Autrefois appelé « La Suisse du Moyen-Orient », le Liban connaît depuis quelques années une crise sans précédent. Même si l’explosion du port de Beyrouth a révélé la situation aux yeux de tous, le pays n’a pas attendu le 4 août 2020 pour sombrer dans la misère. Entre contexte politique tourmenté et économie bancale, c’est tout un système qui est à remettre en question.
Les conséquences d’un système politique communautariste
C’est en 1943 que le Liban obtient son indépendance suite à la chute de l’empire ottoman et de plusieurs décennies d’influence française. Est alors mis en place un pacte communautaire entre chrétiens et musulman afin de garantir la paix entre les citoyens. En effet, le peuple libanais est composé de chrétiens maronites, de musulmans chiites et de musulmans sunnites qui représentent chacun environ 30 % de la population, à cela s’ajoute 10 % d’autres confessions religieuses.
Afin de garantir la paix et la représentation de chacun au sein du gouvernement, une démocratie consociative a alors été mise en place : les postes au sein de l’appareil étatique sont distribués en fonction de l’appartenance communautaire. Par exemple, le Président de la République doit être chrétien maronite, le Premier ministre musulman sunnite et le Président de la Chambre musulman chiite. Initialement, la cohabitation s’est faite de façon harmonieuse, si bien que le Liban était la capitale culturelle et économique du monde arabe à cette époque.
Mais très vite, ce système va mettre les communautés en rivalité les unes avec les autres : elles commencent à se concevoir comme des adversaires et ceci favorise le clientélisme communautaire. En effet, les leaders de partis sont aussi souvent des patrons de grandes entreprises qui font vivre leurs communautés respectives. Voter contre ces personnes, c’est donc voter contre ses propres intérêts financiers. De plus, le pays souffre de sa proximité avec de nombreux conflits, notamment ceux entre Israël et Palestine, Arabie Saoudite et Iran, et la guerre en Syrie. Dans ce contexte de fragilité interne, accentuée par les conflits extérieurs, une guerre civile éclate alors en 1975 faisant plus de 150’000 morts en 15 ans. Depuis, l’état du système politique ne s’est pas amélioré. Les élites politiques ne font pas preuve d’innovation, leur corruption est de plus en plus visible et les inégalités s’accentuent. Si bien qu’en 2019 un nouveau point de rupture est atteint lors de l’annonce de la mise en place de nouvelles taxes, notamment sur l’application de messagerie Whatsapp, les cigarettes et l’essence. Cela va créer des vagues de manifestations trans-confessionnelles et trans-générationnelles demandant la fin d’une classe politique problématique qui stagne et sert d’abord ses intérêts. Nous allons alors observer une succession de gouvernements entre décembre 2019 et septembre 2021 avec une période de plus d’un an sans gouvernement.
Une économie en équilibre fragile.
En 1990, après 15 ans de guerre civile, le Liban avait un important besoin de financement pour se reconstruire. Le gouvernement s’est donc surendetté pour atteindre en 2020 une dette représentant 170 % de son PIB. En comparaison, celle de la Suisse représente seulement 15 % de son PIB.
L’économie du pays était essentiellement non-productive, basée sur le tourisme ainsi que les services bancaires. C’est ainsi que 80 % de sa consommation devait être importée, de sorte que sa balance commerciale était déficitaire de 15 milliards de dollars US en 2019. Ce déficit était rendu possible par l’indexation de la livre libanaise sur le dollar américain, grâce aux flux réguliers de dollars via les transferts d’argent de la diaspora et les investissements étrangers du Golfe arabe.
Cependant, à partir de 2014, plusieurs éléments ont mis ce système en danger. La guerre en Syrie, qui existe depuis 2011, a poussé 1,5 million de Syriens à se réfugier chez leur voisin libanais. Cela représente 25 % de la population du pays et cela a donc de sérieuses répercussions économiques. Ce contexte de guerre participe à l’instabilité politique au Moyen-Orient, ce qui réduit considérablement les investissements étrangers. De plus, la chute du prix du pétrole, et par conséquent, des revenus de certains pays comme l’Arabie Saoudite, réduit également les investissements. C’est ainsi que progressivement, les réserves en dollars ont commencé à se détériorer et ont entraîné la chute de la livre libanaise. C’est en 2018 que la crise commence réellement à se faire sentir. Le PIB connaît une croissance négative et les prévisions pour 2020 annoncent une baisse de 25 %. Le pays va alors ressentir la pandémie du COVID-19 de plein fouet, ce qui va accentuer les problèmes existants pour atteindre un taux de change, en pratique, de 1 dollar pour 24’000 livres en décembre 2021.
L’explosion : le coup fatal.
Le 4 août 2020 à 18 heures, une double explosion au port de Beyrouth va causer la mort de 215 personnes et entraîner des dégâts estimés à plusieurs milliards de dollars. C’est un nouveau point de rupture entre les Libanais et les élites politiques qui est franchi. En cause : la corruption et la négligence de ces derniers selon le peuple libanais. La moitié de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté et des taux de chômage supérieurs à 30 % sont atteints. Le pays connaît une inflation sans précédent avec un taux record de 239,46 % en janvier 2022, soit un pouvoir d’achat divisé par 5. De nombreuses personnes ont déjà quitté les villes pour retourner dans les villages parce qu’elles ne pouvaient plus vivre à Beyrouth.
Même si les perspectives d’un avenir meilleur sont envisageables, une refonte complète de son économie et de son système politique sont nécessaires au Liban. De plus, le temps où le pays gérait les finances et servait d’intermédiaire commercial à tous ses pays voisins semble révolu puisque chacun possède désormais des infrastructures suffisantes pour assurer ce rôle seul. Est-ce là une épreuve supplémentaire à la reconstruction libanaise ou la chance d’un nouveau départ sur des bases vierges ?
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