Est-ce que les humains sont comme des roombas ?

Un essai sur la prise de décision et le libre arbitre.

ne manière de voir ce qu’est un humain est d’imaginer une machine à collecter des données. Nous collectons tous des données en tout temps, sans même nous en apercevoir. Ces données peuvent être perceptuelles et contenir de l’information sur les sons, les couleurs ou les formes de notre environnement immédiat. Cela nous permet de comprendre et de naviguer notre environnement physique. Mais ces données peuvent également être cognitives et contenir de l’information sur notre environnement social ainsi que notre positionnement au sein de cet environnement. Par exemple, lorsque j’interagis avec quelqu’un, j’écoute ce qu’elle me dit, j’observe ses expressions faciales et je scrute son langage corporel pour inférer si la conversation se passe bien ou mal. A la suite de cela, je peux établir mon « positionnement » vis-à-vis de cette personne : est-ce qu’elle m’apprécie ? Est-ce qu’elle me trouve drôle ? Est-ce qu’elle me trouve intelligent ? Nous faisons ce processus avec toutes les personnes avec lesquelles nous interagissons, et avec notre réseau social entier. Ce processus de collecte de données et de surveillance s’applique également de manière plus large et à d’autres phénomènes, comme nos buts à long terme. Par exemple, je sais que si je veux être capable de courir un marathon, je dois être en excellente forme physique. Je collecte également des données pour ce genre de phénomène. Je remarque que je n’arrive pas à arrêter de fumer bien que je le souhaite, et que je suis donc essoufflé si je dois monter plusieurs étages d’escaliers. Cette information-là me permet de me situer dans mon environnement : j’arrive à imaginer la distance entre où je suis et mon but.

Pris ensemble, ces processus de surveillance de mon environnement et de mes buts me permettent de créer une « carte » de mes alentours. Cette carte, comme toute carte, est une représentation imparfaite de la réalité, mais me permet néanmoins de me situer dans le présent, de visualiser où je souhaite être dans le futur et d’imaginer le chemin que je dois emprunter pour m’y rendre.

Imaginons maintenant que je souhaite partir du présent et emprunter ce chemin, armé de ma carte, pour me rendre ailleurs. Durant mon parcours, trois choses peuvent se produire. La première, ma carte est suffisamment précise, je vois que j’avance vers mon but, j’ai espoir que le futur sera ce que j’escomptais et cela génère des émotions positives comme de la joie. La deuxième, ma carte n’était pas suffisamment précise car je suis confronté à un résultat imprévu. Ce résultat imprévu n’est pas toujours négatif, et il se peut que, par chance, le résultat imprévu soit meilleur que le résultat initialement escompté. Dans ce cas, nous repérons une opportunité, ce qui génère des émotions positives. Dans le cas contraire, nous identifions une menace et cela génère des émotions négatives. Ces deux options sont représentées dans la Figure 1. La troisième chose qui peut se produire est que je n’avais tout simplement pas la bonne carte. La situation n’était pas ce que je pensais, et nécessite donc non seulement une réévaluation complète de ma séquence d’actions, mais aussi de ma carte. La question que je me pose dans cet essai porte sur notre capacité à réévaluer notre séquence d’actions, soit dans l’option deux, ou dans l’option trois ci-dessus.

Représentation graphique d’un résultat imprévu, lors d’une séquence comportementale dirigée vers un but (adapté de Peterson, J. B. (1999), page 45)

Un roomba est un aspirateur autonome. Il ne peut se diriger qu’en ligne droite. Pour changer de direction le roomba doit se cogner à un mur ou à un autre objet, suite à quoi il tourne de 90° et continue d’avancer en ligne droite.

Est-ce que nous sommes comme des roombas ? Est-ce que nous devons nous cogner à un mur avant de nous rendre compte que notre carte est imprécise, ou pire, que nous avions la mauvaise carte ? En d’autres mots, est-il possible de se rendre compte que nous allons faire une erreur avant de l’avoir commise ?

Pour se rendre compte qu’une erreur est sur le point de se produire, il faut collecter l’information pertinente et l’interpréter correctement et cela au moment de la prise de décision. Mais comment savoir si l’information que nous collectons est pertinente ? Et comment savoir si notre interprétation est correcte ? Tout dépend de la situation. Imaginons une situation simple : une personne peu souple faisant du stretching. Cette personne va recevoir de l’information en temps réel : de la douleur. L’information est collectée et interprétée automatiquement. Généralement la douleur est interprétée négativement. En effet, rares sont les scénarios dans lesquels la douleur est un signe positif. Ainsi, ici, il est facile de déterminer si une erreur est sur le point de se produire. Si la douleur devient insupportable, c’est certainement un signe qu’il ne faut pas aller plus loin.

Qu’en est-il pour des situations plus complexes ? Par exemple, est-il possible de se rendre compte avant l’inscription à l’université que nous avons fait une erreur dans le choix de notre faculté ? Rappelons-nous que pour déterminer si nous faisons une erreur, nous avons besoin d’informations pertinentes et d’une interprétation correcte de ces informations, et cela au moment de la décision. Pour des problèmes complexes, comme l’exemple ci-dessus, il est difficile d’avoir l’information pertinente au bon moment. En effet, il est impossible de prédire toutes les opportunités disponibles une fois nos études terminées. Ces opportunités s’offriront à nous seulement après. Il est donc impossible de prévenir cette erreur. Vous me direz que si nous ne pouvons pas prévenir l’erreur, il est certainement possible de corriger le tir en cours de route, comme par exemple changer de faculté après la première année. Il est certainement possible de faire cela, mais il est difficile de savoir si nous avons fait le bon choix. En effet, durant la première année, nous allons aux cours, faisons les séries d’exercices et vivons la vie d’étudiant. Pendant ce temps-là nous collectons évidemment des données, comme par exemple le fait d’aimer, ou ne pas aimer certains cours. Mais comment savoir si le fait que d’aimer ou de ne pas aimer un cours donne une information pertinente quant à son futur emploi ?

Alors pour éviter les erreurs, tout ce que nous avons à faire est de collecter les informations pertinentes. Seulement, qui décide de l’information qui va être collectée ? Est-ce moi qui choisis ce que j’aime ou n’aime pas, ou de manière générale ce qui me vient à l’esprit ? Est-ce moi qui choisis ce qui va retenir mon attention et ce dont je vais me souvenir ? Si vous y prêtez attention, vous vous rendrez compte que ce n’est pas le cas. Vos pensées surgissent, et sont soudainement présentes dans votre esprit. Vous vous rappelez certaines choses, et en oubliez d’autres sans réellement avoir votre mot à dire. Mais si nous prenons nos décisions sur la base de l’information qui est présente dans notre tête, et ce n’est pas vraiment nous qui choisissons quelle information est retenue et quelle information est oubliée, qui prend nos décisions ? On est alors un peu des roombas. On avance dans une direction qui n’est pas totalement librement choisie, et nous nous rendons généralement compte de nos erreurs qu’une fois qu’elles sont commises.

Tyler Kleinbauer
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Reference :

Peterson, J. B. (1999). Maps of meaning: The architecture of belief. Psychology Press.