L’espoir de Montréal face à la COP29 : Comment continuer la lutte contre le changement climatique ?

Dans The Tragedy of the Commons (1986), Garret Hardin popularise un dilemme central de la protection environnementale : l’idée fondamentale que des biens librement accessibles et gratuits ayant une offre finie, dit communs, vont être surexploités et qu’ils seront finalement épuisés ou détruits. Il présente un pâturage librement accessible à tout le monde. Tous les bergers maximisent leurs moutons sur le pâturage, ce qui va mener à sa surexploitation et destruction éventuelle.

La semaine prochaine, les pays du monde entier vont se rencontrer à Baku pour le rendez-vous annuel sur le changement climatique, dit COP. L’ironie derrière le pays hôte, un pays producteur de pétrole, qui est en plus accusé du nettoyage ethnique et qui accueille une réunion sur le changement climatique n’a pas échappé à beaucoup de journalistes. Face à ces développements, ainsi qu’à l’absence de progrès dans les négociations de l’année passée, un certain désespoir s’est diffusé. Mais, afin de ne pas perdre espoir face à la réalité actuelle, je propose de jeter un coup d’œil au passé à une époque où un seul traité international a sauvé la planète, dans l’espoir d’y trouver des pistes d’inspiration pour le présent.

A poster of a sun and clouds

Description automatically generated

Dernièrement, l’actualité a arrêté de parler du trou dans la couche d’ozone, majoritairement en raison du fait qu’il se répare grâce au Protocole de Montréal conclu le 16 septembre 1987. Pour résumer brièvement : lors de sa conception, la réfrigération révolutionnaire pour le commerce utilisait des réfrigérants très toxiques et explosifs comme l’ammoniac. Dans les années 1930, une famille des substances chimiques dits Chlorofluorocarbures (CFCs), une alternative beaucoup moins dangereuse les remplacent. Mais en 1974, des chercheurs ont pu prouver que les CFC causent une réaction chimique avec la couche d’ozone qui a été détruit, exposant notre planète aux rayons UV. La lutte pour l’interdiction des CFCs était difficile, mais avec la force de la science, de l’UNEP, et plus tard, la force des Etats Unis, la convention-cadre de Vienne a été signé. Deux ans plus tard, en 1987, sous cette convention-cadre, le protocole de Montréal a été établi, marquant officiellement le début de la lutte contre la destruction de la couche d’ozone.

Les restrictions au commerce :

Une des meilleures solutions du protocole est la formule suivante :

Consommation = Production + Importation – Exportation

Cette formule permet de mesurer la consommation des pays. De plus, le traité a interdit d’importer des CFCs depuis des pays non-adhérents au protocole. Additionellement, à partir de 1993, le protocole interdit les exports des CFCs envers des pays non-adhérents. Étant donné que leur production se concentrait principalement sur les pays occidentaux, l’adhésion de ces derniers a créé une forte incitation pour que les autres pays rejoignent l’accord afin de maintenir leur accès aux CFCs. Ce mécanisme a aussi empêché la délocalisation de la production de CFCs vers des pays non-signataires, en limitant les échanges avec ceux-ci.

Le caractère évolutif

Une des principales innovations du traité est son caractère de précaution, encourageant à agir rapidement face à des risques majeurs, sans attendre des preuves définitives. Le protocole introduit donc des mesures contraignantes mais flexibles. Pour classifier les différentes substances en usage et déterminer lesquelles causent le plus de dégât à la couche d’ozone, on a introduit une échelle, le Ozone Depletion Potential (ODP). On a mesuré les émissions de chaque substance et on l’a multipliée par leur ODP pour trouver le niveau d’émissions mesuré en ODP pour chaque pays. Cette manière de calculer incitait à réduire les substances les plus dangereuses en premier, ou au moins de les substituer avec des substances ayant un ODP plus bas. En plus, si un pays avait besoin d’une substance pour leur industrie, c’était possible de continuer son utilisation et de réduire plus fortement la consommation des autres substances.

De manière cruciale, le traité stipule que ses mesures peuvent être ajustées si les pays en faveur du changement représentent ensemble les deux tiers de la consommation mondiale de CFC. De nouvelles restrictions, telles que l’interdiction d’autres substances dangereuses comme les HCFC, fondées sur l’état actuel de la recherche, ont été intégrées dans les protocoles dérivés du Protocole de Montréal.

Les responsabilités communes mais différenciées

Initialement, la discussion était seulement menée par des pays développés. Mais quand les mesures sont devenues plus concrètes, c’était clair que les pays en voie de développement (PVD) devaient être inclus. En effet, ils allaient aussi être impactés lors de leur industrialisation et ils deviendraient une grande source de demande des CFCs et autres Ozone Depleting Substances, ou ODS. Le système prévoit donc des délais prolongés pour éviter que les pays en développement ne subissent des contraintes, tant que leur consommation reste en dessous d’un certain seuil. Au contraire, les pays industrialisés étaient ceux qui devaient agir dès le départ, car ils étaient les plus grands consommateurs. Ils disposaient également des ressources financières pour financer cette transition et pour devenir les développeurs et premiers adopteurs des nouveaux réfrigérants. Les restrictions commerciales ont été conçues dans l’optique de garantir l’approvisionnement en ODS pour les pays en développement, à condition qu’ils adhèrent au traité, tout en décourageant le développement de l’industrie des ODS. De plus, le protocole de Londres de 1990 a établi un fonds multilatéral pour soutenir les PVD dans leur transition.

Les leçons pour Baku

A circular chart with different colored circles

Description automatically generated

Avec ces mécanismes, le protocole de Montréal, ainsi que ses protocoles et amendements ultérieurs, est devenu un des traités le plus ratifié du monde.

Son succès repose notamment sur la méthode qu’il utilise pour contourner le dilemme du prisonnier. Les tragédies des biens communs, comme celle décrite par Hardin, ainsi que la lutte contre le changement climatique, sont souvent qualifiées de dilemmes de ce genre. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec ce concept : dans ce type de dilemme, la coopération est indispensable pour maximiser le bénéfice collectif (ici, la protection de notre planète). Toutefois, chaque individu (ou pays) peut être tenté de « tricher » ou de se soustraire à l’effort commun, tant que les autres continuent de coopérer.

La raison pour laquelle il faut un traité fort et contraignant est pour éviter ce détournement. Le protocole de Montréal a réussi à effacer ce problème, parce qu’il punit les pays non-collaborateurs (pour exemple avec les restrictions de commerce) et incite les pays à le ratifier (par exemple avec le fonds multilatéral, ou l’accès aux CFC). D’autre part, les pays qui ont le plus profité (les pays industrialisés) payent la plupart des coûts, mais tout le monde assume des responsabilités et personne ne fait du freeriding.

Aujourd’hui, il est crucial de tirer des leçons pour les négociations des COP annuelles, en gardant à l’esprit la différence majeure avec celles de Bakou. Le Protocole de Montréal était très précis, ciblant des substances spécifiques, utilisées presque uniquement par des pays industrialisés. C’était beaucoup plus facile d’estimer l’impact sur l’économie. En revanche, CO2 et gaz à effets de serre touchent toute l’économie, rendant les pays plus hésitants à accepter des restrictions.

Une approche potentielle pourrait être des traités sectoriels, par exemple dans le secteur de production de ciment, le transport aérien, ou sur l’utilisation de l’énergie dans l’industrie. Cela faciliterait l’application des leçons, qu’il s’agisse de pénaliser la non-adhésion ou d’encourager l’adhésion. Des accords comme celui de Paris ont souffert de ce problème fondamental de non-contraignance, favorisant ainsi le freeriding. Par le passé, nous avons déjà réussi à sauver notre planète, et il est possible de renouveler ce succès. Mais pour cela, il faut oser.

Jonas Bruno

Sources

Ozone diplomacy (1998) – Richard Elliot Benedick

The Montreal Protocol – UNEP

Global Cilmate Change Agreements – Cfr

Ethnic Cleansing in Nagorno-Karabakh – Cfr

IEA on Cement and CO2

COP29 and the greenwashing of Azerbaijan – FT

The ozone layer – NASA