Annette Cerulli-Harms est consultante dans le domaine de l’économie comportementale. Elle a obtenu son doctorat à l’Université de Lausanne en 2015. Pour HEConomist, elle revient sur son parcours avec beaucoup d’enthousiasme! Place à l’interview:
Échange
Vous avez découvert HEC Lausanne lors d’un échange: pouvez-vous me décrire votre expérience?
J’avais d’abord choisi Milan pour partir en échange, mais suite à un problème administratif, je me suis retrouvé en Suisse. Je me souviens encore de mon premier jour à HEC Lausanne, de la journée d’introduction et de la présentation de la faculté: tout a été formidable de ma première à ma dernière journée. Concernant les cours, j’en ai sélectionné du master en économie, ainsi que du master en management. J’ai également eu la chance de pouvoir les compléter avec des cours plus techniques de l’EPFL, notamment en neuro-économie. Mon intérêt a toujours été plutôt tourné vers le comportement des gens, le choix des consommateurs. J’ai simplement adoré mon échange du début à la fin. C’est donc sans hésiter que j’ai ensuite postulé pour un PhD.
Doctorat
J’ai effectué un doctorat en économie politique. Ma thèse portait à la fois sur l’économie comportementale (behavioral economics) ainsi que sur l’économie du travail (labor economics). Lorsque nous effectuons des choix dans notre vie, c’est très souvent par rapport à certaines attentes ou « points de références ». Un de mes objectifs était de comprendre comment ces points de référence se forment. J’ai donc rejoint l’équipe du professeur Götte, au sein de l’équipe d’économie comportementale. Ensemble, nous avons effectué des études sur des milliers d’étudiants.
En tant que doctorant, on est employé à mi-temps par l’université comme assistant diplômé: on partage donc son temps entre la recherche et l’enseignement. Pour ma part, j’ai beaucoup enseigné: non seulement les séries d’exercices, mais également les cours obligatoires que j’ai remplacé à intervalles réguliers. J’y ai pris beaucoup de plaisir, et je dois dire que j’ai également beaucoup appris en tant que prof.
Quel bilan dressez-vous de ces 5 années en plus passées à HEC Lausanne?
Comme je l’ai dit avant, j’ai adoré mon expérience à Lausanne du premier au dernier instant. Ce petit hasard qui fait que je n’ai pas pu aller à Milan s’est révélé être la meilleure coïncidence de ma vie: j’ai non-seulement trouvé des profs et des amis incroyables, mais également un travail fabuleux, et évidemment, mon mari.
Quel profil faut-il avoir pour faire un doctorat?
Il faut avoir vraiment envie de découvrir l’économie en profondeur. Ce n’est qu’à la fin du master que l’on a l’impression de comprendre le monde économique, et il faut vouloir approfondir et appliquer ces connaissances. Ce qui est très important, c’est de pouvoir trouver du plaisir durant ces cinq années de doctorat, qui demeurent tout de même longues. J’ajouterais à ça qu’il est essentiel d’être extrêmement persévérant et résistant à la frustration.
Expérience professionnelle
Quelle a été votre première expérience professionnelle?
J’ai débuté dans une entreprise de consulting à Londres, dans le domaine du comportement des consommateurs: j’y ai passé trois ans et demi. Je suis maintenant à Berlin depuis quatre mois et j’effectue le même travail pour une entreprise partenaire. J’en suis très heureuse! Nos clients viennent à la fois du secteur privé et du secteur public: à ce jour, mon plus grand client est la Commission Européenne.
En quoi consiste exactement votre travail?
J’analyse le comportement des gens, et je les incite à prendre des décisions qui vont améliorer leur bien-être ainsi que celui de la société. Un client va donc s’adresser à moi avec une certaine problématique: il pourrait, par exemple, vouloir inciter les gens à acheter des biens de consommation durables.
Je vais donc analyser la façon dont les agents économiques se comportent, en lien avec cette problématique, et à travers des expériences, voir quelles mesures je peux implémenter pour les pousser à favoriser ce choix. Les mesures que je propose sont donc fondées sur des expériences rigoureuses, menées souvent à grande échelle à travers différents pays de l’Union Européenne. Concrètement, ces mesures sont des nudges [techniques visant à inciter les gens à changer leur comportement, sans contrainte, et parfois sans qu’ils ne s’en rendent compte, ndlr[1]]. Le grand avantage du nudge, c’est qu’il peut être implémenté à moindre coûts, sans trop d’efforts et sans modifier une loi.
Considérons un exemple: le marché des assurances. Les gens comprennent souvent très mal les termes de leur contrat. Ils ont également des difficultés à choisir une assurance qui corresponde réellement à leurs besoins. C’est là où j’entre en jeu: j’essaye de comprendre pourquoi c’est le cas, et je recherche des nudges (les mesures) pour que l’industrie puisse offrir des contrats plus clairs au public. À travers ces nudges, la prise de décision du consommateur peut être transformée, et son bien-être amélioré.
Décrivez-moi le déroulement d’une journée
Je consacre une partie de mon temps à de la recherche. Je vais, par exemple, lire des articles académiques sur des sujets tels que l’économie circulaire. J’essaie de me faire une idée concrète de ce thème, et de déterminer comment il pourrait aider un individu à adopter un meilleur comportement, pour lui et pour la société. Ensuite, je vais créer et imaginer des expériences où j’insère des nudges. Je peux ensuite observer dans quels cas les individus vont opter pour des biens de consommation durables (ou pas).
Je mène l’expérience, par exemple à l’aide de sondages, sur des individus de toutes sortes. Suite à mes expériences, je procède à des analyses statistiques. Je me base sur ces dernières pour finalement créer des recommandations sous forme de nudges, comme par exemple des recommandations politiques pour la Commission Européenne. Mes journées peuvent donc consister à effectuer de la recherche basique, à simuler un monde aussi proche de la réalité que possible pour mes expériences, ou encore à la rédaction de recommandations pour mes clients.
Quels sont les aspects qui vous plaisent le moins dans votre travail?
Pour chaque projet public, il existe des concours qui ont des exigences bureaucratiques très élevées. Il faut en effet, pouvoir garantir que la compétition soit équitable pour tous ceux qui désirent y participer. C’est une façon de s’assurer qu’il n’y ait pas un unique prestataire de service qui aura, par conséquent, une influence trop grande auprès de nos institutions publiques. Tout est donc fortement réglementé et contrôlé.
Lorsque nous participons à un concours, nous allons donc consacrer énormément de temps à du travail administratif. Cela ne plaît pas à tout le monde.
À qui pourriez-vous conseiller le type de travail que vous faites?
Je le conseillerai à quelqu’un qui hésite entre poursuivre une carrière académique et une carrière dans le secteur privé. À travers ce travail, il est possible de créer un lien solide entre ces deux mondes, que ce soit après un bachelor, master ou un doctorat. Il est toujours possible d’effectuer des programmes courts, de six mois ou d’un an, pour vérifier que cela nous plaise réellement. Je le recommanderais également à quelqu’un qui se considère comme assez “généraliste”, qui apprécie à la fois le travail qualitatif et quantitatif, qui aime la recherche mais également l’appliquer.
Quels sont vos projets pour l’avenir?
J’aimerais continuer mon travail dans le domaine du comportement. Ce qui me tient à cœur notamment, c’est de pouvoir continuer à contribuer à pousser la politique afin qu’elle se base sur des faits concrets, autrement dit sur des résultats académiques, pour leur prise de décision (evidence-based policy making). Cela permet également d’offrir un contrepoids à la montée du populisme que l’on observe depuis un moment en Europe.
Quels conseils pourriez-vous donner à de jeunes diplômés qui cherchent un travail?
D’abord s’interroger à comment l’on aime travailler: est-ce qu’on a une préférence pour le travail en équipe, ou est-ce que l’on préfère être indépendant? Est-ce que l’on aime faire des présentations, parler en public, etc.?
Il faudrait également savoir où reposent nos forces et quelles compétences l’on aimerait mettre en avant. Ce qui me paraît également important, c’est de ne pas hésiter à poser des questions aux gens sur leur parcours: c’est en communiquant avec eux que l’on apprend réellement quels postes existent et quel type de travail pourrait nous convenir.
J’ai également souvent aperçu des gens frustrés lorsqu’un entretien d’embauche n’aboutissait pas: pourtant, je ressentais au fond de mon cœur que ce travail n’était pas le bon pour eux. Il ne faut pas oublier qu’un entretien d’embauche va dans les deux sens: à la fois nous nous présentons à l’entreprise, et l’entreprise se présente à nous. Si les choses ne fonctionnent pas, je suis convaincue que c’est parce qu’il y a un déséquilibre émanant des deux côtés.
AU NOM DE TOUTE L’ÉQUIPE HECONOMIST, UN GRAND MERCI À ANNETTE CERULLI-HARMS POUR CET ENTRETIEN.
Yasmine Starein