Rififi chez les macroéconomistes

« For more than three decades, macroeconomics has gone backwards. » Paul Romer ne pèse pas ses mots qui entament son article « The Trouble with Macroeconomics », paru en 2016, qui eut un effet retentissant sur le monde scientifique de la macroéconomie. Pour cause, l’auteur n’est pas n’importe qui : professeur aux universités de Stanford, Berkeley, Rochester et New York, il est devenu peu après la parution de l’article, Chief Economist of the World Bank. Il attaque de front les chercheurs en macroéconomie et l’entiereté de l’écosystème qui fait que, selon lui, les connaissances sur le sujet ont régressé ces trente dernières années.

La lecture est technique, en particulier parce qu’il faut comprendre un minimum l’état actuel des recherches en macroéconomie pour pouvoir saisir l’étendue de ses critiques. Elle mérite néanmoins qu’on s’y intéresse car, dotée d’un ton moqueur et rentre-dedans qui contraste avec les autres publications du genre, elle permet au lecteur d’avoir un point de vue radicalement différent sur les (non)avancées du domaine. Même en ne comprenant pas tout, on comprend l’essentiel des problèmes auxquels la macroéconomie doit faire face.

La grande technicité de la macroéconomie est de modéliser notre monde économique. Il faut choisir le bon niveau d’abstraction entre avoir un modèle tellement simple qu’il est trop loin de la réalité pour l’expliquer, et un modèle tellement compliqué que les effets d’une variable sur une autre est complexe et ininterprétable.
La macroéconomie actuelle est grandement influencée par les écrits de John Maynard Keynes. Ses théories partaient de raisonnements logiques qui étaient vérifiables empiriquement. Elles ont ensuite été reprises mathématiquement par d’autres pour leur donner une robustesse mathématique et ont ouvert le champ à de nombreuses autres théories, certaines plus subversives que d’autres.
Le problème de certaines d’entre elles est qu’elles ne suivaient pas la démarche scientifique classique qui est la suivante : formulation d’une hypothèse théorique, utilisation de celles-ci pour faire des prédictions, se baser sur ces dernières pour mener des expériences, observer les résultats des expériences et bâtir une nouvelle théorie.
Certains économistes ont fait le contraire. Ils ont observé des données statistiques recueillies et sont partis de ceci pour créer des théories.Procéder de la sorte est dangereux car cela amène à observer des résultats que la compréhension logique ne peut supporter. Si les théories collent avec des données, c’est peut-être que les données observées ne sont que des proxys des variables réelles ou qu’elles sont représentatives d’une période anormale sur laquelle on ne pourrait tirer des résultats extrapolables.
Ce problème d’identification des effets de certaines variables sur d’autres est un des reproches principaux de Romer. Il cite en exemple le choc technologique négatif. Ce choc est quantifiable et donne des justifications à des changements de production par exemple, mais ce choc est également imaginaire dans le sens où il n’a pas, selon l’auteur, de soutien rationnel. Un choc technologique négatif voudrait dire que l’on perd des connaissances ou un certain niveau d’avancées technologiques. Un effet difficile à expliquer par la raison.

Pourquoi est-ce que Romer a pris le parti d’écrire ce pamphlet alors que le monde scientifique est d’habitude courtois et reconnaissant du travail des autres ? Car il n’est pas un académicien. Il le dit lui-même, son futur est dans la pratique et ce qu’il veut faire pour améliorer la situation mondiale ne se fera plus par la recherche. Il n’avait pas peur des répercussions de ses propos et c’est pour ceci qu’il a pu se les permettre.
C’est le deuxième problème qu’il reproche aux macroéconomistes : leurs théories seraient indétrônables car les réfuter conduirait quiconque à se faire décrédibiliser. C’est le dur monde des revues par les pairs. Si une publication veut gagner en visibilité, elle doit être validée par les experts déjà présents dans le domaine. Romer critique le fait que ce monde petit et fermé soit imperméable aux réfutations des théories existantes. Les macroéconomistes préféreraient se défendre entre eux pour garder leur prestige plutôt que de permettre à de nouvelles pensées d’émerger. C’est un comble pour la recherche scientifique qui devrait être un constant questionnement de la vérité et où les réfutations devraient être autant prises en compte que les théories !

La publication de Romer est d’autant plus pertinente que le besoin d’aller de l’avant en économie est pressant. D’années en années, de plus en plus de chercheurs questionnent les théories keynésiennes et néoclassiques. Le sommet des interrogations a été atteint après la crise de 2008. Avant, il était admis par certains que les modèles existants étaient assez poussés pour comprendre le système économique afin d’anticiper de futures dépressions. Pourtant, ils n’ont pas pu prédire la crise et encore moins nous en protéger.

Nous nous focalisons ici sur la macroéconomie, mais le papier de Paul Romer est une piqûre de rappel qui nous rafraîchi la mémoire sur l’importance de la démarche scientifique et ceci non seulement pour l’économie, mais dans tous les domaines.

L’article en question : https://ccl.yale.edu/sites/default/files/files/The%20Trouble%20with%20Macroeconomics.pdf

Luca Bron