Imaginez-vous vivre dans une société dans laquelle chaque citoyen dispose d’un « crédit social » pouvant être positivement ou négativement impacté selon son comportement. Mettons en situation. C’est un lundi matin, vous êtes pressé de rejoindre le travail et décidez de traverser la route au feu rouge. Malheureusement, une caméra à reconnaissance faciale située de l’autre côté de la chaussée vous a pris en flagrant délit. Le résultat ? Cinquante points seront déduits de votre solde social. Il s’avère de plus que vous venez de manquer la date limite de paiement du dernier loyer. Le système responsable du contrôle des crédits enlève donc cent points de plus, faisant passer votre nom sur la liste noire. Ceci équivaut à une sanction sévère car dorénavant, l’accès à certains services, tels que la demande d’un crédit hypothécaire, ou la possibilité d’acheter un billet d’avion vous sera révoqué.
Ce scénario tout droit sorti d’un épisode de Black Mirror n’est malheureusement plus une fiction car il constitue actuellement le quotidien de millions de Chinois. Ce système de « crédit social » fut généralisé en 2020 sur l’ensemble du territoire après plusieurs années de tests limités à certaines grandes villes. L’idée d’un contrôle strict des mouvements et agissements de la population n’est cependant pas récente dans le pays du Milieu.
Il s’agit même d’un des piliers du système autocratique que connait la Chine depuis l’instauration de la République populaire en 1949. En effet, après l’accession au pouvoir de Mao Zedong, chaque citoyen est fiché par la police politique en fonction de ses performances professionnelles ainsi que, par exemple, de ses croyances idéologiques. Cette feuille de renseignement servait même à désigner les personnes envoyées en camp de travail manuel durant la sanglante révolution culturelle entreprise entre 1966 et 1976. Il est important de noter que ce fichage systématique de la population n’est pas propre à ce pays mais était également courant dans les autres pays communistes tels que l’URSS ou la RDA par exemple. La Stasi est-allemande constituant d’ailleurs un des services les plus performants dans ce domaine.
En découvrant pour la première fois cette réalité inquiétante en Chine à travers un reportage de France Télévisions, je ne pouvais m’empêcher de faire le lien avec le roman 1984 de George Orwell, qui a donné naissance au fameux concept de « Big Brother ». Cette expression est fréquemment utilisée dans le langage courant pour décrire le contrôle des foules par les régimes totalitaires ainsi que les pratiques portant atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée des individus.
Ce livre écrit en 1949 constitue un des chefs-d’œuvre de la science-fiction du XXème siècle et bien qu’il ait été rédigé il y a plus de septante ans, reste encore d’actualité (au passage, il a été cité dans notre dernier article Nice to Read You par l’une de nos rédactrices). L’auteur y décrit la vie dans une société autocratique dans laquelle l’État, avec la figure du Big Brother à sa tête, contrôle, endoctrine et surveille ses citoyens essentiellement à l’aide de « télécrans », correspondant à des caméras et des télévisions capables d’observer et dénoncer les faits et gestes de toute la population. Ces sortes de TV ne peuvent pas être éteintes et sont placées dans tout l’espace public ainsi dans les logements des personnes privées, permettant une surveillance 24/7 de tout un chacun.
Cette constante surveillance permet à l’État d’empêcher tout acte potentiellement hostile de la population en la privant intégralement de tous ses droits, tels que la liberté d’expression et de penser. Le but de cette politique étant de s’assurer que chaque citoyen suive les principes dictés par le parti unique et que l’individualisme disparaisse totalement au profit d’un dévouement incontestable au régime, malgré les flagrantes incohérences dans le discours et les actes de celui-ci.
A la suite de la description de cette société utopique, nous pouvons dresser quelques parallèles entre l’œuvre de George Orwell et le système de « crédit social » chinois.
Premièrement, les deux structures se basent sur la surveillance et le contrôle permanant de la population afin de contrôler les comportements. Le système communiste actuel utilisant ainsi un réseau de caméras, capteurs et de « big data » en lieu et places des « télécrans ».
Deuxièmement, la peur et la répression sont tous les deux utilisés dans chaque système afin de maintenir le pouvoir sur les masses. La société du Big Brother torturant les opposants tandis que les cadres chinois privent les personnes moins bien notées de certains droits civiques.
Le dernier point commun entre ces deux univers consiste en la volonté de contrôler et formater les pensées et convictions des citoyens afin que ceux-ci s’alignent sur celles prônées par le gouvernement.
Cette nouvelle manière d’oppression des masses est d’autant plus inquiétante qu’elle permet un contrôle absolu par l’utilisation d’outils informatiques que nous utilisons tous les jours, tels que le téléphone portable, les ordinateurs et montres connectés par exemple. La diffusion et la miniaturisation toujours plus importante des caméras ne fait qu’amplifier ce problème. Il est peut-être plus difficile de s’imaginer une réalité sans aucune vie privée d’un point de vue européen où la législation en la matière empêche de trop importants abus de la part des grandes firmes, tels que Google et Meta qui manifestent leur intérêt à monétiser et disposer de nos données privées générées par l’utilisation de leurs produits.
Pour conclure, je répéterai qu’il est important que les avancées technologiques soient juridiquement et éthiquement encadrées afin qu’elles ne deviennent pas sources d’oppression supplémentaire. L’exemple chinois nous démontre bien les côtés obscurs de ces nouvelles inventions et leurs possibles répercussions sur nos sociétés. En espérant que l’Humanité saura faire face à ces défis et que dans les décennies à venir, 2+2 continuent à faire 4.
SOURCES
Déclaration universelle des droits de l’homme
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