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Retour sur la Conférence « Le Luxe peut-il être durable ? » oikos X Heliste

Cet article couvre la conférence du 7 décembre intitulée « Le luxe peut-il être durable ? », organisée conjointement par oikos et Heliste.

Le luxe peut-il être durable ? C’est par le nom même de la conférence que Eléonore Besson, la présidente d’oikos, ouvre le dialogue. Les acteurs qui y participent sont :

Félicitas Morhart, professeure de marketing du luxe à HEC Lausanne et fondatrice du Swiss Center for Luxury Research, qui s’intéresse notamment au thème de la durabilité dans le luxe.

François Oger, ingénieur mécanique de formation, qui a travaillé plusieurs années chez LVMH puis Richemont avant de passer du côté des fournisseurs. Son expérience lui permet d’attester de la gourmandise énergétique ainsi que de l’impact environnemental de tels conglomérats.

Sébastien Houde professeur en économie de l’environnement à HEC Lausanne, qui s’intéresse à la manière dont les entreprises adaptent leur stratégie afin de répondre aux différents comportements de la population face aux questions environnementales.

Alfredo Arredondo, président de la bijouterie Agua de Oro à Genève, qui s’est spécialisée dans la bijouterie éthique et durable en mettant un point d’honneur à la traçabilité de l’or.

Qu’est-ce que le luxe ? Qu’est-ce que la durabilité ?

Pour commencer, la prof. Morhart explique qu’il est nécessaire de s’accorder sur une définition de la durabilité et du luxe afin d’ériger un pont entre ces deux univers. La durabilité, poursuit Sébastien Houde, se définit assez simplement d’un point de vue économique, par une situation d’équilibre tel que le bien-être de toute la société se maintient ou augmente pour elle-même ainsi que pour les générations futures. Un point à noter est que la société actuelle ne se situe absolument pas dans un équilibre durable, étant donné que le budget carbone qui nous reste ne permettra pas à notre société de tenir plus de 10 ans au rythme économique actuel. Cette définition claire de la durabilité contraste avec celle du luxe, qui s’avère ne pas faire le consensus d’un point de vue économique. Cette définition du luxe, c’est M. Arredondo qui va nous la donner en expliquant que le luxe est ce qui ne satisfait pas un besoin basique et immédiat, tout en convenant que cette définition est très personnelle et subjective. Ce dernier point suscite l’approbation de M. Oger, qui souligne la complexité pour les acteurs du luxe d’accueillir des clients qui ont chacun une vision différente du luxe. Il nous explique également qu’il faut faire la différence entre la durabilité et la soutenabilité, notamment du point de vue de la supply chain, la première étant le fait d’optimiser afin d’augmenter la durée de vie de ce qu’on fait ou produit, le second étant le fait de s’organiser afin d’impacter le moins possible la planète et les Hommes.

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Coûts, Prix et statut social

La prof. Morhart poursuit la conférence avec la question suivante : quelle relation entretient le luxe et la durabilité avec les prix ? M. Houde commence par prendre la parole en expliquant le fait empirique qu’une fraction de consommateurs vont de toute façon s’intéresser à la durabilité, notamment car ce n’est pas parce que des consommateurs deviennent plus riches qu’ils s’intéressent à la durabilité, mais ce sont ceux qui s’y intéressent qui ont tendance à être plus riche que la moyenne, c’est-à-dire moins sensible aux prix. Les prix des biens durables peuvent donc être plus élevés, et donc être considérés comme du luxe. L’accès à l’éducation des personnes plus aisées les conduit donc à plus s’intéresser à la durabilité des produits qu’ils consomment, en déduit la prof. Morhart. Consommer des biens durables devient-il un symbole de statut social ? Peut-on parler de matérialisme vert ? Pas nécessairement dans le cas de M. Arredondo. Les clients de ses bijoux sont plutôt à la recherche de produits éthiques et s’intéressent à la responsabilité sociale des entreprises auxquelles ils achètent des biens. Néanmoins, les mots vert et écologique sont devenus une mode dans le monde du business aujourd’hui, et sont plus utilisés comme argument commercial que comme état d’esprit, d’où le côté matérialiste vert qui se trouve déconnecté de la réelle notion de durabilité. En ce qui concerne la répercussion sur les prix, le bijoutier nous partage son expérience en expliquant que l’or qu’il utilise coûte plus cher que la moyenne car des coûts sont engagés afin de le labelliser, ce qui n’est pas le cas du diamant de laboratoire par exemple, qui coûte moins cher que son homologue naturel. Il est donc difficile d’inférer des conclusions quant à l’influence de la durabilité sur le prix final d’un produit, car son coût peut varier en fonction de sa nature. De plus, ce sont la plupart du temps les coûts marketing qui font augmenter les prix dans le luxe.

Le prix final d’un bien est le résultat de la rencontre entre la demande et l’offre. Or, cette dernière est fortement liée à la supply chain, poursuit la prof. Morhart. Quel rôle la supply chain a-t-elle à jouer dans la durabilité ? François Oger nous éclaire sur ce sujet en exposant que le prix final, s’il est élevé, permet d’investir dans des matériaux et de la main d’œuvre qualifiée. Il y a donc une corrélation entre le prix final et la place que l’on peut se permettre d’accorder à la durabilité lors de la conception et la fabrication du produit. Néanmoins, dans l’industrie du luxe, les grandes marques ont des coûts élevés influencés notamment par les loyers des boutiques, les salaires des vendeurs et nombreux autres employés. Ainsi, une petite marque récente aura la capacité de proposer un produit équivalent en termes de qualité et de durabilité à un prix moins élevé. La prof. Morhart acquiesce en soulignant que le consommateur peut s’opposer à une production issue d’une supply chain qui ne respecte pas ses valeurs, pour autant qu’il soit au courant des points sur lesquels ces dites valeurs sont bafouées, car le client final n’a souvent que très peu d’information sur ce qui se passe durant la production des biens qu’il achète, en particulier dans le milieu du luxe.

Consommation ou Investissement ?

Elle enchaîne ensuite avec la troisième question : Le luxe est-il un bien de consommation ou d’investissement ? Afin de déterminer quelles marques sont durables, il faut se tourner vers le marché de la seconde main, argumente François Oger, car nous pouvons voir quels objets tiennent le plus longtemps et donc lesquels sont les plus durables. L’industrie est tiraillée entre un luxe de masse industrialisé et rapidement obsolète et un luxe unique et durable dans le temps qui se rapproche beaucoup plus d’un bien d’investissement. Alfredo Arredondo poursuit en nous partageant son expérience de bijoutier, en expliquant que beaucoup de clients demandent s’ils peuvent revendre leurs bagues. Pour lui, cela dépend de la renommée future de la marque. Le luxe de masse ne semble donc pas être très durable, étant donné que pour augmenter la valeur future d’un bien, les marques se concentrent sur des stratégies de marketing en créant des séries limitées qui diminuent l’offre et donc augmentent la valeur, plutôt qu’en fabricant des objets qui gardent une meilleure valeur intrinsèque à travers le temps. M. Houde reformule la question en se demandant si on doit acheter un bien de luxe comme un bien d’investissement. Pour lui, à partir du moment où on parle d’investissement, c’est de la spéculation, tout dépend donc de comment le client voit le produit, en particulier dans un monde aux ressources limitées : s’il le voit comme un produit qui doit être consommé car il n’y en aura peut-être plus demain, ou s’il le voit comme un produit voué à prendre de la valeur plus tard, dans ce cas on se retrouve à devoir faire de la spéculation, ce qui peut s’avérer assez risqué. Il termine en indiquant que le luxe peut aussi être des services, comme des voyages, et ce genre de luxe ne peut être autre chose que de la consommation.

Greenwashing et Réconciliation

Dès lors, comment pouvons-nous réconcilier luxe et durabilité ? Après avoir brièvement abordé des questions de marketing, la quatrième question de la soirée se penche notamment sur le greenwashing et la manière de l’aborder dans l’industrie du luxe. Alfredo Arredondo commence par souligner l’absence de volonté de la part des politiques de légiférer à ce niveau, en prenant comme exemple le recyclage d’or, qui est une sorte de greenwashing car c’est quelque chose qui se fait depuis des milliers d’années sans aucune arrière-pensée de durabilité et qui est vendu comme un processus éthique et durable. La cause en est l’absence de définition légale de la production éthique et durable, en particulier dans l’industrie du luxe. Il y a toujours une part de greenwashing, d’après M. Oger, et il faut faire preuve d’un peu d’humilité, car des grandes marques existant depuis plusieurs centaines d’années ne peuvent pas complètement changer du jour au lendemain. Certains publics n’ont pas compris cette inertie et sont donc parfois trop exigeant, ce qui oblige les marques à utiliser le greenwashing pour couvrir les efforts qu’elles n’ont pas fait ou pas encore pu faire. La durabilité est de toute façon utilisée comme argument de vente et le marketing a tendance à enjoliver toutes les actions d’une marque. Sébastien Houde nous explique que malgré tous les outils utilisés pour introduire la durabilité dans le luxe, nous n’avons pas encore trouvé la solution pour rendre cette industrie vraiment durable. Il reste toutefois optimiste, car les technologies décarbonisées ne sont pas encore toutes développées, il faut donc continuer dans cette direction, même si le rythme est pour l’instant toujours trop lent.

La prof. Morhart conclut en insistant sur le côté très personnel de la réponse que nous pouvons apporter à une conciliation entre luxe et durabilité et à la définition de chacun de ces termes. Chacun est maître de ses propres choix et peut décider d’adopter ou non un comportement plus durable, y compris lors de son approche au luxe. La question n’est dès lors pas de se demander si le luxe est durable et si on doit se couper de tout luxe, mais plutôt de se demander plus largement ce qui est nécessaire et ce qui l’est moins afin de consommer plus intelligemment.

Questions du public

  • Qu’est-ce qu’une marge éthique ? Quelle somme cela doit représenter ?

Alfredo Arredondo élargit la question sur la question éthique des marges. Est-ce éthique de faire une marge sur de l’aspirine ou sur la santé des gens ?

Sébastien Houde nous explique que le luxe fait travailler les gens honnêtement, et que le problème vient plutôt du salaire des dirigeants et acteurs se situant en haut de l’échelle de rémunération.

La prof. Morhart s’interroge sur la différence entre durable et éthique. Des marges élevées peuvent potentiellement être amorales ou pas éthiques par définition mais durable car on produit quelque chose que peu de gens peuvent acheter et donc qui a une plus grande valeur.

M. Arredondo rebondit sur ce dernier point en indiquant qu’un objet durable doit durer dans le temps, tandis qu’un objet éthique implique quelque chose de plus grand.

  • Rolex vient de se lancer dans la seconde main, qu’en pensez-vous ?

François Oger prend la parole en énonçant que la seconde main est bien dans le cas où elle empêche un achat de première main. On remarque qu’il y a des plateformes de seconde main qui incitent à acheter en première main sous prétexte que c’est facile de s’en débarrasser en seconde main par la suite. Le parfait exemple en est qu’une adolescente pollue 25% de plus qu’un adolescent car la revente des vêtements (entre autres) sur les plateformes de seconde main lui permet d’acheter beaucoup plus de produits pour les revendre au bout de quelques semaines ou mois. Il y a donc un risque que la seconde main apporte plus de dommages que de bienfaits. Il faut donc faire attention à créer de l’offre sur les produits qui existent déjà et non à seulement encourager une augmentation de la consommation. En ce qui concerne Rolex, seul l’avenir saura dire si cette démarche est durable ou non.

La prof. Morhart conclut cette conférence en affirmant que le luxe est plus ou moins durable et que c’est au producteur de choisir s’il veut faire l’effort d’améliorer sa durabilité. Faire un premier pas, même à petite échelle, est déjà un signal d’une volonté de mieux faire. Le consommateur a aussi son rôle à jouer car c’est lui qui décide s’il veut consommer plus durablement. Si tout le monde fait l’effort de s’améliorer, cela permettra probablement de nous offrir une meilleure marge de manœuvre pour changer notre mode de vie.

Merci à oikos et Heliste pour l’organisation, et merci aux intervenants pour ces échanges.

Nicolas Lenci
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Matthieu Seppey
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