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Les élections : qui s’en fout ?

Tous les quatre ans, notre pays se livre à une drôle de tradition décorative reconnaissable entre mille. Pas un lampadaire qui ne soit recouvert d’une affiche en plastique ou même en carton, pour les plus écolos. Aucun doute, les élections fédérales approchent. Depuis l’été, c’est à une lutte acharnée que se livrent les candidat·e·s afin de trouver en premier les meilleurs emplacements pour leurs magnifiques (ou non) photos de campagne. Toutes et tous souhaitent nous convaincre de leur accorder notre confiance. Pourtant, la participation en Suisse peine à dépasser les 45 %. Mais qui est donc cette majorité croissante que l’on appelle parfois « le plus grand parti de Suisse » ?

Portrait de l’abstentionniste

Tout d’abord, les abstentionnistes ne forment pas un ensemble homogène, loin de là. On estime même que seuls 10 à 20 % des Suisses ayant le droit de vote s’abstiennent à chaque fois. Une même proportion remplit son bulletin de vote à chaque occasion et les 60 à 80 % restants sont des votants irréguliers.

Il est donc impossible de décrire à quoi ressemble un·e abstentionniste. En revanche, de nombreuses études en sociologie politique ont permis de déterminer les facteurs qui augmentent la propension d’un individu à s’abstenir. La conclusion est souvent la même, les abstentionnistes semblent cumuler des caractéristiques qui les excluent, au moins partiellement, de la société. Ce sont des jeunes, pas encore ancrés dans le monde du travail ou depuis quelques années seulement, issus de minorités religieuses et/ou culturelles, habitants les grandes villes, ayant peu de moyens financiers, fraîchement naturalisés, et qui ne seraient pas intégrés dans des réseaux ou des communautés qui forgeraient leur identité. Bien sûr, il n’est pas nécessaire de remplir tous ces critères pour s’abstenir, mais ceux-ci sont les plus fréquemment rencontrés chez les abstentionnistes. Il en ressort donc que les personnes les moins intégrées à la société sont aussi celles qui voteront le moins. Sur une note plus positive, on notera tout de même que l’effet de genre tend à disparaître et que les femmes d’aujourd’hui votent davantage que les hommes, alors qu’être une femme augmentait la probabilité d’être abstentionniste il y a encore quelques années.

Pourquoi s’abstenir ?

En reprenant les caractéristiques mentionnées plus haut, nous arrivons facilement à la conclusion que ces abstentionnistes n’osent pas voter car ces personnes ne se sentent pas légitimes à le faire. Notamment pour les personnes naturalisées, un certain temps est requis avant de comprendre les spécificités du fédéralisme et de la démocratie directe helvétique, ce qui explique que ces personnes s’abstiennent souvent quand elles reçoivent leurs premières enveloppes de vote.

Une autre explication de l’abstentionnisme est l’approche dite économique du célèbre économiste américain Anthony Downs. Elle consiste simplement en un calcul d’utilité que ferait un acteur rationnel entre la rétribution qu’il attend d’une votation, la probabilité que son bulletin de vote fasse une différence sur le résultat final et les coûts de participation. Ces coûts se comprennent en termes de temps consacré à l’information sur l’enjeu de la votation avant de faire un choix plus ou moins éclairé. Plus la recherche d’informations sera longue et pénible, moins les bulletins seront nombreux.

En ce qui concerne la Suisse, une difficulté se rajoute de par le nombre de votations auxquelles sont confronté·e·s annuellement les citoyen·ne·s. En effet, la démocratie semi-directe permet au peuple de s’exprimer si souvent qu’il ne le fait que rarement, considérant que la situation est bonne. Il serait donc presque inquiétant de voir le taux de participation augmenter subitement car cela pourrait témoigner d’une perte de confiance dans les politiques. Aussi, la participation aux élections est plus faible car nos élus ont moins de pouvoir qu’ailleurs, étant toujours limités dans leurs actions par la menace d’un référendum populaire.

Enfin, on objectera que certaines personnes s’abstiennent par conviction, suite à une perte de confiance dans nos institutions. Bien que cette opinion soit aussi légitime qu’une autre, le vote blanc n’est pas reconnu en Suisse, ce qui fait que les fervents « abstentionnistes volontaires » pourraient même manifester dans la rue avec des pancartes et afficher leur volonté de ne pas prendre part au système politique, leurs actes ne seraient même pas représentés dans les résultats de la votation.

Alors, pourquoi voter ?

En premier lieu, prenons un instant pour se rappeler que voter est avant tout un privilège qui va de pair avec de nombreux avantages que nous avons, simplement parce que nous vivons dans une démocratie. Bien sûr, nous pouvons trouver un certain nombre de problèmes même dans un pays aussi beau et agréable que la Suisse, mais nous avons ce précieux pouvoir d’action. Si l’on se dit décu·e de la politique, on peut la changer. Si l’on estime que certaines personnes censées nous représenter ne défendent pas, ou pas suffisamment, les idées qui nous tiennent à cœur, n’oublions pas que notre vote sert aussi à punir ces élus. Le pouvoir d’un bulletin de vote est bien plus grand qu’il n’y paraît, lorsque nous nous mobilisons ensemble, lorsque nous remplissons simplement une enveloppe. Finalement, ça ne coûte vraiment pas grand-chose de voter ; d’autant plus que des sites comme Smartvote peuvent nous aider à économiser du temps et savoir rapidement pour qui voter d’après nos préférences et nos idées.

Le 20 octobre auront lieu les élections en Suisse et, si vous m’avez lue jusqu’ici, vous n’avez plus d’excuse. Inscrivez la date dans votre agenda (ou votre smartphone, soyons réalistes) et remplissez votre bulletin de vote à temps !

Deborah Intelisano

Sources :

Photo : Keystone/Archive/photo d’illustration MAYER, Nonna, Sociologie des comportements politiques, éd. Armand Colin, 2014. https://www.letemps.ch/suisse/abstentionnistes-plus-grand-parti-suisse