Manger moins de viande, une décision rationnelle ?

Ces temps-ci, nous avons tous un(e) ami(e) prônant une alimentation sans viande, ou du moins une réduction de la consommation de celle-ci. Certains le font de manière autoritaire, d’autres le suggèrent simplement, et les derniers ne se mêlent pas de ce que vous déguster.

Face à cette injonction, certains nient l’affaire, trop amateur de bonne chair et d’autres plus curieux, s’interrogent quant aux fondements de cette position. En effet, quelles peuvent être les différentes raisons d’une telle privation ? En réalité, de nombreuses raisons existent et toutes, qu’elles soient antispécistes, scientifiques, religieuses, culturelles, économiques, écologiques, progressistes ou simplement gustatives, ont de plus en plus d’adeptes.

Examinons ces raisons une à une, en faisant preuve de tolérance et d’ouverture d’esprit, comme tout bon lecteur d’HEConomist.

Que dit le discours scientifique ? Ou devrions nous dire les discours scientifiques, car la science prend toujours différents chemins avant de converger vers une unanimité incontestée dans le temps. Les spécialistes de la nutrition avancent qu’un régime végétarien améliore la santé, réduit l’exposition au maladies chroniques et peut même étendre l’espérance de vie. Il est aujourd’hui prouvé qu’un régime végétarien équilibré est nutritionnellement suffisant. Il est donc prouvé que manger de la viande n’est pas nécessaire à notre survie.

Les démographes aussi estiment que consommer moins de viande sera nécessaire à la survie de l’espèce humaine d’ici 2050. Car s’il est aujourd’hui possible de nourrir la population humaine avec ce que nous produisons sur la surface agricole actuelle, cela ne sera plus possible en 2050. En effet, les chercheurs ont effectué de nombreuses simulations mimant les différentes stratégies alimentaires et la croissance de la population, ce sans étendre la surface cultivée. Ils ont prouvé que 100 % des scénarios étaient faisables dans le cas d’un régime mondial végétarien, tandis que seulement 15 % des scénarios étaient possibles dans le cas d’un régime carnivore européen.

Les écologistes ont montré que la consommation de viande contribuait largement à l’émission de C02. L’agriculture est en effet l’une des causes majeures des émissions, au même titre que le transport. Mais c’est surtout l’élevage qui a recours à l’agriculture pour produire. Il a été prouvé que l’élevage requiert nettement plus de terre, d’eau et d’énergie que la culture de céréale et autres. En chiffres, 27 kg de CO2 sont émis par kilo de viande contre 0,9 kg par kilo pour des lentilles. Selon une étude de l’Université d’Oxford, l’adoption globale d’un régime végétarien permettrait de réduire les émissions liées à l’alimentation de 70 %.

Si l’on consulte l’histoire, celle-ci nous montre que la consommation de viande fut nécessaire à notre évolution. Les biologistes évolutionnistes ont découvert qu’un apport en calorie provenant de la viande fut crucial et que sans celui-ci, nous ne serions pas là où nous en sommes aujourd’hui. L’apport en calorie procuré par la viande et le peu de temps nécessaire à la consommer, en comparaison avec les racines, a permis la « rapide » évolution du cerveau, et par conséquent de nos capacités à communiquer et à s’organiser. Bien que la consommation de viande semble avoir joué un rôle majeur dans l’évolution de notre espèce, cet argument n’est en rien une raison rationnelle pour justifier la consommation de viande actuelle…

D’un point de vue religieux, c’est en Inde que l’on trouve les religions prônant le régime végétarien. Le Jaïnisme interdit la consommation de viande, et plus largement de tout produit dont l’origine suppose la souffrance d’un être vivant. Ils ne mangent donc pas de racines, car cela suppose d’enlever la vie à la racine en question. L’Hindouisme recommande un régime végétarien, cependant certaines de ses sous-branches autorisent la consommation de viande. Le Bouddhisme suppose la non-violence envers les animaux, mais il est autorisé de consommer de la viande reçue ou dont on ne suppose pas la mort par violence.

Concernant les autres religions majeures, à savoir le Christianisme, l’Islamisme et le Judaïsme, aucune d’entre elles ne prône un régime végétarien, mais toutes ont des subdivisions/adeptes qui pratiquent une diète végétarienne.

Passons à une autre raison culturelle : l’antispécisme. Il se définit par opposition au spécisme, qui suppose que les membres d’une certaine espèce ont des droits moraux plus étendus ou supérieurs à ceux accordés à d’autres espèces.  Contrairement à eux, les antispécistes affirment donc que l’espèce humaine n’a aucun droit sur les autres espèces habitant la planète, et donc encore moins le droit de les manger, de s’habiller avec leur peau, ou de les utiliser comme moyens de transports. Il est vrai qu’il n’a pas été prouvé que l’homme, par sa nature, possèderait des droits moraux sur les autres espèces. Cependant, peut-être que le lion ne se pose même pas la question et finit par manger la gazelle. Laissons la question du spécisme ouverte et passons à la raison suivante, plus terre à terre.

Les économistes se sont ralliés à la cause après une discussion avec leurs collègues médecins. Celle-ci leur a permis de comprendre les bénéfices immenses d’un changement de régime alimentaire, tant au niveau de la santé publique qu’au niveau de la protection de l’environnement. Les modèles prédisent des économies situées entre 700 et 1000 milliards de dollars en soins de santé, et ce par an pour la population mondiale. La valeur que la société attribue au risque réduit du décès s’élève à 9-13 % du PIB mondial, c’est-à-dire 20 à 30 trillions de dollars (trillion = mille milliards). Les économistes se sont aussi intéressés au coût environnemental et ont calculé que les bénéfices d’un changement de diète, dû à la réduction de l’émission des gaz à effet des serres, s’élèvent à plus de 570 milliards de dollars. Les estimations de ces modèles sont à prendre avec un grain de sel, car comme nous le savons tous, les modèles dépendent fortement des hypothèses de départ et d’autres paramètres.

Il semblerait donc que de nombreux arguments valides sont en faveur d’une alimentation végétarienne, ou du moins partiellement. Il est peut-être temps pour nous, omnivores, de repenser notre diète, que ce soit par intérêt personnel ou par altruisme.

Charles Emsens