Les populistes d’extrême-droite, ou le monopole de l’information

Nul besoin d’être un.e grand.e expert.e de politique internationale pour constater que le discours populiste est en plein essor depuis plusieurs années déjà. Une récente enquête commandée et publiée par The Guardian a prouvé empiriquement que les populistes avaient la cote. Ainsi, sur les 40 pays étudiés, la moyenne du niveau de populisme des gouvernements a doublé en près de 20 ans. Non seulement ils parviennent à monopoliser l’espace public, mais ils arrivent également à être élus. Mais comment expliquer l’omniprésence de ce discours populiste ? Pour l’expliquer, il est plus aisé de se focaliser sur un type de populisme, celui de l’extrême-droite.

Les raisons d’un tel succès

Le populisme est d’abord une technique de discours, une rhétorique travaillée mais qui semble pourtant simpliste. C’est une histoire de leader charismatique, sans réel programme politique, mais promettant la rupture avec l’ordre établi, l’establishment. C’est aussi un récit d’un scénario dramatisant, dans lequel le coupable de tous les maux de la nation est désigné de manière très floue, imprécise. C’est le Juif, le musulman, l’étranger, le communisme, le capitalisme, l’administration, les élites… C’est cet ennemi qu’il faut combattre pour préserver une idéalité sociale, une vision embellie de ce qu’était la société avant l’arrivée de cet ennemi. C’est surtout l’histoire du leader qui se propose pour sauver la nation, maniant les techniques discursives avec brio, jouant sur le pathos et dégageant un certain ethos, ce qui semble plaire aux foules

Le contexte n’est pas anodin non plus. La transmission du discours populiste est facilitée par les crises économiques, politiques, identitaires ou sociales. La crise sociale actuelle dans certains pays, mêlée à un désintérêt généralisé de la politique traditionnelle, facilite la propagation des discours populistes, surtout au travers des médias et des réseaux sociaux. Mais l’extrême-droite a cette particularité qu’elle possède un relai important sur les réseaux sociaux. Ce que les Français appellent parfois la « fachosphère » est une communauté, souvent emplie de faux comptes, qui propagent discours haineux et fake news sur les divers réseaux sociaux. Elle bénéficie dans cette tâche de l’aide précieuses des personnalités médiatisées de ces mouvements. De Zemmour à Dieudonné en passant par Soral, les soutiens sont nombreux pour relayer le discours populiste et haineux. Une nouvelle façon de faire de la propagande donc, qui, loin d’être restée conservatrice, surfe sur la vague numérique.

Tous coupables ?

Bien que les populistes présentent les médias comme un ennemi, complice de l’ordre établi qu’il s’agit de combattre, il n’en demeure pas moins que les médias leur servent de relais. Toujours à la recherche du sensationnel, du plus vendeur, la presse n’hésite pas à relayer les messages de haine, en les critiquant, pour le plus grand bonheur des populistes. Car chez ces derniers, le bad buzz est simplement un moyen de faire le buzz et de monopoliser l’attention en répondant aux médias, renforçant toujours plus leur discours antisystème.

Quant aux réseaux sociaux, le procès est encore plus rapide. L’algorithme de Facebook est toujours plus critiqué car il n’empêche pas assez les fake news et les discours haineux, alors qu’il bloque les photos d’enfants yéménites affamés prises par le New York Times. Que penser des réseaux sociaux quand le leader de l’extrême-droite italienne, Matteo Salvini, déclare après son élection en 2018, « Merci Dieu pour Internet. Merci Dieu pour les réseaux sociaux. Merci Dieu pour Facebook »[1] ? Au nom du sacro-saint premier amendement consacrant la pleine et entière liberté d’expression, les grands groupes américains se targuent d’être un espace de liberté pour tou.te.s, y compris l’extrême-droite.

Enfin, la société n’est-elle pas coupable également ? En parlant de ces mouvements, ne leur accordons-nous pas trop d’importance ? Ne sommes-nous pas responsables de l’écoute que nous leur fournissons, de la préférence que nous accordons à la presse sensationnaliste aux dépens du journalisme plus sérieux ? Condamnons-nous suffisamment les discours aux conséquences parfois désastreuses ? Autant de questions que nous devrions nous poser face à l’importance toujours croissante du discours populiste.

Quelles solutions ?

C’est là que tout doit être nuancé. Au lieu de faire le procès des médias, il est nécessaire de réaliser qu’ils répondent à une demande de la société. Si les lecteurs n’étaient pas désireux d’entendre le discours populiste, celui-ci ne serait pas relayé par les médias traditionnels. Notre approche du discours populiste et du journalisme a changé. Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, déplore « l’impuissance politique » des journalistes lorsqu’il écrit « les discours fascistes qui, avant-hier, choquaient, immédiatement réprouvés et condamnés par les commentateurs et éditorialistes, ont donc aujourd’hui table ouverte, sans distance ni réserve »[2].

Cependant, d’autres journalistes refusent de se laisser aller à la résignation et appellent leurs collègues à réfléchir au journalisme qu’ils veulent offrir. En choisissant les sujets dont ils traitent, les médias ont un rôle majeur dans la diffusion des idées politiques et doivent donc prendre conscience de la « responsabilité sociale et citoyenne du journaliste »[3].

Enfin, la question des réseaux sociaux révèle la tension au cœur du problème. Pour éviter que le discours populiste et haineux se propage, il faut passer par des mécanismes visant à réduire la liberté d’expression. Fatalement, nous devrons faire le choix de garder nos démocraties intactes en acceptant le populisme ou nous nous débarrasserons de ce fléau au prix de l’amoindrissement de notre liberté. Le populisme fait partie intégrante de la démocratie, se réclamant seul vrai défenseur du peuple, et il est désormais temps de penser comment faire coexister ce discours avec les valeurs d’ouverture que prônent les pères fondateurs de nos démocraties.

Deborah Intelisano