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Un commerce international si fragile

Rappelez-vous, le 23 mars 2021, le porte-conteneur Ever Given de la compagnie taïwanaise Evergreen Marine se trouve coincé dans l’étroit canal de Suez pendant près d’une semaine. Six jours précisément, durant lesquels les autorités égyptiennes s’acharnent à creuser et chercher une solution pour remettre ce géant de 400 mètres à flot. Cet événement qui semble isolé aura pourtant un grand impact sur l’économie mondiale. Chaque heure passant, c’est près de 400 millions de dollars de perdus et un cours du pétrole qui s’envole au gré des pelletées de terre excavées.

En immobilisant tout flux sur l’un des passages navigables les plus empruntés au monde, l’Ever Given empêche non seulement l’arrivée de sa propre marchandise à bon port mais aussi celle de tous les autres porte-conteneurs coincés, malgré eux, à la suite. Dans ces conteneurs, la marchandise à destination de l’Europe est ainsi bloquée ; par exemple, on ne peut plus continuer la production de certaines machines ou voitures par manque de composants électroniques ou bien on ne peut plus continuer de bâtir par manque de matériaux de construction. Alors, on se pose et on réfléchit. Surtout, on se rend compte de la fragilité sur laquelle repose le commerce international et de notre dépendance au bon fonctionnement de celui-ci…

SEE EU LATER !

Ces dernières années, nous avons pu assister à d’autres épisodes qui ont mis en avant la fragilité du commerce international face aux facteurs technologiques, sanitaires ou bien même politiques. Un exemple frappant a été l’effet du Brexit sur le flux commercial au Royaume-Uni et ses chaînes d’approvisionnement. Après en avoir été membre pendant 47 ans, le Royaume-Uni s’est retiré officiellement de l’Union européenne le 31 janvier 2020, rompant ainsi avec les privilèges qui accompagnaient son appartenance aux ex-Vingt-Huit et compliquant, de facto, le commerce avec ses voisins européens. Cette sortie ne s’est pas faite en toute douceur car l’île en a vite ressenti les effets ; pénuries, ralentissement des flux commerciaux, augmentation des prix et manque de personnel ont accompagné le divorce avec l’UE. Très vite même, le Royaume-Uni s’est retrouvé dans une situation délicate : les nouvelles conditions d’immigration ont conduit une grande partie des travailleurs issus de l’UE à quitter le pays, faute de visa. De ce fait, certaines branches professionnelles ont très vite manqué de personnel, notamment le secteur des transports routiers. Effet domino, sans chauffeurs pour conduire les camions citernes et acheminer l’essence, le pays s’est retrouvé en pénurie de carburant, empêchant ainsi le fonctionnement normal du pays, alors en pleine crise sanitaire.

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Le Brexit et l’expérience britannique soulignent à quel point les liens commerciaux unissant deux pays ou deux entités sont fragiles. Pourtant partenaires privilégiés depuis des dizaines d’années, le Royaume-Uni n’a pas hésité à rompre ses liens commerciaux spéciaux avec l’UE, compliquant ainsi l’importation et l’exportation de biens et services dont la circulation était auparavant considérée comme acquise. Un simple vote aux urnes a scellé le sort du pays et l’a obligé à repenser ses partenariats et accords commerciaux, à revoir ses habitudes commerciales si confortables pour se lancer seul dans la fosse aux lions du commerce international.

MOINS DE CHINE, PLUS D’AUTONOMIE ?

Bien plus récemment, la crise sanitaire a mis en lumière une fois de plus cette fragilité. La fermeture des frontières, la mise à l’arrêt de quasi toutes les flottes aériennes, la fermeture des entreprises et industries considérées comme « non-essentielles » ont empêché la circulation fluide des échanges commerciaux internationaux et ont surtout révélé notre dépendance aux commerce international pour notre vie quotidienne et même pour l’approvisionnement de matériel médical indispensable. Une onde de choc a traversé la plupart des pays qui se sont rendus compte qu’ils étaient dépendants de la Chine pour s’approvisionner notamment en masques chirurgicaux…

Cette crise sanitaire aura eu des effets sur le court-terme avec la pénurie d’un certain nombre de produits mais elle continuera sûrement d’avoir des effets sur le long terme aussi avec une prise de conscience de la non-viabilité de certains schémas de production, d’importation et de consommation. En effet, le commerce international est aujourd’hui caractérisé par une spécialisation nationale basée sur la théorie des avantages comparatifs.

The global economy is built on the specialisation of labour across countries. In line with the theory of comparative advantage, which provides the foundation for the current system of the international exchange of goods and services, such maximization allows for maximization of total output and improvement in welfare.” (Gruszczynski, 2020).

Cependant, cette spécialisation n’offre des avantages que dans une situation de libre échange sans aucune entrave, encore moins lors d’une pandémie obligeant la fermeture des frontières… Il se trouve donc que la spécialisation amène une certaine insécurité aux pays si la chaîne d’approvisionnement qui les alimente se trouve coupée subitement. Plus la spécialisation est importante, plus il sera difficile pour le commerce international de survivre à une situation où le quasi unique producteur d’un bien se retrouve dans l’incapacité de continuer à en assurer l’approvisionnement aux autres pays.

Nous assisterons donc peut-être ces prochaines années à une certaine prise de conscience, voire une volonté des pays à repenser le modèle de production pour regagner une certaine indépendance vis-à-vis d’autres puissants producteurs comme la Chine. Cela a d’ailleurs été un des fers de lance de la politique économique de Donald Trump qui souhaitait relocaliser les productions essentielles aux États-Unis. Au-delà du besoin de regagner de l’indépendance, nous ne pouvons ignorer les aspects écologiques liés à la réduction des circuits d’approvisionnement. En effet, certains produits font plusieurs allers-retours internationaux avant d’arriver dans nos étalages et produisent ainsi un coût écologique important. Ainsi, le commerce international n’est très certainement pas voué à disparaître mais il risque d’être repensé et remodelé pour répondre au mieux aux nouveaux défis qui se présentent à nous.

Pour en revenir à l’Ever Given et son repos forcé en travers du Canal de Suez, on retiendra de cet épisode deux leçons ; le commerce mondial est plus fragile qu’attendu et, parfois, son équilibre entier peut reposer entre les mains de deux ouvriers et de leur pelleteuse…

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Ismira Mahmutovic
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