Quelle est la structure de la perception consciente ? Est-elle continue ou discrète ? Cette question pourrait sembler triviale car de prime abord la perception est un phénomène continu. En réalité cette question fait débat depuis des siècles dans les cercles de philosophes, psychologues et neuroscientifiques (Herzog et al., 2020).
Intuitivement, il semblerait que notre perception consciente, le capitaine de notre navire si vous le voulez bien, reçoit un flux continu d’images et de son. Imaginez un plongeur sautant du haut d’une falaise dans l’océan. Nous avons l’impression de percevoir la trajectoire du plongeur à chaque instant. C’est pour cela que la plupart des modèles philosophiques de la conscience proposent que cette dernière soit un phénomène continu. Or, et malgré l’attrait intuitif que ces modèles pourraient avoir, les théories de la conscience continue contiennent de nombreux problèmes. En particulier, l’information sensorielle, les données brutes comme le son ou les images, doit être intégrée dans le temps avant qu’un mouvement ou une mélodie puisse être perçue. C’est pourquoi la perception consciente ne peut pas être un phénomène instantané.
Figure 1 : représentation schématique d’une perception continue (à gauche) et discrète (à droite)
À la suite de ces problèmes, de multiples théories de la conscience discrète ont été proposées. Ces théories postulent que la perception consciente a lieu seulement à certains moments fixes dans le temps. Certaines données pourraient être apportées pour soutenir ce point de vue. Par exemple, si on vous présentait deux lignes à 40 millisecondes d’intervalle, vous les percevriez comme simultanées. Cela suggérerait qu’il y a un moment après la présentation des lignes où l’information est intégrée et présentée à votre conscience. Cependant, les théories discrètes contiennent également leur propre lot de problèmes. En particulier, la durée de l’intervalle pour la perception simultanée entre la présentation de deux stimulus (les 40 ms dans l’exemple ci-dessus) peut varier grandement avec le type de stimulus. Il semblerait qu’il n’y ait donc pas une durée unique et universelle après laquelle les informations sensorielles sont intégrées et présentées à notre conscience, ce qui va a l’encontre des théories discrètes.
Récemment, des effets postdictifs de longue durée ont relancé le débat sur la structure de la perception consciente car les modèles traditionnels, qu’ils soient discrets ou continus, ne peuvent pas expliquer la postdiction. Un effet postdictif est un phénomène très curieux. Supposons que je vous présente deux lignes l’une après l’autre. Un effet postdictif décrirait une situation où la deuxième ligne influencerait la première ligne. C’est-à-dire, celle qui a été présentée après influence celle qui a été présentée avant. Les effets postdictifs suggéreraient donc qu’il y aurait une « fenêtre » durant laquelle les stimulus peuvent s’influencer les uns les autres avant d’être présentés dans une formulation cohérente à notre conscience.
Cette idée a été formalisée en un modèle en deux étapes de la perception consciente par Herzog et al. (2016) et elle est présentée schématiquement dans la figure 2 ci-dessous. Sur ce schéma nous voyons deux de ces « fenêtres ». La première, à gauche, est une fenêtre ou le stimulus « + » est présenté et intégré. La deuxième, à droite, une ligne verte est présentée. Le modèle est un modèle en deux étapes car durant la première étape le cerveau traite l’information de manière inconsciente afin d’en faire sens, puis dans la deuxième étape le résultat du traitement est présenté à notre conscience.
La question suivante est : Si cette « fenêtre » existe, quelles en sont les bornes ? C’est-à-dire après combien de temps au minimum sommes-nous capables de consciemment percevoir quelque chose, et pendant combien de temps au maximum est-ce que les stimulus peuvent s’influencer les uns les autres. Cette information serait la borne inférieure et supérieure, respectivement. Drissi-Daoudi et al. (2019) ont fait une série d’expériences pour répondre à ces questions et ont établit que ces bornes sont aux environs de 400 millisecondes.
Pour conclure, cela voudrait dire que malgré une impression de perception continue, notre conscience est discrète. Notre conscience ne ressemble donc pas à une rivière où le flux constant des molécules d’eau ne cesse jamais et ne retourne jamais en arrière. Plutôt, notre conscience c’est le destinataire naïf d’une lettre, ne réalisant pas le tri effectué par la centrale de la Poste, recevant des lettres, camion après camion.
Si vous souhaitez lire plus sur ce sujet : Herzog, M. H., Drissi-Daoudi, L., & Doerig, A. (2020). All in good time: Long-lasting postdictive effects reveal discrete perception. Trends in Cognitive Sciences.