La sécurité alimentaire : état des lieux et enjeux

Cet article est le premier d’une série de trois articles sur la sécurité alimentaire et ses enjeux. Le deuxième volet paraîtra le 20 novembre et le troisième volet sera disponible le 27 novembre.

Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passerait si vous deviez subvenir à vos besoins alimentaires tout.e. seul.e ? Cueillir les fraises de la confiture de ce matin, faire pousser les pommes de terre pour le gratin de ce soir et, bien sûr, récolter les grains pour le café de la petite pause entre deux cours ? Non ? En Suisse, la plupart d’entre nous vit dans une certaine bulle de confort et peut-être même de naïveté : il y a toujours une Migros ou une Coop pas très loin, même le marché et ses produits locaux et bio sont présents en ville tous les samedis. La rapidité de l’achat, mais aussi la facilité d’accès à des produits qui viennent aussi bien de très près que de très loin (ne parlons même pas du hors-saison), nous feraient presque oublier que ce privilège n’est pas acquis et qu’il repose sur des fondations qui peuvent vaciller, voire s’effondrer. Notre tranquillité d’esprit quant à la garantie de pouvoir continuer à acheter des aliments frais, de qualité et à un prix « correct » repose sur une certaine sécurité alimentaire qui est assurée dans notre pays. Mais qu’est-ce que cette sécurité alimentaire implique ?

LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE : ÉTAT DES LIEUX

Nous savons bien toutes et tous ce qu’est intuitivement la sécurité alimentaire : avoir de la nourriture en quantité suffisante pour répondre à nos besoins physiologiques. Cependant, la sécurité alimentaire, bien qu’incluant cet aspect de suffisance, ne se limite pas à cette composante. Pour le Comité de la sécurité alimentaire mondiale de l’ONU, la sécurité alimentaire « existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Elle se compose notamment de quatre piliers essentiels que sont :

  1. L’accès à la nourriture par l’autosuffisance ou la capacité financière de l’acheter
  2. La disponibilité de la nourriture, qui sous-entend donc une quantité suffisante de nourriture pour tout le monde
  3. La qualité suffisante de la nourriture aussi bien du point de vue nutritionnel que sanitaire
  4. La stabilité des trois premières dimensions qui permettent un accès à la nourriture en suffisance et de qualité.

J’ai souvent entendu dire que, si nous utilisions de manière raisonnable et adéquate les ressources de la Terre, nous serions en mesure de nourrir convenablement toute la population terrestre et même davantage. Cependant, selon le dernier rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture sorti cette année, environ 768 millions de personnes étaient encore touchées par la faim, soit 118 millions de personnes en plus par rapport à 2019.

Source : FAO

Cette forte augmentation des personnes touchées par l’insécurité alimentaire s’explique notamment par la crise du Covid-19 qui a mis en péril les chaînes d’approvisionnement et a causé un ralentissement mondial de l’économie. Cette situation a en conséquence creusé et accentué les inégalités déjà présentes. Dans nos contrées, l’insécurité alimentaire a aussi été rendue particulièrement visible quand, en pleine crise sanitaire, des personnes se pressaient en file dans les rues de la Genève internationale pour recevoir des colis alimentaires ou obtenir un repas chaud à la Soupe populaire à Lausanne. Cependant, bien que l’insécurité alimentaire existe en Suisse (certes, de manière bien plus prononcée que nous ne le pensions), elle est surtout présente de manière très variable à l’échelle mondiale ; l’Europe étant finalement beaucoup moins touchée que l’Asie ou l’Afrique par exemple.

LES FACTEURS À L’ORIGINE DE L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, il existe trois principaux facteurs à l’origine de l’insécurité alimentaire. À noter d’ailleurs que ces différents facteurs menant à l’insécurité alimentaire peuvent se cumuler.

Le premier facteur est celui des conflits, que ce soit des conflits entre pays ou des conflits internes. Depuis quelques années, nous assistons à une grande recrudescence des conflits qui apportent avec eux de l’instabilité tant sur le plan économique et social que sur la production et l’approvisionnement de nourriture et biens essentiels. Il en résulte donc que la moitié des personnes qui souffrent de malnutrition vivent dans un pays ou dans une région en conflit ou dans une situation de très grande instabilité.

Source : Feindouno, S., & Wagner, L. (2020)

Le deuxième facteur ayant une grande influence sur la sécurité alimentaire est le climat, notamment le changement climatique. Pluies interminables, grêles inattendues et canicules fatales rythment de plus en plus notre quotidien, mais aussi celui des agriculteurs qui subissent les caprices de la météo de manière extrêmement violente. En Suisse notamment, l’année 2021 a apporté son lot de soucis pour les agriculteurs. Vous devez sûrement vous souvenir de ce printemps maussade et pluvieux qui n’a pas uniquement apporté de la mauvaise humeur à la population suisse mais l’a aussi plongée dans une situation agricole délicate. La vague de froid qui a frappé le pays en avril a provoqué des épisodes de gel qui ont ravagé les cultures viticoles et notamment les cultures d’abricot en Valais, les pertes pour ce secteur se montant à plus de deux tiers. S’en est suivi un été pluvieux et des grêles qui ont fini par achever les derniers espoirs des agriculteurs d’avoir une belle saison et donc un bon rendement de récolte. Les grandes pertes subies sur les cultures de salades, de carottes, de brocolis et autres légumes (Grêle suisse estime à 110 millions les pertes agricoles subies par la grêle) ont conduit à un appauvrissement de l’offre proposée en magasin mais aussi à une augmentation des prix à cause de la rareté des produits. Ces épisodes climatiques extrêmes ne sont plus occasionnels et tendent à devenir le pain quotidien des agriculteurs.

Le troisième facteur ayant un impact sur l’insécurité alimentaire est celui du ralentissement et du fléchissement de l’économie. Tout comme les conflits ont un impact fort sur la capacité des individus à se nourrir convenablement, l’instabilité économique rend aussi les quatre composantes de la sécurité alimentaire (accès, disponibilité, qualité et stabilité) difficiles à atteindre. Nous avons déjà pu voir qu’avec la crise sanitaire et les fluctuations économiques qu’elles apportent (perte d’emploi, chômage partiel, diminution des achats, etc.), la sécurité alimentaire est extrêmement dépendante de la situation économique des individus et, à un plus large échelle, du pays.

Bien sûr, au-delà de ces trois facteurs, se trouve en filigrane une explication de l’insécurité alimentaire par rapport à la pauvreté structurelle des individus et des pays dans lesquels ils vivent. Il est évident que la situation de pauvreté dans laquelle sont plongés les individus contribue dans une très large mesure à la capacité financière (en l’occurrence à la non-capacité financière) de se procurer des aliments sains, de bonne qualité et assez régulièrement pour subvenir à leurs besoins nutritifs. Les effets de l’insécurité alimentaire sont indéniables. Un risque évident est bien sûr la malnutrition qui peut mener à des problèmes de santé graves, notamment chez les enfants qui subissent des troubles importants de la croissance. J’avais évoqué plus haut la question des facteurs multiples de l’insécurité alimentaire.

Source: FAO

Dans ce graphique, nous pouvons voir que les enfants touchés par de multiples facteurs de risques (comme par exemple des épisodes climatiques extrêmes et une situation de conflit) voient leur chance d’atteindre la sécurité alimentaire diminuer de manière considérable. Un autre effet de l’insécurité alimentaire est le stress et la détresse psychologique qu’elle provoque aux individus. Ne pas savoir si l’on aura quelque chose à manger en rentrant le soir ou se demander désespérément comment nourrir ses enfants et ses proches, dans une situation où nous ne pouvons pas accéder à de la nourriture en quantité et qualité suffisante, a aussi bien évidemment un impact sur la santé mentale des individus.

Ce premier article nous aura permis de définir la sécurité alimentaire et de comprendre quelles en sont les dimensions. Après cette partie introductive, nous pourrons, dès la semaine prochaine, explorer les enjeux auxquels nous faisons face en 2021 et envisager des pistes de solutions pour atteindre la sécurité alimentaire au niveau mondial.

Ismira Mahmutovic
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Sources:

https://www.fao.org/3/cb4474fr/online/cb4474fr.html https://www.letemps.ch/suisse/suisse-apres-2020-nouveaux-pauvres-noyes-vague https://www.hagel.ch/fr/medias/premier-bilan-des-evenements-meteorologiques-extremes-de-2021-la-suisse-grele-estime-les-dommages-assures-aux-cultures-agricoles-a-plus-de-110-millions-de-francs/ Feindouno, S., & Wagner, L. (2020). Les conflits internes dans le monde: Estimer les risques pour cibler la prévention.