Une image contenant plastique, graffiti, ciseaux, art Description générée automatiquement

L’avènement de la spéculation sur les biens de consommation

 

Montres de luxe, sacs à main, voitures de sport… mais aussi sneakers, vêtements ou cartes pokémon, vous avez probablement aperçu ou entendu parler de nombre de ces produits qui se revendent plus chers sur le marché de l’occasion qu’en neuf, qui « cotent », alors même qu’ils sont parfois produits à des millions d’exemplaires par année et destinés à satisfaire un marché de masse. Pourquoi et comment ces biens de consommation, qui n’ont souvent pas vocation à être rares, se retrouvent dans le collimateur des spéculateurs en tout genre ? Et pourquoi les consommateurs qui – s’ils suivaient une certaine rationalité économique – devraient s’éloigner de ces marchés parallèles, sont toujours plus nombreux à chercher à acquérir ces objets coûte que coûte, quitte à parfois les payer bien plus cher que leur prix d’achat ?

Une image contenant horloge, regarder, Montre analogique, texte Description générée automatiquement

Simple spéculation ?

Rien de nouveau sous le soleil me diront certains, la spéculation existe depuis des siècles. En effet, ce phénomène qui consiste à acheter un bien ou un actif dans le but de le vendre ultérieurement à un prix plus élevé ne date pas de d’hier. Cependant, cette pratique était historiquement réservée aux loups de Wall Street et autres acteurs financiers qui avaient accès aux marchés des capitaux où ils pariaient de manière plus ou moins hasardeuse sur la hausse du cours d’un actif. Ce qui a changé au cours des dernière années, c’est que cette pratique s’est étendue aux biens de consommation grands-publics, et est désormais exercée par des individus bien loin des cols blancs régnant dans les salles de trading des grandes banques. Aujourd’hui nous pouvons aisément observer de la spéculation (ou du moins des tentatives) sur des Swatch et des Nike à quelques centaines de francs, opérée par le quidam moyen, souvent plutôt jeune, cherchant à gagner quelques billets après avoir réussi à se procurer l’objet tant désiré.

Omega X Swatch Bioceramic MoonSwatch Prices on eBay Go Wild; Shops to Restock - Bloomberg
Le prix des Swatch X Omega Moonswatch peu après leur sortie

L’appât du gain

Et comment leur en vouloir ? Que celui qui n’a jamais rêvé de gagner de l’argent facilement leur jette la première pierre ! S’il suffit de se présenter dans une boutique ou de se rendre sur un site internet et de dégainer la carte de crédit pour ensuite engranger un bénéfice en revendant l’objet tout juste acquis, la tentation de se prêter au jeu est grande. Comment donc savoir ce qu’il faut acheter ? Nous trouvons ici une des raisons principales qui explique l’apparition de cette nouvelle pratique : la facilité d’accès aux informations. Si auparavant l’exercice de la spéculation nécessitait une connaissance fine du marché dans lequel on investissait, les informations sur les prix en temps réel ainsi que leur évolution historique sont accessibles librement et rapidement par tout un chacun, en grande partie grâce aux plateformes de revente entre particuliers, tels qu’Ebay et Anibis pour les plus généralistes, ou StockX et Chrono24 pour les plus spécialisées. En quelques minutes seulement, il est simple de constater qu’une Rolex Submariner par exemple, affichée à un peu moins de CHF 10’000.- sur le site officiel Rolex, se revend entre CHF 13’000.- et CHF 14’000.- sur le marché secondaire. Il est ainsi tout aussi aisé de se motiver à se rendre chez le revendeur le plus proche pour tenter d’acheter une montre afin de la revendre immédiatement, ce qui s’avère souvent impossible, mais qui pousse nombre de ces spéculateurs du dimanche à ainsi l’acheter tout de suite, en espérant la revendre quelques mois plus tard pour quelques milliers de francs de plus.

Une image contenant texte, capture d’écran, Site web, chaussure Description générée automatiquement

Un cercle vicieux

Nous entrons alors dans un cercle vicieux, où la spéculation se nourrit elle-même. Revenons à notre brave personne cherchant à gagner quelques billets violets sur la vente d’une montre de luxe ; elle a fini par acheter cette fameuse Rolex au prix de l’occasion (comprenons plus cher que le prix neuf en boutique) et cherche maintenant à la revendre à un prix plus élevé. La différence de prix que notre protagoniste souhaite transformer en bénéfice ne s’explique donc ni par la valeur intrinsèque de l’objet, ni par sa rareté (Rolex produit plusieurs millions de montres par année et ne gère pas la distribution de ses modèles), mais représente simplement la croyance que quelqu’un sera prêt, dans un futur plus ou moins proche, à payer un peu plus cher, probablement dans le but, lui aussi, de gagner de l’argent grâce à une future revente. Jusqu’où cela peut-il aller ? Très loin, rétorqueront certains, car l’appât du gain se renforce à mesure que le bénéfice réalisable augmente. Dès lors, pourquoi se contenter d’acheter un objet, de le revendre et de repartir avec son butin alors que l’on pourrait acheter des dizaines, voire des centaines de fois ce même objet et multiplier son bénéfice dans les mêmes proportions ? Nous constatons donc que certains revendeurs, qui s’avèrent parfois être de véritables petites entreprises, se procurent de grandes quantités de ces biens dans un double but : engranger un profit maximum et s’assurer de la rareté de leur produit, ce qui contribue à maintenir les prix élevés. Ces derniers ont donc tout intérêt à faire connaître la rareté et le prix en seconde main des objets qu’ils stockent patiemment, afin de maintenir l’engouement et la demande. Ils sont bien évidemment suivis par tous les revendeurs ayant le même but qu’eux, ce qui finit également par attirer les médias qui en profitent en publiant des articles sensationnels sur les bénéfices monstrueux que certains peuvent se faire en revendant une simple paire de sneakers ou une montre, ou qui s’imaginent devin en dénichant les futurs produits qui gagneront en valeur. Le cercle vicieux est donc tout tracé, les spéculateurs appelant alors d’autres spéculateurs, et ainsi de suite ce qui fait continuellement gonfler la bulle.

rolex watches vs stock market

Une fatalité désormais établie ?

Sommes-nous donc condamnés à devoir payer de plus en plus cher pour bon nombre de biens de consommations industriels ? Pas nécessairement, car comme souvent lorsqu’une bulle financière se crée, elle finit par éclater, et nous avons pu le constater à la suite des grandes corrections qui ont été observées ces derniers mois sur différent marchés secondaires. Malheureusement pour les consommateurs, les prix restent souvent élevés, et il ne faut pas oublier que les marques elles-mêmes tirent profit de cette situation. Premièrement car cela crée un engouement autour de leurs produits et de leur image ; quoi de mieux que de se promener avec une des collaborations entre Jordan et Travis Scott aux pieds pour exhiber son aisance financière et sa connaissance de la culture streetwear, et deuxièmement car elles commencent à pouvoir directement profiter de la manne financière que représente la revente d’occasion. Bon nombre de marques (pour l’instant essentiellement des marques de luxe) se dirigent en effet vers la vente d’occasion en certifiant des anciens produits ou en acquérant ou investissant dans des revendeurs spécialisés dans la seconde main.

Finalement, cette culture de la revente et de la spéculation est certainement là pour rester, bien que dans des proportions probablement moins impressionnantes que ce que nous avons pu connaître ces dernières années, non seulement car les mécanismes qui la poussent sont toujours bien présents, mais également car elle s’avère être, partiellement, le simple reflet de l’absurdité du comportement des consommateurs lorsque l’on parle de produits à la mode : si tout le monde l’a, personne ne le veut et si personne ne l’a, tout le monde le veut.

Matthieu Seppey
Matthieu Seppey
Cliquez sur la photo pour plus d’articles !

Dans la même thématique, la rédaction vous propose les articles suivants :

A group of people in a classroom Description automatically generated with medium confidence
RETOUR SUR LA CONFÉRENCE « LE LUXE PEUT-IL ÊTRE DURABLE ? » OIKOS X HELISTE
– MATTHIEU SEPPEY ET NICOLAS LENCI –

PANIC BUYING AND WELL-BEING CORONAVIRUS PARADOX
– WILMA TICONA HUANCA –