Retour sur notre conférence focus sur le thème du complotisme

Le 12 avril 2022 a eu lieu la 5ème édition de notre événement annuel, le Focus, qui portait cette année sur le thème du complotisme. A cette occasion, nous avons eu le plaisir d’accueillir Pascal Wagner-Egger, enseignant et chercheur en psychologie sociale et en statistiques à l’université de Fribourg, et auteur du livre Le bruit de la conspiration : psychologie des croyances aux théories du complot.

Retour sur cette conférence.

Le complotisme, un thème à la fois actuel et ancien

Quoi de plus actuel que le thème du complotisme ? En effet, entre la puce 5G dans les vaccins, l’idée que le virus du COVID a été créé en laboratoire pour être ensuite consciemment propagé dans la population, ou qu’il a été fabriqué à partir du virus du sida, ce ne sont pas les théories du complot qui manquent avec la crise sanitaire actuelle.

Mais les adeptes des théories du complot n’ont pas eu besoin d’attendre la pandémie pour trouver de l’inspiration. Lors des élections américaines par exemple, les complotistes étaient déjà bien inspirés. Mais les débuts des théories du complot sont bien plus anciens. Les premières dont on a traces datent des premiers temps de la Chrétienté, où l’on associait les groupes qui n’étaient pas appréciés, notamment les Juifs, à des suppôts de Satan.

Pourquoi y a-t-il autant de théories du complot ?

Les théories du complot plaisent depuis toujours. Tout événement important est accompagné de son lot de théories les plus farfelues. Pour n’en citer que quelques-unes que vous connaissez sans doute, il y a notamment la mort de lady Diana qui aurait été provoquée par la famille royale qui ne voulait pas que Diana épouse un musulman, les images d’Apollo XI qui aurait été prises dans un hangar en Arizona ou encore les multiples théories au sujet des attentats.

Le grand nombre de théories existantes s’explique par les innombrables cibles possibles. Dès qu’un événement est accompagné d’une part d’inconnu, il y a matière à créer une théorie du complot. Les complots surgissent alors tout naturellement lorsque l’on parle de catastrophes naturelles, de nouvelles technologies ; même les élections sont source de complots, car les votes à bulletins secrets y ajoutent un aspect mystérieux.

Il existe certes de vrais complots, par exemple lorsque les grands patrons des industries du tabac ont fait croire que la nicotine n’était pas addictive. Mais la différence entre un complot avéré et une théorie complotiste sont les preuves apportées. Lorsqu’il s’agit d’un complot prouvé, elles sont démontrables scientifiquement ou recevables devant un tribunal. Dans le cas des industriels du tabac, par exemple, ce complot a été dénoncé par des employés, preuves à l’appui. Des enquêtes ont été menées et des documents confidentiels ont été révélés au grand jour. A l’inverse, les théories du complot se contentent de mettre en doute la version officielle à l’aide d’anomalies apparentes sans y apporter de preuves tangibles. Bien souvent, ces anomalies ont des explications plausibles qui n’ont simplement pas été découvertes faute d’investigations.

Pourquoi sont-elles si populaires ?

Durant la pandémie, nous avons eu droit à une profusion de théories du complot. Et pour cause, c’est un événement qui réunit tous les ingrédients nécessaires à ce type de théories. En voici la recette :

  • Un danger : l’anxiété collective favorise les théories irrationnelles.
  • Une durée : les pandémies, tout comme les guerres, laissent le temps aux complotistes de laisser libre cours à leur imagination.
  • Un aspect multifactoriel : entre les mesures prises pour lutter contre le covid, les traitements et le vaccin, la pandémie offre une source d’inspiration inépuisable pour les adeptes des théories complotistes.
  • Des théories contradictoires : les avancées scientifiques peuvent potentiellement être réfutées après vérifications, ce qui implique parfois des contradictions qui alimentent les théories du complot.
  • Des conséquences socio-économiques négatives : la crise a engendré de nombreux problèmes, et les théories du complot ont permis à ceux qui en avaient besoin de trouver un bouc émissaire.

Pour agrémenter la recette, d’autres éléments favorisent la popularité des théories du complot.

Les complots ont un attrait narratif, ils font de belles histoires auxquelles on peut avoir envie de croire. Ce n’est pas pour rien que les films et livres sur les complots se vendent à des milliers d’exemplaires. On s’y intéresse car ils piquent notre curiosité.

Il est presque naturel de vouloir donner du crédit à ces théories, car nous avons tous en nous une légère paranoïa. Lorsque l’on entend des rires sur notre passage, on pense presque automatiquement qu’il s’agit de moqueries à notre égard. Pourtant, il pourrait y avoir de multiples raisons à ces rires, et notre passage à ce moment-là n’est, la plupart du temps, qu’une coïncidence. Le complotisme est ce mécanisme poussé à l’extrême. Nous voyons des corrélations là où en réalité il n’y a que coïncidence.

La croyance en ces théories peut également faire écho un à besoin d’unicité. Cela peut entraîner un sentiment d’appartenance à une cause ou, à l’opposé, un sentiment de supériorité par rapport aux autres. Le complotiste typique est narcissique, il pense que lui seul détient la vérité et que les autres ont tort. Il a souvent une piètre opinion de lui-même. La vision négative de l’humain qu’il fait ressortir dans ses théories est alors, en réalité, une projection de la manière dont il se voit. Croire en ces théories lui permet donc de se valoriser en s’érigeant en unique détenteur de la vérité.

Ces théories répondraient également à notre besoin de se trouver un bouc émissaire. Les personnes qui croient à ce type de théories ont tendance à se situer plutôt au bas de l’échelle sociale. Ils seraient donc moins éduqués, et aurait moins d’esprit critique. Le complotisme serait également plus présent dans les milieux dans lesquels il y a de grandes différences sociales, car ces théories donnent à celles et ceux qui ont peu de moyens des coupables et leur permettent de prendre leur revanche sur le système.

La théorie des deux systèmes, exposée par Daniel Kahneman dans son livre Les deux vitesses de la pensée, pourrait également expliquer notre propension à croire aux théories du complot. Selon cette théorie, nous aurions deux systèmes de pensée : un premier intuitif et rapide, alimenté par les biais cognitifs qui nous viendrait de l’époque durant laquelle nous étions des chasseurs-cueilleurs et où notre principale préoccupation était notre survie. Et un deuxième système de pensée, plus lent, plus analytique. Les théories du complot feraient alors appel au premier système, sans solliciter le deuxième.

Enfin, lorsque l’on a cru à une théorie, il devient logique de croire aux autres, elles deviennent plus plausibles et on leur accorde plus de crédit.

Critiques des théories du complot

Pascal Wagner-Egger met en lumière quelques principes qui démontrent l’inconsistance des théories du complot.

Au regard du nombre de théories du complot qui existent, il est statistiquement impossible que la majorité soient avérées. Soit une seule théorie complotiste est juste, toutes les autres étant alors pures fictions ; soit la théorie officielle est juste et toutes les théories du complot sont fausses.

Deux principes peuvent écarter les théories du complot : la théorie dite du rasoir d’Occam et le fardeau de la preuve.

En vertu de la théorie philosophique du rasoir d’Occam, également appelée principe de simplicité, d’économie ou de parcimonie, la solution la plus simple doit être préférée, il n’y a donc pas besoin d’aller chercher midi à quatorze heures pour trouver une explication, souvent les explications les plus simples sont les bonnes.

Le fardeau de la preuve est, quant à lui, un principe juridique selon lequel il faut suffisamment de preuves tangibles pour déclarer quelqu’un coupable et, comme déjà mentionné ci-dessus, les preuves ne sont pas souvent présentes dans les théories du complot.

Risques des théories du complot

Ces théories peuvent être dangereuses, car elles peuvent engendrer des conséquences indésirables, telle une perte de confiance dans les dirigeants et, a fortiori, dans la démocratie.

Une perte de croyance dans les causes importantes peut ainsi provoquer une inaction des citoyens. Par exemple, si l’on croit que le réchauffement climatique n’est qu’un gigantesque complot, plus personne n’agit, ce qui peut avoir de graves conséquences.

Une perte de confiance dans les journaux et les sites d’informations officielles. On va alors chercher à se documenter sur des sites alternatifs sur lesquels on va trouver encore plus d’informations erronées.

Moyens de lutte contre ce type de théories

Pour lutter contre la propagation des théories complotistes, l’on pourrait agir sur le plan politique et social en réduisant les inégalités.

Renforcer les contre-pouvoirs serait également un moyen d’éviter la perte de confiance de la population dans les informations officielles. Si les informations viennent de scientifiques indépendants, celles et ceux qui se méfient du gouvernement leur donneront plus de crédits et auront moins tendance à se tourner vers des sites d’informations alternatifs.

Permettre un accès facilité aux articles scientifiques et démocratiser la vulgarisation scientifique peut également être une piste. De même que faire preuve d’esprit critique, en ayant conscience des biais cognitifs qui peuvent influencer notre perception.

Au nom de toute l’équipe d’Heconomist, nous remercions chaleureusement Monsieur Wagner-Egger d’avoir animé cette conférence enrichissante, ainsi que celles et ceux qui y ont assisté.

Clara Seppey
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