Nouvelle discussion organisée par la Fondation Jean Monnet ce mercredi 22 novembre 2023 ayant pour thème le « rôle pour la nouvelle communauté politique européenne » évoquée pour la première fois par le président français le 9 mai 2022 en réponse à l’invasion de l’Ukraine presque trois mois plus tôt. Étaient conviés à ce dialogue plusieurs interlocuteurs tels que Cédric Dupont – Professeur et co-président de la plateforme TASC au sein de la Graduate Institute de Genève, Roland Fischer, Président de l’association suisse de politique étrangère (SGA/ASPE), Sébastien Maillard – Conseiller spécial, Institut Jacques Delors (Centre Grande Europe et finalement Iryna Venediktova, ancienne procureure générale d’Ukraine et ambassadrice d’Ukraine en Suisse.
Une brève présentation des différents invités est effectuée, suivi ensuite par un discours de chaque intervenant sur le rôle et les éventuelles répercussions possibles de cette nouvelle « communauté politique européenne (CPE) » pour l’avenir du continent.
Cédric Dupont – Professeur et co-président de la plateforme TASC – Institut de hautes études internationales et du développement (Graduate Institute) – Genève
Monsieur Dupont articule son discours en deux points. Le premier consistant une réaction personnelle sur les trois premières conférences de la CPE ayant eu lieu entre 2022 et 2023 tandis que le deuxième consiste en une analyse des buts de cette nouvelle communauté. Cédric Dupont explique tout d’abord qu’elles sont les idées de base de la CPE : Premièrement, répondre à l’agression russe en Ukraine en voyant un signal fort de fédération de l’Europe entière, ne regroupant seulement les pays de l’UE, et deuxièmement créer une nouvelle plateforme « d’arrimage » offrant la possibilité à des pays non-membres d’avoir une nouvelle mouture pour discuter et prendre des décisions difficiles concernant l’Europe tout entière. Notre invité mentionne le fait que la dernière conférence (troisième) de cette nouvelle entité s’étant tenu à Grenade était un échec car aucune décision ou traité commun n’a été conclu entre les différents membres. Pour conclure son propos, M. Dupont explique que la CPE se situe comme 4ème cercle le plus extérieur dédié à la coopération européenne, en plus de ceux déjà existants que représentent l’UE ou l’OTAN par exemple.
Nous en arrivons maintenant au deuxième point traitant des buts principaux de la Communauté Politique Européenne. Cette idée de plateforme commune permettant le dialogue et l’échange n’est pas nouvelle en soi. En effet, le conseil de l’Europe crée en 1949 avait déjà cet objectif et regroupe déjà la grande majorité des pays membres de la CPE. Pourquoi donc ne pas utiliser cette plateforme existante ? Peut-être afin de permettre au Kosovo ainsi qu’à quelques principautés telles que Monaco ou St-Marin d’y adhérer également. Mais est-ce que cela justifie la création d’une toute nouvelle entité dans ce seul objectif ?
De plus, un élément déjà cité plus haut mentionne l’aspect fédérateur de cette association d’États afin de « tout regrouper sous une même vibe européenne, important dans ce contexte de crise actuel » et de démontrer l’alignement de l’Europe derrière l’Ukraine avec des valeurs communes de respect du droit international.
Pour le Prof. Dupont, la CPE est une appellation trompeuse car elle ne constitue pas une réelle communauté mais plus une entité avec l’UE en son centre et quelques autres pays « orbitant » autour de ce noyau. L’absence d’institutions communes renforce ce sentiment. Il serait donc plus judicieux de nommer celle-ci « forum géopolitique de l’UE » par exemple. L’aspect également crucial concernant la sécurité de l’Europe n’y est également pas abordé. Peut-être que cet aspect changera-t-il dans le futur cependant ?
Roland Fischer – Président de l’Association suisse de politique étrangère (SGA/ASPE)
M. Fischer traite plus quant à lui du rapport de la Suisse vis-à-vis de la CPE et vis-versa. Il dit initialement qu’il n’y a pas de discussion au parlement fédéral actuellement au sujet de la CPE. Ce dernier souligne néanmoins le changement d’époque que l’agression russe a entraîné et que ce nouveau défi combiné au vieillissement toujours plus important de la population européenne imposent une plateforme commune de dialogue aux pays européens. Selon lui, les seules institutions européennes fortes aujourd’hui sont l’UE et l’OTAN et qu’il serait difficile de s’imaginer l’Europe actuelle sans celles-ci. Il n’est donc pas étonnant que d’autres pays tels que récemment l’Ukraine et la Moldavie désirent rejoindre l’UE. Même des pays membres de l’UE mais hostiles à cette dernière telles que la Hongrie ou la Pologne ne veulent pas la quitter.
Quel rôle doit donc jouer la CPE dans ce contexte ? Celle-ci est avant tout un projet stratégique et géopolitique car il n’a pas d’organes communs. Il reste malgré tout envisageable que des accords bilatéraux soient signés au sein de cette CPE. Et la Suisse dans tout ça ? Selon M. Fischer, celle-ci doit réaffirmer sa solidarité et son engagement pour l’UE et l’Ukraine, dans la continuité de la conférence organisée à Lugano. Serait-il ainsi envisageable de planifier une conférence de la CPE en Suisse ? Cet intervenant pense qu’il serait bien pour la Suisse de rejoindre l’UE car celle-ci partage des valeurs communes avec elle et que nous le voulions ou non, notre pays fait partie de l’Europe.
Sébastien Maillard – Conseiller spécial, Institut Jacques Delors (Centre Grande Europe), associate Fellow, Chatham House (Europe programme)
Un des points majeurs soulevés par M. Maillard a été l’élargissement de l’Union européenne (UE), marqué par trois demandes d’adhésion en une semaine. Un aspect clé de cette discussion a été l’élimination de toute zone grise sur le continent. Du point de vue de Paris, l’Ukraine a été considérée comme une zone grise pour éviter de froisser Vladimir Poutine. Cette approche a changée suite au déclenchement de l’invasion russe par la Russie et a permis d’inclure l’Ukraine dans une première communauté européenne, illustrant ainsi l’idée d’une famille européenne.
Un autre aspect important abordé par M. Maillard concerne la manière de s’adresser aux pays qui ne souhaitent pas rejoindre l’UE, tels que le Royaume-Uni et la Turquie. Il a souligné la nécessité de trouver d’autres configurations pour discuter de l’Europe, en dehors du cadre traditionnel de l’UE.
La question de donner un cadre politique à une réalité géographique a également été explorée. Sébastien Maillard a souligné, parlant de la Suisse ou du Royaume-Uni, que ceux-ci faisaient partie de l’Europe. Il a plaidé en faveur du dépassement de la bipolarité entre l’Est (Chine) et l’Ouest (USA), tout en notant que l’Europe devient de plus en plus bipolaire mais de moins en moins multilatérale. Il a souligné que la Communauté Politique Européenne est liée non pas par des valeurs communes, mais par la géographie, formant ainsi une communauté de destin, avec la seule condition de respecter le droit international. Il a souligné que la CPE est née en réaction à l’agression russe, mais n’a pas réussi à apaiser les tensions dans d’autres régions européennes, telles que l’Azerbaïdjan et l’Arménie, ou la Serbie et le Kosovo.
La conférence a également mis en lumière la CPE en tant que lieu de dialogues entre les seuls dirigeants européens, avec une délégation réduite aux dirigeants des pays membres. Cette absence d’institutions formelles a été comparée à un « Davos politique européen », favorisant une restauration de la confiance perdue entre les dirigeants. Maillard a insisté sur le caractère plus interpersonnel que gouvernemental de cette organisation ou plateforme, soulignant des domaines spécifiques de coopération paneuropéenne tels que la lutte contre les cybermenaces et les accords sur le roaming. Il a qualifié la CPE d' »objet politique non-identifié » et a posé la question ouverte de comment transformer cette entité en sujet plutôt qu’en objet. Ces idées novatrices font de la CPE un acteur potentiellement influent dans l’avenir des relations européennes et internationales.
Iryna Venediktova – Ambassadrice d’Ukraine en Suisse, ancienne procureure générale d’Ukraine
Madame l’Ambassadrice a débuté son discours en soulignant la gravité du moment actuel, appelant à la découverte de notre force collective et à la prise de décisions cruciales pour l’avenir de nos enfants. Elle a décrit cette période comme étant déterminante, mettant en lumière la volonté et la détermination qui animent la société.
Dans ses propos, elle a également mis en avant l’importance du travail de Pat Cox, présent dans l’audience, saluant son engagement remarquable dans la gestion de la crise en cours. Le président Zelensky, lors de son discours, a cité les figures emblématiques Robert Schuman et Jean Monnet, mettant en avant les valeurs de liberté et d’unité. Selon les dires de Madame Venediktova, l’Ukraine, en défendant la sécurité de l’Europe, représente un tournant majeur pour le continent au XXIe siècle.
La date du 8 novembre 2023 revêt une importance particulière, marquée par une recommandation cruciale en faveur de l’ouverture de discussions et de négociations sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Ce moment est perçu comme décisif, ayant le potentiel de façonner l’avenir de l’Europe.
Les propos recueillis soulignent que tout doute semé en Europe pourrait être exploité par les Russes, appelant ainsi à la vigilance et à la solidarité pour éviter toute manipulation. La réalité des crimes de guerre quotidiens en Ukraine est soulignée, mettant en exergue l’urgence d’agir pour protéger les droits humains et assurer la justice.
L’option de sécurité à long terme pour l’Europe, selon les déclarations, repose sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Cela est considéré comme un pas nécessaire pour garantir la stabilité et la défense collective. Il est souligné comme crucial de fournir à l’Ukraine les armes nécessaires et de maintenir une perspective réaliste quant à son adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN, renforçant ainsi sa position et contribuant à la sécurité régionale.
La Suisse, selon les propos rapportés, exprime une compréhension des besoins des Ukrainiens et manifeste une solidarité significative envers leur situation difficile. Cet exemple est présenté comme un soutien international essentiel en ces moments critiques.
Conclusion
Suite à ces discours, une séance de questions-réponses a lieu avec le public et M. Gilles Grin, directeur de la Fondation Jean Monnet et animateur de la rencontre clôt la discussion en remerciant toutes et tous de leur présence durant cette soirée.