Chinese President Xi Jinping attends the joint press conference of the China-Central Asia Summit in Xian, in China's northern Shaanxi province on May 19, 2023.
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Entre déclin technologique et crise immobilière : la Chine face à son avenir économique

Les grandes interrogations structurelles de l’économie chinoise

Dans un contexte tendu, voyant les tensions et concurrence en Asie se renforcer, la sortie de la crise du Covid a été une source de tourments pour l’Empire du Milieu. Pensant pouvoir compter sur une reprise fulgurante de son économie, la Chine a dû faire face à plusieurs facteurs venus saper son redécollage. Plus qu’une série d’aléas malchanceux, ce sont en réalité plusieurs signes structuraux venant puiser leur origine au fondement même de la société chinoise qui viennent aujourd’hui ébranler la puissance asiatique.

Afin d’assurer une explosion de sa croissance dans la deuxième partie du XXe siècle, Pékin a focalisé sa production sur le capital humain. Cela signifie que le gouvernement a su capitaliser sur la forte population pour développer de nombreuses industries nécessitant peu de machines et du travail souvent manuel. Beaucoup d’entrepreneurs ont donc pu lancer des petites sociétés, engendrant peu de coûts fixes car nécessitant peu de capital physique. Ces types de productions sont communément appelés industries légères, à l’inverse des industries lourdes. Bien qu’ayant réussi à hisser la Chine au sommet de l’économie mondiale, ces industries légères ont amené des répercussions préoccupantes.

Elles eurent pour effet de décourager les entreprises à se spécialiser dans des secteurs technologiques précis, à grande valeur ajoutée, car ceux-ci nécessitent un grand investissement initial. Ce qui impacta l’innovation industrielle. Les firmes se retrouvèrent alors peu stimulées à l’investissement en recherche et développement. La Chine se voit donc aujourd’hui confrontée à un réel cas d’école macro-économique. La productivité marginale du travail étant décroissante, elle ne peut plus supporter à elle seule sa croissance à long terme.

Le secteur technologique en déclin face aux autres puissances asiatiques

 Tandis que plusieurs pays asiatiques voient aujourd’hui leur croissance bondir, portée par le secteur technologique, comme notamment celui des semi-conducteurs, Xi Jinping ne peut qu’assister au déclassement technologique de son pays. Ce déclassement a d’ailleurs été déploré par le vice-président d’un institut de recherche rattaché au ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information (MIIT), Luo Daojun, lors du China Auto-forum. Événement durant lequel il a exposé que son pays ne pouvait aujourd’hui plus qu’assurer 10% de la production de Micro-conducteurs, les rendant vulnérables par rapport aux autres puissances les entourant.

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Ces interrogations structurelles auraient pu passer inaperçues, mais une crise est venue mettre à nu la fragilité des bases sur lesquelles s’est construit l’empire industriel chinois. Cette crise est venue ébranler l’un des secteurs les plus importants pour Pékin : le secteur de la construction.

Le secteur immobilier : symbole de la fragilité systémique chinoise

La croissance de cette économie intérieure est intimement liée au fulgurant développement sociétal présenté auparavant. La prolifération de firmes dans la deuxième partie du XXe siècle a, en effet, permis de créer d’importants pôles de production, mais une problématique démographique est apparue. Comme à l’âge de la révolution industrielle en Europe, beaucoup d’individus ont quitté leur terre d’origine afin de venir chercher du travail dans les mégapoles proches des côtes. De plus, la croissance engendrée par l’arrivée de ces nouvelles entreprises, a permis à une partie de la classe moyenne de s’enrichir, et donc souvent à souhaiter se construire une maison pour leur retraite. Ces différents éléments ont eu un effet commun : stimuler l’immobilier et la construction. Ce procédé a conduit ce secteur à devenir l’une des principales sources de PIB pour la Chine : entre 14% et 30% en 2022, selon le ministère de l’Économie français. Et plus qu’un simple secteur financier, l’immobilier représente en Chine une cause bien plus grande, celle de la mobilité sociale. En Chine, plus que partout ailleurs, l’achat d’un bien foncier représente une opportunité pour les individus des classes populaires ou moyennes de sécuriser leur avenir et d’accéder à une forme de stabilité sociale. Cette importance de l’accès à la propriété est devenue centrale dans le contexte économique chinois moderne. Qiong Wu, professeure de sociologie à l’Université d’Europe centrale, explique dans son analyse sur la stratification sociale en Chine :

« La transition vers une économie de marché a privatisé le marché immobilier en Chine urbaine et transformé le logement en une composante cruciale de la stratification sociale. La propriété foncière est devenue une voie d’accumulation de richesse et un indicateur de statut social élevé. » (Wu, 2021, Social stratification and housing inequality in transitional urban China, p. 384-399)

Ainsi, l’accession à la propriété n’est plus seulement un besoin matériel, mais un symbole de réussite et d’inclusion sociale, exacerbant les inégalités entre ceux qui peuvent y accéder et les autres.​

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À la fin du XX siècle, les grands groupes immobiliers chinois ont donc pu surfer sur cette période de forte expansion pour s’enrichir et multiplier leurs projets de constructions. La demande, si forte et stable, poussa ces gigantesques entreprises à anticiper que cette croissance perdurerait indéfiniment. Ne voyant pas la baisse de croissance approcher, ils ont construit de plus en plus d’énormes complexes immobiliers. Cependant, la récente baisse de croissance a logiquement induit une baisse de la demande. Un exemple marquant est celui des « villes fantôme », comme la ville de Shenyang. Des promoteurs trop ambitieux, ici Greenland Group, ont construit d’immenses complexes résidentiels, aujourd’hui abandonnés faute de demande. Ce projet, lancé en 2010 pour attirer les élites, est resté inachevé, laissant des dizaines de villas désertées. Ce phénomène symbolise l’excès de confiance des entreprises de construction, amplifiant la crise immobilière et mettant à nu la surévaluation de la demande dans le secteur.

Une autre cause de cette crise du logement est plus intimement liée aux agissements du gouvernement. Cette cause est très bien expliquée par Zhao Yanjing, professeur d’urbanisme à l’Université de Xiamen dans la province du Fujian, et commentateur régulier des affaires nationales et internationales de la Chine. Il remet en cause les agissements du gouvernement et des autorités locales en mettant en avant un trop grand laxisme de leur part envers ces géants de l’immobilier. Comme l’explique Zhao Yanjing :

 « Les autorités locales, dépendantes des revenus fonciers, ont encouragé une spéculation effrénée en vendant des terrains aux promoteurs à des prix toujours plus élevés. […] Le gouvernement central a tardé à mettre en place des mesures régulatrices efficaces, permettant aux promoteurs de continuer à s’endetter massivement. » Ce manque de régulation a contribué à la croissance déséquilibrée du secteur. » (Yanjing, 2023, Zhao Yanjing on China’s real estate crisis)

Toutes ces raisons ont donc eu pour effet commun de placer les institutions immobilières dans une difficulté financière sans précédent. L’un des exemples les plus concrets est la faillite de l’une des plus grandes sociétés immobilières du monde : Evergrande, en août 2023. Cette faillite est due à l’accumulation par le groupe d’une dette de plus de 300 milliards. Pour donner un ordre de grandeur, le montant de cette dette correspond à celui de la dette ayant fait chuter la Grèce dans un état de quasi-faillite en 2009. La faillite d’Evergrande a également entraîné la faillite de plus de 50 autres entreprises du bâtiment, c’est en réalité tout le secteur qui est aujourd’hui au bord de la banqueroute, et les dommages engendrés entraînent des répercussions sociétales désastreuses.

Cette crise immobilière ne se limite pas à un effondrement financier, mais elle expose également une fracture plus profonde dans le modèle économique chinois. Alors que les faillites successives des grands groupes immobiliers paralysent le secteur, l’impact social est tout aussi dévastateur. Des millions de familles voient leurs investissements partir en fumée à cause des faillites du secteur. Des milliers de projets immobiliers restent inachevés et les acheteurs, souvent des membres de la classe moyenne espérant une meilleure stabilité sociale, se voient aujourd’hui piégés dans un cauchemar financier. La confiance dans le marché immobilier, autrefois considérée comme un pilier de la mobilité sociale et de la croissance, chancelle aujourd’hui plus que jamais, laissant une population désemparée face à un avenir incertain.

Plus qu’un simple désastre économique, cette crise met en lumière la dépendance dangereuse de l’économie chinoise vis-à-vis de son secteur immobilier, réel moteur de sa croissance. La faillite d’Evergrande et d’autres géants du secteur, autrefois symbole de prospérité, a non seulement sapé la confiance des investisseurs, mais aussi mis en péril l’un des principaux moteurs de la croissance chinoise.

Les mesures de relance de la Banque populaire de Chine

Pékin se voit donc aujourd’hui dans l’obligation de faire des choix et de lancer des mesures afin de relancer son économie, voyant aujourd’hui sa croissance stagner autour de 4,7%. Croissance qui, même si elle paraît élevée, représente en réalité l’une des plus faibles qu’a connue l’Empire du Milieu depuis plus de 30 ans. Ce chiffre reste également en deçà de l’objectif national pour 2024 fixé à 5%.

La banque populaire chinoise (BPC) a entrepris en août un plan de relance historiquement ambitieux afin de relancer cette croissance, tout en cherchant à freiner l’effondrement du marché immobilier.

La première initiative majeure a été la réduction des réserves obligatoires des banques. La BPC a abaissé de 50 points de base le ratio des réserves obligatoires (RRR) des banques, libérant ainsi environ 1’000 milliards de yuans (127,45 milliards d’euros). Dans le système financier chinois, comme dans le système suisse, le taux de réserve indique quel montant une banque commerciale va pouvoir prêter à des particuliers ou aux entreprises en fonction du montant qu’elle détient à la banque populaire étatique. La baisse de ce taux correspond donc à une injection massive de liquidités visant à encourager les institutions financières à octroyer davantage de prêts. Cependant, la faible demande de crédit, due à l’incertitude économique, limite l’efficacité immédiate de cette mesure. Cela reflète un dilemme fondamental : les banques ont désormais les fonds, mais les emprunteurs se font rares.

En parallèle, la Banque centrale a entrepris une baisse des taux d’intérêt pour alléger le fardeau de la dette des ménages, notamment sur les prêts immobiliers. Les taux hypothécaires ont été réduits de 50 points de base en moyenne. Cette mesure vise à redonner du souffle aux propriétaires endettés tout en permettant par la suite de relancer la consommation des ménages. Pourtant, malgré cet assouplissement, beaucoup d’économistes restent prudents face à la baisse des prix immobiliers et l’incertitude concernant la reprise du secteur​.

Enfin, l’assouplissement des conditions d’achat immobilier représente également l’un des piliers de ce plan. Le gouvernement a drastiquement abaissé la mise de fonds minimale pour l’achat d’un second logement, la faisant passer de 25 % à 15 %. En théorie, cette mesure vise à relancer la demande et à redynamiser le marché immobilier.

Ces mesures, bien que saluées, soulèvent des interrogations quant à leur impact réel dans un contexte où la confiance des investisseurs et des ménages est fortement ébranlée. Si ces mesures montrent la volonté ferme de Pékin de redresser la situation, elles illustrent également la complexité de la crise. Ces mesures, axées sur la facilitation d’accès à la propriété privée, viennent également questionner le fondement même de la société chinoise. La réaction du marché reste timide et les doutes persistent sur la capacité de ces initiatives à relancer durablement la deuxième économie mondiale. En fin de compte, ces mesures pourraient s’avérer insuffisantes si elles ne sont pas accompagnées d’un soutien fiscal plus direct et d’une stratégie à long terme pour rétablir la confiance des ménages et des entreprises.

 

Arthaud Widmer

Sources: