour les prestations minimums). Si c’est théoriquement vrai, cela ne marche pas aujourd’hui sur ce marché en particulier où il n’y a pas de concurrence saine. Les assureurs sont devenus ces géants qui oublient qu’ils ne sont que des intermédiaires et qu’ils ont un mandat presque public par le caractère obligatoire de la souscription à leur prestation.
Conséquences d’une mauvaise couverture de base
Lorsqu’un pays comme la Suisse pousse des gens qui sont déjà dans une situation précaire à souscrire à des assurances de base qui n’existent que parce qu’elles sont obligatoires et ne couvrent rien, il prend plusieurs véritables risques. Premièrement, le risque que les gens qui ne peuvent pas payer leur franchise décident de ne pas se soigner ou en tout cas de ne pas prendre toutes les précautions pour rester en bonne santé. Et cela ne sera pas sans conséquences. Laissez 2-3 générations passer leurs bonnes années à se dire qu’ils vont bien, que le dépistage de ci ou de ça, les check-up, c’est pour les autres, ceux qui ont les moyens de passer la deuxième dans cette médecine à plusieurs vitesses et nous nous retrouverons avec des maladies qui se déclarent trop tard, qui ne se soignent plus, qui tuent. Mettre une franchise que personne ne peut payer n’est pas cost-effective d’abord parce que les gens ne se soigneront plus à temps et ensuite parce qu’une population en mauvaise santé est un terrible outil de production pour une nation comme la nôtre qui ne peut compter que sur l’or dans les têtes et dont les diamants sont des idées innovantes et le pétrole, un sens du travail. Il y a ensuite un véritable risque politique parce que ces hausses de franchises augmentent significativement les inégalités et que chaque trois mois, la Suisse a besoin que 50.1% de ces citoyens fassent confiance et rempart face aux idées absurdes qui viendraient de très à droite ou de trop à gauche. Cette confiance, primordiale en démocratie, s’effrite comme une corde qui se tend à chaque fois que le fossé se creuse.
Et alors ?
Et alors, la Confédération a un devoir. Celui de garantir que les assurances ne soient pas juste obligatoires mais utiles. Celui d’assurer mieux et de rassurer la frange grandissante de la population qui n’a accès qu’aux prestations de base. Beaucoup d’initiatives peuvent être entreprises dans ce sens. Mieux encadrer les investissements des assurances déjà. Et pourquoi ne pas rendre d’utilité publique une assurance minimale ? Lui fixer un prix bas, une franchise accessible, une couverture suffisante et refléter le manque à gagner sur les prestations les plus chères. Un certain pourcent de la population ne verra pas la différence, aura toujours accès aux meilleurs des soins, à des chambres privées dans des cliniques-palaces mais ce ne sera plus au dépend d’une majorité qui saura enfin qu’elle a sa place dans le système médical suisse et que sa santé, parce que c’est véritablement le cas, est une affaire d’état.
Nelson Dumas