En matière de gouvernance d’entreprise, plus/moins c’est transparent, mieux c’est !

La course à l’efficacité et à la rentabilité conduit de plus en plus les entreprises commerciales à s’accommoder des objectifs actuels en matière de gouvernance d’entreprise. Le gouvernement d’entreprise désigne l’ensemble des principes axés sur la poursuite d’intérêts durables des entreprises qui, tout en sauvegardant la capacité de décision et l’efficacité, visent à instaurer au plus haut niveau de l’entreprise la transparence et un rapport équilibré entre direction et contrôle. La notion de transparence apparaît dès lors comme un élément capital, un mode de fonctionnement à suivre. L’observation des systèmes juridiques d’ici (Suisse) et du Cameroun, pays d’Afrique noire francophone avec qui la Suisse entretient de bonnes relations commerciales, nous permet de nous rendre compte que la transparence, constamment recherchée par les premiers, n’enthousiasme pas autant les seconds dans la pratique.

La transparence dans la gouvernance sociétale louée ici

En droit suisse, l’exigence de transparence dans les entreprises commerciales ne concerne pas seulement les sociétés cotées, mais s’étend même aux sociétés qui ne le sont pas. L’adage « sunlight is the best of disinfectants » trouve ici sa pleine expression. La transparence étant la qualité de ce qui laisse apparaître la réalité toute entière sans l’altérer, elle constitue une dimension phare du développement durable. Ce qui explique pourquoi la Suisse s’est sérieusement penchée sur la question. A ce propos, notons deux innovations importantes. En premier lieu, le Code suisse de bonne pratique pour le Gouvernement d’entreprise, promulgué à l’initiative d’Economiesuisse et en vigueur depuis le 25 mars 2002 ; en second lieu, la Directive de la Bourse suisse concernant les informations relatives à la Corporate Governance, en vigueur depuis le 1er juillet 2002. Toujours mue par le souci d’amélioration de la transparence et donc la communication d’informations fidèles et compréhensibles, la bourse suisse (SWX) a notamment décidé que les normes IFRS devront être respectées à partir de 2005. C’est également la SWX qui, par le biais de son « Instance d’admission », édicte le Règlement de cotation dans le but de « faciliter l’accès des émetteurs au négoce boursier, garantir l’égalité de traitement, et, pour les investisseurs, la transparence ». Ces deux textes sont depuis lors, progressivement complétés et améliorés. De plus, à la suite de l’initiative parlementaire Chiffelle, intitulée « Plus de transparence dans les sociétés cotées en bourse », déposée le 9 mai 2001, un groupe de travail a été mandaté par l’Office fédéral de la justice afin d’examiner de manière générale la conformité du droit suisse des sociétés aux principes du gouvernement d’entreprise. Ce groupe a remis ses conclusions finales en automne 2003. Il convient de préciser que les effets sont attendus.

L’objectif de transparence se poursuit jusqu’à l’échelle internationale. Une convention remarquable, dite The Norwalk Agreement a été souscrite le 18 septembre 2002 par le Financial Accounting Standard Board (FASB), à l’origine des US GAAP, et l’International Accounting Standard Board (ISAB). Cet accord de principe formalise la volonté de ces deux institutions d’œuvrer en vue d’une convergence de leurs standards comptables respectifs, et ce au plus tard le 1er janvier 2005. En clair, il est question d’uniformiser les systèmes comptables (du moins ceux qui concernent les entreprises d’importance internationale). Avancée indéniablement nécessaire dans un monde où les marchés sont toujours plus globalisés. On s’achemine ainsi vers des règles uniformes en matière d’établissement et de présentation des comptes. Les comptes étant les documents renseignant sur la vie et les activités de la société, toutes les parties prenantes seront au fait des activités de la société en les consultant.

La transparence dans la gouvernance sociétale crainte ailleurs

La définition large de gouvernement d’entreprise de l’OCDE suivie par la Banque africaine de Développement (BAD), insiste bien sur les notions de relation entre les dirigeants et les investisseurs au sein d’une entreprise, que celle-ci soit privée, cotée en bourse ou publique ; de poursuite par le Conseil d’Administration et la Direction des objectifs représentant les intérêts de l’entreprise et de ses actionnaires ; et de résultats et efficience de l’utilisation des ressources de l’entreprise. Au cœur de tous ces objectifs, et de la satisfaction des intérêts de toutes les parties prenantes, l’exigence de transparence est toujours considérée comme un chemin sérieux. C’est ainsi qu’en règle générale, avant la réunion de l’assemblée générale des actionnaires, un avis doit être publié dans un journal habilité à recevoir les annonces légales. Cet avis doit notamment contenir des informations sur la société, sur l’ordre du jour de l’assemblée, sur les projets de résolutions présentés à l’assemblée, etc. De plus, les dispositions du droit OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) confèrent aux associés des sociétés le droit de s’informer auprès du ou des dirigeants sociaux, deux fois par exercice, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.

Au delà des règles d’information, la clarté sur ce qui concerne la rémunération des dirigeants sociaux est également assurée et ce, par plusieurs mécanismes qui peuvent notamment porter sur le droit à l’information, sur la transparence et la réglementation de certains actes ou conventions. Le rapport du Président du Conseil d’Administration (PCA) fait à l’assemblée générale doit d’ailleurs donner en détail les éléments de fixation de la rémunération et des avantages de toute nature octroyés aux dirigeants et, ainsi, lutter de manière efficace contre la pratique de golden shares (parachutes dorés) attribués aux dirigeants (article 831 alinéa 3 de l’Acte uniforme sur le droit des sociétés commerciales). L’avenir dira si le législateur OHADA ira plus loin dans la mouvance internationale du say on pay (dévoiler les rémunérations) qui, on le sait, est consacré dans le droit des groupes dans plusieurs pays occidentaux.

La transparence, requise de manière générale comme manifestation de la bonne gouvernance de toute société commerciale, est renforcée lorsque la société sollicite le public. Toute société faisant appel public à l’épargne doit tenir un document d’information, quel que soit le type d’opération faisant appel public à l’épargne qu’elle compte lancer auprès de tiers. C’est une obligation essentielle, contenue dans l’article 86 l’Acte uniforme l’OHADA : « Toute société qui fait appel public à l’épargne doit, au préalable, publier dans l’État partie du siège social de l’émetteur et, le cas échéant, dans les autres États parties dont le public est sollicité, un document destiné à l’information du public ». Le document d’information, qui participe à l’exigence de transparence, doit contenir toutes les informations qui sont nécessaires pour permettre aux investisseurs, personnes physiques ou morales, d’évaluer en toute connaissance de cause le patrimoine, la situation financière, les résultats et les perspectives de l’émetteur et des garants éventuels ainsi que les droits attachés à ces valeurs mobilières. Le législateur OHADA insiste sur le fait que ces informations soient présentées sous une forme simple, concise et compréhensible (article 86 in fine et article 87 alinéa 1) et accompagnées d’un résumé contenant les informations essentielles. Une autre condition exige que le projet de document d’information soit soumis au visa de l’autorité de contrôle de la bourse des valeurs ou, à défaut, du ministre chargé des finances de l’État partie (article 90). L’autorité en question vérifie si le document ne contient pas d’irrégularités ou des actes (informations) contraires aux intérêts des investisseurs de l’État du siège social et des États dont les investisseurs sont sollicités. La pratique révèle, cependant, que la plupart des documents d’information contiennent des informations et des chiffres difficiles à comprendre par la grande majorité du public et de nature à donner une image floue de la société faisant appel public aux investisseurs.

Ce point important, tout comme l’espérance en l’avenir sus évoquée en matière de rémunérations des dirigeants sociaux, alimente en réalité la crainte dans la société africaine. Étant entendu que la transparence subit une mutation profonde à l’ère du numérique et de la digitalisation, une certaine doctrine suivie en cela par la pratique estime que la gouvernance est mise à mal par l’excès de transparence. Il est d’ailleurs connu par exemple que, dans le contexte africain, le critérium de nomination des hauts dirigeants de la société sont tout sauf transparents. D’aucuns vont même jusqu’à le considérer comme souvent politisé. C’est dire le mal qu’il y a à s’accommoder de transparence entière sur ce terrain-là.

Pourtant, peu importe la position géographique, nous reconnaissons tous que la confiance est un facteur essentiel dans le monde des affaires. Or, il ne saurait y avoir de confiance sans transparence.

Vivien Bekam Kengne
Cliquez sur la photo pour plus d’articles !