Vous avez sans doute entendu parler de la liste publiée par le Trésor américain des pays qui manipulent leur monnaie. La Chine notamment est un des pays qui a été le plus souvent associé à la manipulation de devise. Parmi les pays dans cette liste se trouvait également la Suisse qui y a été placée en décembre 2020 et qui en a finalement été retirée au début de l’année, tout en restant sous surveillance. Bien que la dernière version de la liste ait été publiée il y a longtemps (avril 2021) et que le concept de manipulateur de taux de change ne soit pas tout à fait d’actualité, il ne serait pas étonnant d’avoir bientôt un nouveau rapport du Trésor américain, sachant que cette liste paraît habituellement deux fois par an et que nous arrivons petit à petit vers la fin de l’année 2021. Mais en quoi consiste exactement cette liste ? Même si elle ne figure plus parmi les pays manipulateurs, la Suisse a toujours été un des pays les plus concernés par cette fameuse liste. Comment donc la Suisse s’y est-elle ainsi trouvée à plusieurs reprises ?
Définition formelle d’un manipulateur de devise
Le terme de manipulateur de devise a été inventé par les États-Unis pour désigner les pays qui exercent des méthodes qui leur donnent des avantages injustes au commerce international en baissant la plupart du temps la valeur de leur devise. Or, selon l’une des hypothèses de base des sciences économiques, lorsque la monnaie d’un pays A se déprécie face aux monnaies des pays étrangers, les biens du pays A deviennent moins chers pour les autres et ainsi les exportations du pays A augmentent.
Pour désigner un pays de « manipulateur de devise », les États-Unis ont trois critères : le pays en question doit avoir un excédent commercial bilatéral de biens de plus de 20 milliards de dollars avec les États-Unis, un excédent des comptes courants de plus de 2% de son PIB et une intervention sur les marchés des changes de plus de 2% de son PIB.
Selon la loi, le Président des États-Unis doit lutter, à travers le Trésor, contre ces pays qui appliquent ces méthodes soi-disant injustes pour avoir un avantage au commerce international. Le Trésor américain est dans l’obligation de demander des négociations avec les pays manipulateurs afin de corriger ces taux de change considérés trop bas et les États-Unis se donnent le droit d’annuler des contrats avec ces pays et de leur imposer des droits de douane.
Pourquoi la Suisse ?
Contrairement aux États-Unis qui ont une économie axée sur le marché intérieur, la Suisse est très dépendante de ses exportations, notamment des produits chimiques et pharmaceutiques et de l’horlogerie. C’est la raison pour laquelle les interventions sur les marchés de devise ont toujours été un axe majeur de la Banque Nationale Suisse (ce qui explique aussi les taux directeurs négatifs pour éviter une appréciation du franc). Or, un taux de change trop élevé perturbe les exportations suisses. Une appréciation du franc suisse entraine également une baisse des prix des biens étrangers en Suisse, ce qui va à l’encontre du but de la BNS de garder les prix à un niveau stable.
Par exemple, en 2020, lors de la pandémie, la BNS a vendu plus de 90 milliards de francs suisses, c’est-à-dire environ 8% du PIB (beaucoup plus que le seuil de 2%), mais une appréciation du franc suisse a quand même eu lieu parce que le franc suisse est considéré comme une valeur refuge pendant les crises et a donc fait face à une demande très élevée.
Finalement, y a-t-il manipulation ?
À la question « La Suisse est-elle vraiment un manipulateur de devise ? », la réponse est sans doute « non ». En 2020, une intervention d’une telle ampleur par la BNS était une obligation. Comme tous les pays du monde, la Suisse aussi a été gravement touchée par la pandémie et l’appréciation du franc, parce qu’il est considéré comme une valeur refuge comme précité ci-dessus, en était l’une des causes. Malgré les interventions remarquables de la BNS, le franc s’est tout de même apprécié.
Et malgré tous les efforts de la BNS pour éviter une appréciation du franc, même aujourd’hui, le franc suisse reste une monnaie largement surévaluée. Il y a quelques jours, le franc suisse a atteint son niveau le plus élevé face à l’euro depuis mai 2020. Au moment où la Suisse avait été placée sur la liste en décembre 2020, le franc suisse était surévalué de 4% face au dollar selon la Parité de pouvoir d’achat.
Un autre point qu’il faudrait aborder est le fait que l’excèdent de commerce bilatéral entre la Suisse et les États-Unis dépasse 20 milliards de dollars parce que la Suisse est un leader dans le secteur pharmaceutique qui répond parfaitement aux besoins de la population américaine qui devient de plus en plus vieille.
L’excèdent de compte courant reflète la spécialisation de la Suisse dans les secteurs high-tech comme les médicaments, l’ingénierie de précision et les montres de luxes.
Finalement, on peut tirer la conclusion qu’il serait incorrect de qualifier la Suisse de manipulatrice de devise. Les indices qui sont révélateurs d’un manipulateur de devise selon les États-Unis sont parfaitement justifiés pour la Suisse, et la BNS se donne des moyens légitimes pour poursuivre sa politique monétaire comme toute banque centrale. Nous verrons sûrement bientôt comment prendra forme cette liste en attendant le prochain rapport du Trésor américain. La Suisse semble remplir encore les trois critères de manipulateur mais ce sont les États-Unis qui vont décider si elle figurera ou non sur la liste.

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