Edwy Plenel et son média à part

Edwy Plenel, célèbre journaliste et directeur du journal Mediapart, était l’invité de COSPOL (Comité de Science Politique de Lausanne) ce jeudi 4 avril. Le sujet principal de cette conférence était son nouveau livre, la victoire des vaincus, qui traite de la crise des gilets jaunes en France.

Bien que de nombreuses personnes connaissent ce journaliste moustachu et le journal dont il est le directeur, Mediapart, beaucoup ignorent le réel fonctionnement de ce média, ce qui en fait sa spécificité et dans quelles conditions il a été créé.

Cofondateur et actuel directeur de Mediapart, Edwy Plenel, né en 1952 à Nantes, d’abord journaliste au Monde, en devient le co-directeur en 1996, avant de démissionner en 2004 suite au scandale de la Face cachée du Monde, livre d’investigation dénonçant un manque d’objectivité et de transparence au sein du quotidien français.

Quelques années plus tard, Plenel crée Mediapart en 2008, journal qui se veut numérique et complètement indépendant.

Pari risqué, car son modèle économique est complètement nouveau pour l’époque. Le Web n’est pas encore développé partout, et les journaux en particulier sont peu engagés dans le numérique.

Avec Mediapart, une voie à la numérisation du secteur du journalisme s’est ouverte, si bien qu’en 2009 l’État français reconnaît, par un décret de la République, que la presse ne s’identifie pas qu’au support papier et s’étend aussi au numérique.

Outre son modèle numérique novateur, Mediapart devient le premier site généraliste d’information à utiliser un modèle payant, sous forme d’abonnement, qui contredit complètement la théorie de la gratuité par la publicité. Cette stratégie a pour effet de faire de Mediapart un média financé uniquement par ses lecteurs et ne dépendant pas de subventions publiques ou de publicités et donc qui évite tout conflit d’intérêt avec d’autres institutions ou entreprises. Cette indépendance économique se résume parfaitement dans le slogan du journal : « Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter ». Actuellement, Mediapart affiche une bonne santé financière et est en perpétuelle croissance avec environ 10 000 nouveaux abonnés chaque année.

Cette situation d’indépendance économique presque totale, assez unique dans le monde des médias, permet à Mediapart de faire ce pourquoi il a été créé : pouvoir enquêter et traiter n’importe quel sujet sans restrictions et sans avoir à subir aucune forme de pression économique.

Plenel explique dans son livre La Valeur De L’Information (Seuil 2018) à propos de l’indépendance de Mediapart : « Si nous avons pu paraître donneurs de leçons, c’était le malentendu que peut créer l’insolence de la liberté et l’arrogance du bonheur. Liberté insigne de faire notre métier comme nous l’entendions, sans autres contraintes que celles que nous nous donnions collectivement. Bonheur enthousiaste de s’engager autour d’un idéal partagé, en l’occurrence cette conviction radicalement démocratique que, sans information libre, rigoureuse et pluraliste, sans respect du droit à être informé comme liberté fondamentale, les citoyens sont des aveugles qui peuvent voter pour leur pire ennemi ou leur pire malheur, prisonniers des propagandes ou des idéologies dont les avatars contemporains, alternative facts et post-truth, assument sans vergogne de vouloir remplacer la vérité par le mensonge. »

Grâce à cela, Mediapart est devenu le journal N°1 d’investigation en France. Les affaires qu’il a dévoilées sont légions. Bettencourt, Cahuzac, Sarkozy etc., bon nombre de politiciens et d’entreprises ont vu leurs manipulations dévoilées. À maintes reprises, Mediapart a su prouver que son indépendance était sa force et que le journalisme d’investigation pouvait vraiment apporter plus de justice dans nos sociétés, où les puissants se croient tout permis.

Il n’empêche que la question de l’indépendance des journaux mérite aussi d’être posée en Suisse. Les récentes affaires Maudet, Barazzone ou encore Savary ont montré que notre monde politique n’est pas si propre qu’il n’y paraît et que les conflits d’intérêt et autres magouilles au sein de l’État et des entreprises sont bien présents. Les médias suisses ont donc vraiment un rôle à jouer pour rendre notre société meilleure, plus transparente afin que la population suisse choisisse en toute connaissance de cause à qui elle confie le pouvoir.

Jean Loye