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Deepfakes, le nouveau carburant des complotistes ?

Pour expliquer son scepticisme, l’apôtre Thomas disait : « Je ne crois que ce que je vois ». Force est de constater que la plupart d’entre nous vivent avec cet adage en tête. Ne faisant confiance qu’à nos sens, nous sommes persuadé.e.s ne pas pouvoir tomber dans la crédulité. Si mes yeux peuvent le voir et mes oreilles peuvent l’entendre, mon âme cartésienne sera satisfaite. A l’ère de la post-vérité, nous sommes assailli.e.s d’informations et de faits dont la véracité est parfois à douter : cet exercice de tri entre ce qui est vrai et ce qui est faux devient donc d’autant plus nécessaire pour ne pas tomber dans le piège des « diaboliques » fake news. Mais que faire quand nous ne pouvons même pas nous fier à nous-mêmes ? Comment déjouer les mensonges quand nos propres sens nous font défaut ?

La manipulation d’images à des fins de divertissement, publicité ou de manipulation est un procédé aussi vieux que la photographie elle-même et qui s’est grandement perfectionnée avec l’arrivée de logiciels comme Photoshop. Utilisée en politique pour décrédibiliser ses adversaires ou bien par les équipes marketing de l’industrie agro-alimentaire pour rendre leurs produits délectables dans les spots publicitaires, l’altération des images est devenue aujourd’hui notre quotidien. Cependant, alors que le traitement d’images était auparavant réservé à un groupe restreint de personnes ayant les connaissances et le matériel pour produire un travail de qualité, il s’est aujourd’hui démocratisé, mais est surtout devenu hyperperformant, notamment grâce aux « deepfakes ».

Les deepfakes sont des médias synthétiques produits à partir d’une méthode reposant sur une intelligence artificielle donnant des images plus vraies que nature. Cette méthode permet notamment de remplacer le visage et la voix d’une personne par celle d’une autre dans une vidéo. En effet, alors que les logiciels traditionnels de traitement d’images ne permettaient de modifier qu’une image fixe, le deepfake permet quant à lui de s’attaquer à un format vidéo. La technologie des deepfakes est impressionnante car elle repose sur une IA travaillant avec deux algorithmes ; un algorithme produit un deepfake aussi réaliste que possible tandis que l’autre cherche à détecter la moindre imperfection de ce deepfake. Les deux algorithmes apprenant l’un de l’autre permettent donc au logiciel de produire des deepfakes de plus en plus convaincants et indétectables.

Les deepfakes ont commencé à faire leurs apparition dès 2017, notamment sur le site Reddit où les utilisateur.trice.s partageaient leurs créations. Cependant, ils ont surtout attiré l’œil du public en 2018 quand l’acteur et producteur américain Jordan Peele, en collaboration avec le média Buzzfeed, a publié une vidéo deepfake où Barack Obama incitait la population à se méfier des fausses informations…

S’en est suivi alors une multiplication de deepfakes en tous genres ; des parodies de Donald Trump, un faux Tom Cruise jouant au golf sur TikTok, mais aussi (car toute nouvelle technologie s’accompagne d’utilisations vicieuses) l’utilisation de deepfakes pour insérer des visages de femmes célèbres dans des vidéos à caractère pornographique. Les deepfakes se sont depuis « démocratisés » et il n’est pas impossible que vous tombiez sur quelques-uns de ces spécimens aujourd’hui en scrollant votre fil d’actualité Instagram.

Mais pourquoi s’inquiéter des deepfakes ? Revenons-en à cet adage « Je ne crois que ce que je vois ». Comment faire la part des choses quand tous nos sens sont trompés et que nous ne pouvons faire reposer notre jugement sur aucun autre paramètre que le contenu visuel et audio de la vidéo que nous regardons ? Les deepfakes sont devenus tellement performants qu’il est très difficile d’effectuer cet exercice de tri entre le vrai et le faux, d’autant plus que ces deepfakes se multiplient et que cet exercice n’est plus seulement ponctuel et/ou divertissant, mais qu’il devient quotidien. En effet, au contraire de Photoshop qui est payant et donc restreint à un nombre limité de personnes, l’avantage des deepfakes réside dans leur facilité d’accès et d’utilisation, ils peuvent être créés par des applications sur smartphone gratuites et accessibles à tout le monde. Avec quelques clics, n’importe qui en possession d’un téléphone pourra faire dire et faire n’importe quoi à la reine Elizabeth II par exemple.

Le nœud du problème est en fait plus complexe. Oui, les deepfakes peuvent être divertissants, oui, ils sont même utilisés à des fins artistiques (c.f. l’exposition « Deep Fakes: Art and Its Double », visible jusqu’au 01.05.2022 aux Pavillons EPFL) mais ce côté ludique n’enlève rien à leur dangerosité, surtout dans la propagation des fausses informations et des théories du complot. En effet, pour qu’une fausse information puisse circuler et qu’une théorie du complot puisse se propager, il est essentiel d’avoir un contenu sur lequel s’appuyer et qu’il soit possible de partager. Les deepfakes sont le vecteur parfait pour cela : ils trompent nos sens, ils sont faciles d’accès et d’utilisation, ils se partagent rapidement et facilement, mais surtout, ils ont l’air extrêmement crédibles. Les deepfakes sont en ce sens du pain béni pour les complotistes. Pire, la technologie auto-apprenante avec laquelle fonctionne l’intelligence artificielle des deepfakes joue contre nous, plus le temps passe, plus elle produit des deepfakes performants et réalistes, nous rendant encore plus crédules. Voici en comparaison du deepfake de Barack Obama, un deepfake de l’acteur Morgan Freeman datant de 2021 :

Nous pouvons voir qu’en l’espace de trois ans seulement, la technologie a bien évolué et nous pouvons imaginer ce qu’elle sera dans quelques années… Les deepfakes sont du gasoil jeté dans le feu des théories du complot. Imaginez, enfin une vidéo prouvant que Michael Jackson est toujours vivant ou Joe Biden admettant que la Terre est bien plate, tout cela ficelé dans une vidéo plus que réaliste ? Ou bien, plus vicieux, une vidéo deepfake d’un candidat ou une candidate politique dans une situation compromettante ? Bien plus que d’entacher la réputation d’une personne, les deepfakes ont la capacité d’interférer dans les campagnes présidentielles par exemple et donc de potentiellement entraver des processus démocratiques. Si nous ajoutons au réalisme des deepfakes la rapidité de diffusion et la viralité que permettent les médias sociaux, nous avons la combinaison parfaite pour l’émergence et le partage de contenus désinformateurs et de théories du complot.

Aujourd’hui, les moyens de luttes contre la diffusion de deepfakes sont encore très faibles. La technologie étant encore très récente, il n’existe pas réellement de moyens de lutte à grande échelle contre la diffusion de fausses informations par des deepfakes. Toutefois, Facebook et Twitter ont déjà commencé à se pencher sur la question tout comme la Chine qui a interdit depuis 2020 la diffusion de deepfakes qui ne sont pas explicitement indiqués comme tels. Cependant, face à la popularité grandissante des deepfakes, il est très probable que d’autres pays ou organisations se saisissent de cette problématique prochainement.

Ismira Mahmutovic
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