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L’effondrement d’un géant bancaire : le scandale Credit Suisse

Historiquement, les banques Suisses ont une image de refuges, conservatrices et fiables, en période de turbulences. Cependant, le rachat précipité du géant Credit Suisse par UBS a brisé cette image et cela porte et portera atteinte à la crédibilité du secteur bancaire suisse sans épargner le monde entier.
Pour comprendre comment cette grande banque suisse en est là aujourd’hui, il faut se plonger tout d’abord dans son histoire.

Histoire du « Credit Suisse en voie de disparition »

Credit suisse, « bientôt ancienne » banque d’investissement et société de services financiers d’envergure mondiale, a été fondée en 1856 à Zürich par l’industriel emblématique Alfred Escher. Le but était d’aider à financer le système ferroviaire suisse, un élément crucial de la renaissance industrielle du pays. Avec la montée de la classe moyenne et sa volonté de se différencier des autres banques concurrentes, Credit Suisse commence à devenir une banque de référence dès les années 1900.

Pendant 166 ans, Credit Suisse a contribué à faire de la Suisse un pilier de la finance internationale en se mesurant aux titans de Wall Street.

Au fil des années, de nombreux scandales entachent la réputation de Credit Suisse : protection de richesse de dictateurs, fonds liés à des histoires de corruption, implication dans des affaires de blanchiment d’argent issu de mafias et trafic de drogue, évasion fiscale de clients, fuites de données privées, espionnage d’anciens employés, … pour n’en citer que « quelques-uns ». Cependant, même si Credit Suisse cumule les gros titres, la banque a toujours su faire profil bas et continuer son activité. Cela lui a permis d’être l’une des rares banques à ne pas avoir été trop affectée par la crise financière de 2008. Or ce sont les années qui suivront, encore jonchées de scandales, de problèmes juridiques et de bouleversements dans la gestion, qui enverront la banque vers sa lente descente aux enfers.

Tout s’accélère en 2007 lorsqu’un nouveau CEO, l’américain Brady Dougan, change la culture et la mentalité au sein de l’entreprise. La banque d’investissement devient à ses yeux la seule activité importante, c’est alors qu’il développe majoritairement cette partie de l’activité, délaissant la banque privée et les activités centrées sur la Suisse. Credit Suisse converge vers un thème constant : une banque internationale qui a perdu le contact avec ses racines suisses, dirigée par des personnes qui font passer les profits avant la prudence, une culture du risque autodestructrice.

En 2012, Credit Suisse prend un premier coup lorsqu’elle est poursuivie en justice par les autorités américaines pour avoir regroupé des prêts hypothécaires avec des titres, en présentant de manière inexacte les risques des prêts hypothécaires sous-jacents pendant le boom de l’immobilier. Un scandale lié à la crise des subprimes de 2008.

En 2015, malgré un nouveau changement de CEO joint à l’annonce d’une plus grande responsabilité en matière de risque, Crédit Suisse passe toujours d’un scandale à un autre, ne mettant pas en pratique ses promesses.

Des investissements douteux

La crédibilité de la banque a également été mise à l’épreuve à de nombreuses reprises en raison d’investissements douteux dans des sociétés, les dernières en dates étant l’entreprise de services financiers britannique Greensill Capital ou encore le fond américain Archegos Capital Management.

L’autorité suisse de surveillance des marchés financiers, la FINMA, a déclaré, en 2021, que Crédit Suisse avait gravement manqué à ses obligations de surveillance au regard de ses investissements. Elle a ainsi manqué à la protection de ses clients auprès desquels ils ont des obligations fiduciaires.

Greensill était une entreprise qui prêtait de l’argent aux entreprises en achetant leurs factures à l’avance. Bien que Credit Suisse déclarât une gestion des risques et une structure organisationnelle appropriée, lors de l’effondrement de cette entreprise, la banque n’a pas su récupérer ses 10 milliards de dollars de fonds qu’ils avaient piégés chez eux. La FINMA a donc reproché à la banque d’avoir délibérément ignoré de nombreux signaux d’alarme dans l’optique d’encaisser toujours plus de profits jusqu’alors fictifs.

Archegos Capital Management était un family office américain qui, au début 2021, fait défaut aux appels de marges de plusieurs banques d’investissement mondiales. Même si Credit Suisse n’était pas la seule institution à avoir subi des pertes dans cette histoire, elle ressort avec de bien plus importantes pertes que ses rivaux dû à son appétit pour le risque et son inefficacité à le contrôler (5,5 milliards de dollars).

Finalement, les pertes financières s’accumulent, le cours de l’action s’effondre, les clients fortunés fuient et la crédibilité de la banque s’érode rapidement.

Le nouveau UBS

Si la crise de 2008 portait essentiellement sur la qualité des actifs, des prêts subprime douteux et produits dérivés reposant sur une infime partie du capital, cette fois-ci, l’accent est mis sur la liquidité. En principe, Credit Suisse disposait de fonds propres relativement importants pour couvrir leurs éventuelles créances douteuses. Néanmoins, la banque n’avait tout simplement pas assez de liquidités pour couvrir la longue file d’attente des déposants qui voulaient soudainement récupérer leur argent.

Dimanche 19 mars 2023, l’information tombe, Credit Suisse est racheté par UBS. C’est une chose d’annoncer le rachat d’une grande entreprise, c’en est une autre de le mener à bien, en particulier lorsque la cible du rachat est déjà à genoux. Bien que la cheffe du Département fédéral des finances Karin Keller-Sutter tente de sauver les apparences en annonçant lors de la conférence de presse du dimanche 19 mars qu’il s’agit « d’une solution commerciale et non d’un sauvetage », il ne faut bien entendu pas s’y méprendre. Il s’agit bien d’un bailout. Dans ces conditions, l’acquisition par UBS était probablement la meilleure chose que l’on pouvait espérer. Compte tenu de la rapidité avec laquelle les déposants et les contreparties du Credit Suisse ont fui et de l’urgence avec laquelle les régulateurs ont cherché à conclure un accord au cours du week-end, toute autre issue aurait provoqué des dégâts encore plus importants.

Pour soutenir UBS dans la démarche, la Banque Nationale Suisse s’est engagée à imprimer jusqu’à 100 milliards de francs suisses pour s’assurer que la banque dispose d’un financement suffisant pour ses opérations quotidiennes.

Les actions de Credit Suisse se négociaient à environ 4 CHF jusqu’alors, mais l’opération de rachat a fixé le prix des actions à 0,76 CHF, une perte considérable pour les actionnaires. De plus, le rachat a également entraîné des pertes de 16 milliards CHF d’obligations émises par Credit Suisse. Cet acte entraînera des conséquences à long terme pour toute dette financière suisse.

Le sauvetage, qui donnera naissance à la quatrième banque mondiale en termes d’actifs, avec 120 000 employés et 5 milliards de dollars d’actifs, suscite des inquiétudes.

Son chairman, Colm Kelleher, se dit convaincu que l’opération présente « d’énormes opportunités » et que « UBS restera solide comme un roc ». Pour ce faire, les dirigeants tentent de dépasser les risques et de convaincre les investisseurs des avantages de cette union forcée. En priorité, la division de banque d’investissement de Credit Suisse sera débarrassée de ses actifs toxiques afin de l’aligner sur la culture de risque conservatrice d’UBS.

Les 9 milliards de francs suisses de soutien de l’État interviendraient pour partager la charge des pertes potentielles encourues au cours de cet exercice.

UBS n’aura cependant pas que des retombées positives de ce rachat. En effet, ils peuvent anticiper une perte de certains clients pour des raisons de confiance mais également voir des clients déplacer leur argent pour des raisons de diversification de relations bancaires.

Les autorités le savent, cet épisode devrait inspirer une sérieuse introspection réglementaire. Pour pallier cette fragilité de fonds propres, il faudra repenser les choses en profondeur et veiller à ce que les institutions financières puissent toujours rembourser les obligations de type monétaire qu’elles créent.

Une fois de plus, nous devons nous rendre à l’évidence : les règles de la finance vont changer.

Béatrice Bilger
Béatrice Bilger
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