Des logos de marques de luxe toujours plus grands

L’identité d’une marque se forge par son histoire, son esthétique, ses valeurs et les produits ou services qu’elle propose. Mais comme toute chose, cette identité est amenée à évoluer si l’entreprise qui est liée à cette marque veut perdurer et continuer à être rentable. Depuis quelques années, pléthore de logos appartenant à des marques vendant des objets de luxe se sont élargis en taille jusqu’à parfois devenir démesurément disproportionnés par rapport à l’original. Cet usage, qui parait aux premiers abords un simple moyen ostentatoire d’augmenter la visibilité de la marque, cache en réalité une stratégie marketing qui permet de segmenter les clients.

Le luxe comme vecteur du statut social

Pour comprendre cette stratégie, il est d’abord essentiel d’introduire les concepts de luxe silencieux et de luxe bruyant. Un logo presque ou totalement invisible est la marque de fabrique du luxe silencieux, le produit sera reconnaissable grâce à sa forme, les matériaux utilisés ou ses finitions. L’identité de la marque d’un produit de luxe silencieux n’est perceptible que par des clients connaisseurs et initiés, ce qui renforce l’aspect de club privé composé de clients privilégiés. Le statut social reflété par le produit est évidemment important, mais faisant partie de ce groupe de connaisseurs, les clients de la marque de luxe discrète n’auront pas besoin d’afficher un logo pour que leurs pairs reconnaissent la valeur de l’objet de luxe. Les clients des marques proposant du luxe silencieux sont souvent des gens cultivé et issu d’une famille aisée, ils apprécient l’art et la sophistication. Ce qu’ils recherchent à travers leurs achats de luxe est un bien qui sera beau et qu’ils pourront apprécier à sa juste valeur, sans avoir besoin de l’exhiber pour renforcer leur statut social. En contrepartie, un logo très imposant sur le produit de luxe est un moyen pour les clients d’afficher leur statut social, il s’agit donc de cibler la clientèle adepte de luxe bruyant. Les consommateurs attirés par ce type de produit sont souvent de type « nouveau riche » qui n’ont pas encore acquis une certaine culture du luxe et qui désirent posséder des biens pour promouvoir leur nouveau statut social. Dans ce cas précis, la comparaison se fait surtout entre les consommateurs qui peuvent se permettre d’acheter des biens de luxe et ceux qui ne peuvent pas, d’où l’utilité d’un grand logo qui les différenciera aux yeux de tous.

Une nouvelle cible pour les biens de luxe

Mais alors, pourquoi est-ce qu’une marque décide d’élargir son logo qui auparavant restait discret ? Et bien tous simplement, car elle décide de cibler cette nouvelle clientèle dite de « nouveau riche ». En effet, il s’agit d’un downgrade de la marque puisque ces produits seront vendus moins chers que ceux dont le logo est moins visible. Cette tendance des marques de luxes à proposer à la fois des articles dits de luxe silencieux et à la fois de luxe bruyant est donc en adéquation avec l’augmentation du nombre de personnes ayant augmenté récemment leur fortune. Et ce procédé se démocratise non seulement pour les biens de luxe, comme par exemple les logos sur les sacs de la marque Chloé, mais aussi pour les biens de moyenne gamme ou premium, par exemple sur les polos et pulls Ralph Lauren. On retrouve cette volonté propre aux marques d’élargir leur gamme pour attirer une nouvelle clientèle représentant une grande part de marché. Cette stratégie devra toutefois être appliquée avec prudence, car cette intégration pourrait ne pas plaire aux clients adeptes du luxe silencieux, ils pourraient interpréter ce revirement stratégique comme un changement des valeurs fondamentales de la marque et le prendre comme une trahison qui les prive de l’exclusivité de la marque.

Exemple de sac de luxe de la marque Chloé

Une influence de la génération Y

Pour déterminer l’origine de cette tendance, il convient de parler du luxe liquide. Le luxe liquide est lié à la consommation liquide qui tend à oblitérer la possession comme moyen d’afficher son statut social. La consommation liquide propre à la génération « millennials » met en avant l’expérience plus que le produit, il devient alors plus intéressant pour les marques de changer souvent de design et de collection. Ce changement fréquent pousse les créateurs de mode à dépasser et parfois transgresser la marque de fabrique du produit qui le reliait à l’identité de la marque. Ainsi, il n’existe plus d’autre moyen tangible que le logo pour associer le produit à la marque. Le comportement des clients au travers de la consommation liquide provient d’une accélération de l’information et de la consommation grâce à la digitalisation croissante de nos sociétés. Nous assistons à une dématérialisation de la consommation et à une augmentation de l’économie de partage. Tout cela pousse les jeunes clients à ne pas acheter, mais à plutôt louer des produits de luxe. Dans cette optique, les produits ne seront portés ou utilisés guère plus d’une fois, pour que l’utilisateur puisse vivre l’expérience proposée par la marque. Tout cela accroit l’intérêt d’afficher un plus gros logo sur les produits pour que la marque soit reconnaissable malgré le manque de connaissances de l’esthétique du produit engendré par une consommation rapide. Le statut social n’est ainsi plus déterminé par la connaissance, mais par l’expérience liée à la marque.

Synergie et éducation des consommateurs

Mais alors, est-ce que le luxe bruyant va totalement remplacer le luxe silencieux ? En réalité, il existe un effet de synergie entre les deux types de luxe. Ainsi, le luxe bruyant tend à démocratiser les marques de luxe en général et à renforcer l’aspect inaccessible du luxe silencieux. Les entreprises de luxe veulent augmenter leur conscience de marque tout en ne laissant que quelques clients privilégiés posséder les plus belles pièces de leur collection. Le luxe liquide permet donc de rendre les marques de luxe atteignable, mais pas acquérable. Comme nous l’avons vu, la différence entre les clients adeptes du luxe bruyant et ceux adeptes du luxe silencieux est le niveau de connaissance de la culture du produit. Ainsi, des changements de préférence des consommateurs pourraient être opérés par une stratégie d’éducation des clients à la culture du produit. Seuls certains clients pourraient rejoindre le club très restreint d’initiés ayant les connaissances du produit, conférant un statut social encore plus haut que celui d’être un consommateur de biens de luxe. Le rêve de posséder des produits de luxe est donc toujours d’actualité, l’industrie ne se transformera pas en une fabrique de luxe jetable, elle ne fait que s’adapter à une accélération de la demande et à des changements de comportements de consommation.

 

Manoël Pidoux
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Sources:

Morhart, F., Wilcox, K., & Czellar, S. (2021, October 31). Research Handbook on Luxury Branding (Research Handbooks in Business and Management series). Edward Elgar Publishing. Chapters 1&2

Romagnoli, R. (2022, July 15). To shout or to whisper? Dissecting quiet and loud luxury. The Drum. Retrieved September 26, 2022, from https://www.thedrum.com/opinion/2020/02/26/shout-or-whisper-dissecting-quiet-and-loud-luxury

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