LONDON, ENGLAND - SEPTEMBER 24: Two employees of Christie's auction house manoeuvre the Lehman Brothers corporate logo, which is estimated to sell for 3000 GBP and is featured in the sale of art owned by the collapsed investment bank Lehman Brothers on September 24, 2010 in London, England. The "Lehman Brothers: Artwork and Ephemera" sale will take place on September 29, 2010, on the second anniversary of the firm's bankruptcy, and comprises of artworks which hung on the walls of Lehman Brothers' offices in Europe. (Photo by Oli Scarff/Getty Images)

Vers un retour de la « finance de l’ombre » ?

En voyant son nom digne d’un grand blockbuster hollywoodien, nous pourrions aisément imaginer la « finance de l’ombre » comme étant une fantaisie saugrenue issue de l’esprit d’un économiste un peu trop zélé. Pourtant, derrière ce nom quelque peu dramatique se cache bel et bien un principe réel et menaçant de la finance internationale.

Aussi appelé « système bancaire parallèle », ce modèle comprend toute institution se comportant comme une banque sans se plier aux mêmes règles que ces dernières. Après avoir causé de graves crises financières à travers l’histoire, les mécaniques retords de ces sociétés restent une source de débat et de mystère pour les gourous de l’économie. Mais le monde change et nous devons aujourd’hui apprêter un œil nouveau à ce procédé afin d’en comprendre les enjeux, mais surtout prévenir un nouvel incident financier majeur.

Un système centenaire

Ce type d’institution parallèle au poids souvent sous-estimé n’est pas une invention moderne. La fin du 19e siècle s’accompagne en effet de la naissance des premiers représentants de ce système alternatif aux banques : les trusts. Il s’agit là d’entreprises créées dans le but initial de gérer de grosses fortunes privées de façon indépendante et moins risquée. Pourtant, avec l’émergence de la spéculation boursière et immobilière, le modèle d’affaire des trusts a évolué vers la gestion de fortune à plus haute volatilité, se rapprochant ainsi très fortement du mécanisme bancaire traditionnel. Une différence colossale avait pourtant été maintenue : les trusts avaient la particularité de ne pas être soumis aux mêmes règles que les banques, pouvant ainsi offrir de meilleurs rendements au détriment de la sécurité inhérente aux régulations. Mais ce qui devait arriver arriva : la panique bancaire de 1907 plongea les plus gros trusts américains à la faillite, ceux-ci n’ayant pas été construits sur des régulations stables. En conséquence, le gouvernement américain répondit par une réforme bancaire en 1913 et par la création de la Fed pour parer à de telles situations.

Et pourtant, un siècle plus tard, le même problème est à nouveau survenu. Les ARS, un système financier inventé par la tristement célèbre Lehman Brothers, se profilèrent comme une alternative plus rentable aux placements bancaires traditionnels. Or, cette rentabilité supplémentaire était encore une fois due à un manque de régulation, au détriment de la sécurité fondamentale des sociétés d’investissements. La suite, nous la connaissons : les marchés se sont effondrés en partie à cause de ces produits, provoquant ainsi une récession mondiale remettant en question le système financier international.

Et aujourd’hui ?

Il semble naturel d’espérer que le monde financier ait appris de ses erreurs et qu’il fasse désormais son possible pour mieux réguler les institutions alternatives afin d’endiguer l’émergence d’une finance de l’ombre. La réalité n’est malheureusement pas aussi simple, car nous vivons aujourd’hui une ère remarquable et sans précédent : celle de l’émergence des sociétés financières technologiques (fintechs).

Les bienfaits de la technologie sont difficilement contestables et l’un de ses atouts majeurs est la rapidité avec laquelle celle-ci évolue. Malheureusement, la régulation associée à ces nouveautés peine à s’ajuster à son train de vie effréné, engendrant ainsi un décalage constant entre les innovations technologiques et les régulations financières nécessaires à leur sécurité. Pourtant, l’histoire nous apprend que les institutions mal régulées et en marge du système traditionnel avaient tendance à s’effondrer en cas de secousse financière, entraînant parfois avec elle la société dans son ensemble.

Il n’est bien entendu pas question de nous fermer aux nouvelles technologies pour autant. Face à ces inventions constantes, il convient d’être vigilant et de prestement réguler les nouvelles industries telles que la blockchain et les ICO (pour donner deux exemples à la mode de nos jours). Malheureusement, les gouvernements actuels se montrent inadaptés à cette nouvelle ère : les systèmes politiques demeurent lents et complexes tandis que les nouvelles technologies émergent en étant rapides et flexibles. Cette société à deux vitesses cause un délai entre innovation et régulation qui est une source de risque systémique, mais également une source d’opportunités pour certaines personnes mal intentionnées. Pourtant, les autorités connaissent les méfaits de cette nouvelle forme de finance de l’ombre ; mais ils ne peuvent tout simplement rien y faire dans l’état actuel, à cause de la lenteur bureaucratique. Malgré le fait que la finance alternative représente un gigantesque 13% des actifs mondiaux, les gouvernements se montrent trop lents à maîtriser ces innovations de plus en plus complexes.

Nous devons accueillir la nouveauté à bras ouverts, mais également être capable de lui imposer un cadre stable afin d’en garantir la pérennité. Et c’est bien du côté de l’efficacité politique que des progrès doivent être faits, au risque de voir émerger un nombre croissant de sociétés parallèles en électron libre et à la volatilité dangereuse pour l’économie.

 

Alex Oktay