Information warfare I – Cambridge Analytica

En 2018, le monde observe, étonné, intrigué puis scandalisé, le témoignage d’un jeune homme aux cheveux rose bonbon. Quelques années après les révélations d’Edward Snowden, c’est au tour de Christopher Whylie de “blow the whistle” et de révéler au grand jour les coulisses de son quotidien.

Et les faits sont loin d’être roses (petit clin d’oeil à ces cheveux). Dans une interview pour The Guardian[1], il lève le voile sur sa responsabilité dans la création de Cambridge Analytica, d’un ton mêlé de regrets:

“La population doit comprendre ce que cette entreprise fait! Cambridge Analytica est une machine de propagande massive. Elle mène des expériences grossières et non-éthiques. Elle manipule l’opinion de millions de gens, sans leur consentement ni leur savoir.”

Les faits

En 2013, Christopher Wylie commence à travailler pour une compagnie privée anglaise “SCL group”. SCL n’est autre que le diminutif de Strategic Communication Laboratory, une entreprise spécialisé dans le domaine de la recherche comportementale et de la communication stratégique. Son but ? modifier le comportement d’une “audience cible”, en accord avec l’objectif de leur client (un objectif tel que: gagner une élection). Vous l’aurez compris, il s’agit donc d’influencer l’opinion des masses.

L’entreprise aurait travaillé avec les Nations Unies, ou encore conduit des enquêtes pour l’armée américaine déployée en Iran et au Yémen. SCL Group opérait avant tout dans les sphères politiques et militaires. Selon des sources plus ou moins fiables, l’entreprise aurait mené plus d’une centaine de travaux sur des campagnes électorales dans près de 25 pays, dont l’Italie, la Roumanie, le Kenya, les Philippines ou encore l’Afrique du Sud.

En Automne 2013, sous l’impulsion (et le financement) de Steve Bannon et de Robert Mercer, Christopher Wylie aide à mettre Cambridge Analytica sur pieds, subsidiaire du SCL Group, oeuvrant sur le territoire américain. Qui sont ces deux hommes? Permettez moi de vous les introduire:

  • Steve Bannon fut le président de “Breitbart News” (un média politique conservateur d’extrême droite) de 2012 à 2016, avant de diriger la campagne électorale de Trump, puis de devenir son conseiller stratégique (jusqu’à 2017).
  • Robert Mercer est un milliardaire américain, co-CEO du hedge fund “Renaissance Technologies”. Il est lui-même conservateur, et très influent en politique (Il aurait dépensé plus de 35 millions (peanuts) en soutien à des campagnes électorales entre 2006 et 2016[2]).

Les introductions faites, vous comprenez donc mieux leurs intérêts respectifs dans la machine Cambridge Analytica. Il s’agit de politique!

Comment influencer, transformer, changer la politique ? En transformant la culture, puisque la politique en découle ! Et si l’on désire changer la culture, il faut transformer les unités de culture. Ces unités de culture, ce sont les gens. Il faut changer les gens pour transformer la culture.

“If you want to change politics, you have to change culture, because politics flow from culture. If you want to change culture, you have to understand what the units of culture are. People are those units of culture. You need to change the people in order to change the culture. “

Afin de transformer la culture, ou selon les termes de Wylie, afin de mener une guerre culturelle, il fallait que Steve Bannon et Mercer construisent une arme. Cette arme, c’est Wylie qui contribuera à la créer en combinant son savoir sur le “microtargeting” avec des découvertes issues la psychologie. Le but, c’est de parvenir à cibler une personnalité et de lui adresser un message particulier. Pourquoi cibler la personnalité ? Parce que les traits de personnalité peuvent être des déterminants importants du comportement politique. Wylie confiait ces observations aux Guardian[3], concernant le libéralisme: “il est corrélé avec une grande ouverture et une conscienciosité basse. Lorsqu’on pense à des démocrates libéraux, on s’imagine des professeurs enfoncés dans leurs pensées, en sarouel, ressemblant à des hippies. Ce sont les “early adopters”, ceux qui sont ouverts à de nouvelles idées”.

Dans le cas de Cambridge Analytica, l’objectif est d’établir les profils psychologiques des électeurs au sein de l’entièreté des Etats-Unis. Le premier pas, dès lors, est de recueillir rapidement un nombre presque infini de données, permettant de construire cette arme psychologique, culturelle et politique. Alors que la pression des investisseurs s’agrandit sur les épaules de Wylie, il rencontre le Dr. Kogan, chercheur à l’université de Cambridge, qui lui livre une façon efficace, peu chère et de haute qualitée afin de récolter des données.

Le Dr. Kogan est à l’origine d’une application, “This is your Digital Life” qui pouvait, non seulement collecter toutes les informations de votre profil Facebook, mais également celle de toute votre liste d’amis. Quelles informations? Parmi tant d’autres, les messages privés, les statuts ou encore les “j’aime”. Ni une, ni deux, en l’espace de 2-3 mois, entre 50 et 60 millions de profils facebook furent collectés.

Grâce à ces informations personnelles, Cambridge Analytica savait donc quel type de message serait susceptible de vous affecter, de quel angle il fallait l’aborder, quel ton il fallait adopter, son contenu, le ton du message, si celui-ci devait induire la peur, ou non. Ainsi, ils pouvaient établir un contenu personnel, s’appuyant sur votre personnalité et susceptible de créer une réaction émotionnelle en vous.

En plus d’analyste de données (“data analysts”), de psychologues ainsi que d’experts en stratégie, l’entreprise regorgeaient d’experts graphiques, de videomakers et de filmeurs, qui créaient le contenu et l’injectaient à l’endroit idéal pour que vous le consommiez, et que votre opinion soit influencée dans la direction qu’ils souhaitaient (typiquement, en votant pour un parti différent).

Le problème ?

Comme Wylie le dit si bien, en adressant des messages différents aux oreilles de chaque auditeur afin de gagner son coeur, on risque de fragmenter la société. On risque de ne plus avoir d’expériences, de vision et de compréhension partagée. Comment peut-on vivre bien dans une société ou ce partage, cette vision commune est brisé ?

“Si vous voulez changer la société de façon profonde, il faut d’abord la casser. Le pouvoir est de déchirer l’esprit humain en morceaux que l’on rassemble ensuite sous de nouvelles formes que l’on a choisies” – George Orwell, 1984

Attention à ce que vous lisez !

Yasmine Starein 
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