Tulipomanie : la première crise financière documentée

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Aux Provinces-Unies (actuels Pays-Bas) en 1634, sur des marchés peu régulés, une vague de spéculation sans précédent se prépare autour des bulbes de tulipes. Cet engouement soudain reflète l’aspiration croissante de la société à s’embourgeoiser.

Contexte

Les crises financières sont souvent mal comprises et à raison, le monde de la finance est volontairement bien opaque et ne se laisse pas comprendre par n’importe qui. La faute en revient à ses artisans, qui cherchent à le rendre complexe et incompréhensible pour pouvoir en profiter le plus possible sans qu’on ne s’intéresse trop à eux.

Nous allons profiter de cet épisode du XVIIe siècle pour mieux comprendre certaines crises et les mettre en perspective avec les crises actuelles. Cet article se veut vulgarisateur et offre un petit guide de lecture des crises actuelles en les mettant en perspective avec celle-ci.

La spéculation

En économie et en finance, la spéculation consiste à parier sur l’évolution du cours d’un objet financier pour en tirer profit. La spéculation est d’autant plus efficace lorsque le lien entre un objet physique et son produit financier associé est flou.

Imaginez un objet qui ne possède aucune forme physique : vous obtenez par exemple le bitcoin. On voit effectivement que son cours fluctue énormément et très vite, bien plus rapidement que les autres classes d’actifs.

Dans le cas des tulipes du XVIIe siècle, on spéculait sur des contrats à terme. Il s’agit d’un accord entre deux parties pour acheter ou vendre un actif à une date future à un prix prédéterminé. Des bouts de papier donc, qui promettaient la vente du bulbe de la tulipe (qui fleurissent entre mi-mars et mai) à terme. Par exemple, un horticulteur promet à un courtier en septembre de lui vendre une tulipe jaune pour mars qui coûte vingt francs. Le coût du contrat, lui, est de deux francs. Le courtier paie en échange du bout de papier. Une fois le bout de papier en poche, il s’en va voir un bourgeois, à qui il promet de vendre un bulbe en mars pour trente francs.

En effectuant un rapide calcul, le courtier a donc vendu une fleur trente francs qu’il a payée vingt-deux francs. Dans ce cas, la vente s’est bien passée et le bénéfice du spéculateur est de huit francs.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a7/Jean-L%C3%A9on_G%C3%A9r%C3%B4me_-_The_Tulip_Folly_-_Walters_372612.jpgFolie tulipère, Jean-Léon Gérôme, 1882.

C’est un exemple concret d’utilisation des contrats à terme. On constate une hausse des prix, mais rien de véritablement alarmant. Pourtant, on parle bien d’une crise financière : qu’est-ce qui a donc provoqué cette crise ?

Dans un ouvrage resté célèbre, publié en 1841, Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds, le journaliste écossais Charles MacKay affirme que certains courtiers ont eu recours à des prêts pour pouvoir devancer le reste des spéculateurs. En fait, les courtiers empruntent de l’argent pour acheter des bulbes qu’ils revendent aussitôt pour empocher un profit. Le souci, c’est qu’au bout d’un moment, les courtiers parient qu’entre eux et achètent des bulbes seulement pour pouvoir les revendre plus cher. Le prix grimpe donc très vite et une fois tout en haut, et bien, plus personne ne veut acheter de tulipes, elles sont bien trop chères. C’est à ce moment-là que les courtiers, ayant emprunté de l’argent et ne possédant que des bouts de papier invendables, réalisent eux-mêmes l’ampleur du gouffre. Les prix s’effondrent – mais nous y reviendrons. Le gouvernement réagit alors rapidement en permettant aux spéculateurs de se retirer du contrat en ne payant qu’une faible partie de celui-ci. Spoiler : il incombe souvent aux gouvernements de faire une « fleur » (c’est le cas de le dire) aux investisseurs pour les sortir du pétrin et éviter que la crise ne s’étende au reste de la société.

Il est également important de noter que, comme pour tout événement historique, des doutes existent quant à la véracité des propos mis en évidence ici, il est possible que les causes de la crise soient tout autres. Il semble quand même y avoir un consensus.

Bulle spéculative

En 1636, on voit un engouement soudain en France pour les bulbes de tulipes que les Français achètent sur le marché néerlandais. Les spéculateurs entrent ici en jeu et font monter artificiellement le prix des bulbes. La bulle éclate le 3 février, le cours chute extrêmement vite, à cause du mécanisme expliqué précédemment. Finalement, peu à peu, le bulbe de tulipe retrouve un cours cohérent.

Peu de sources fiables permettent d’évaluer l’impact de la crise sur la société néerlandaise. Les sources les plus sérieuses évoquent environ une centaine de spéculateurs touchés, tandis que les horticulteurs ont été relativement épargnés, n’ayant ni emprunté ni spéculé. Le commerce maritime et les colonies, qui constituaient la principale source de revenus des Provinces-Unies à l’époque, sont restés totalement à l’écart de ces spéculations. On imagine donc mal que le pays aurait sombré à cause de quelques spéculateurs de tulipes…

Les causes des crises récentes

Si au XVIIe siècle la crise restait confinée grâce à un gouvernement clément, plus tard, les crises ont eu des effets dévastateurs. La crise financière la plus marquante de cette période est sans doute celle du krach boursier de 1929, qui a durement touché l’Allemagne. Les populations les plus riches se sont ruées en Allemagne pour profiter des prix bas et transformer les villes en bordel à ciel ouvert. Les riches en ont profité pour investir dans ce qui ne perd pas de valeur, comme les usines ou l’immobilier. Ce contexte a nourri le sentiment xénophobe en Allemagne, et a joué un rôle important dans la montée du Fascisme.

Plus récemment, la crise des subprimes de 2008 présente plusieurs similitudes avec la folie des tulipes. Pour faire simple, on a créé des produits financiers complexes, bien plus que des simples ventes à terme, qu’on a appelés subprimes. Ce sont en fait des prêts hypothécaires à taux très élevés et risqués pour permettre aux populations les moins aisées de s’offrir une maison. Mais il était clair pour les banques que les prêts ne pouvaient pas être remboursés et dans tous les cas, elles récupéreraient les maisons. On s’imagine bien que c’est plus grave que des tulipes…

En résumé, les banques consentent des prêts risqués, mais sécurisent leurs actifs par des propriétés immobilières. Comme elles savent que c’est risqué, elles passent des immenses contrats avec des assurances. Un beau jour, les prêts ne rentrent plus et les propriétés perdent leur valeur. C’est comme ça que les banques tombent, les assurances avec, puis finalement un état en crise qui entraîne le reste du monde avec lui. Le gouvernement américain viendra en aide aux banques pour sauver les meubles. Seule la banque « Lehmann Brothers » y laissera sa peau.

Si au XVIIe siècle on s’en sort sans vraiment d’impact, c’est plus du tout le cas. Plus il y a de crises, plus les inégalités semblent se creuser et les populations les plus faibles économiquement en souffrent le plus.

Conclusion

La Tulipomanie du XVIIe siècle est un exemple frappant de la manière dont la spéculation peut mener à des crises financières. En comparant cette crise historique avec des crises plus récentes, comme le Krach boursier de 1929 et la crise des subprimes en 2008, on comprend mieux les mécanismes sous-jacents et les conséquences dévastatrices de telles crises.

Nils Kundert

Sources :

MacKay (1841), Charles. Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds.

Wikipedia (2024), Tulipomanie