Mon stage au Vietnam

Après mon Bachelor, j’ai choisi de faire une année de césure pour faire des stages et découvrir le monde. Par une amie, j’ai déniché une opportunité à Hô-Chi-Minh-Ville, plus grande ville du Vietnam. J’ai envoyé par mail mon CV et ma lettre de motivation et à ma grande surprise la réponse qui a suivi était positive : je pouvais venir quand je voulais !

Je trouvais néanmoins que les choses étaient allées un peu trop bien. Être embauché sans interview à de quoi laisser pantois. Je les ai donc recontactés pour en savoir un peu plus sur mes tâches de stagiaire. La réponse était très claire ; il me suffisait de venir et on en discuterait sur place. Je n’aimais pas le prospect de faire dix mille kilomètres pour arriver dans une entreprise et découvrir ce que j’allais y faire. Comme il y avait anguille sous roche, j’ai bien évidemment pris la décision… d’y aller quand-même. Je me disais qu’au pire, je trouverais autre chose sur place et qu’il faut savoir écouter son instinct !

Arrivé là-bas, je me demandais toujours à quelle sauce j’allais être mangé. L’entreprise est un transitaire vietnamien qui s’occupe principalement des procédures de dédouanement aérien et maritime ainsi que du transport de marchandises par camion dans l’ensemble du pays. Elle compte environ deux-cents employés, quasiment tous vietnamiens qui se décomposent en deux groupes principaux : les employés de bureau qui s’occupent des procédures administratives et les employés « de terrain » qui sont soit chauffeurs de camions, soit chargés de la réception et de l’acheminement des cargaisons.

Après vingt heures de voyage, je suis accueilli par un chauffeur qui m’emmène directement dans les bureaux. Là, je découvre mes nouveaux collègues : tous vietnamiens, entre vingt-deux et trente ans, écrasante majorité de femmes. À noter que j’écris « tous », mais ce n’est pas exactement vrai. Il y avait également un employé japonais, la cinquantaine, qui ne parlait pratiquement rien d’autre que sa langue maternelle. Même après avoir bien discuté avec lui, je n’arrive toujours pas à comprendre comment il est atterri à ce poste.

Après un accueil et briefing rapides, on me prête un casque pour ma première mission : accompagner un collègue à moto au terminal cargo de l’aéroport pour y chercher des colis. Arrivé là-bas, il reste assis sur son engin et me dit dans un anglais approximatif de me lever. Un type sur place pose quatre gros cartons derrière son dos. Une fois fait, il me dit de m’asseoir à l’arrière. On repart et je suis là, crevé de mon voyage, dans le vacarme des rues saïgonnaises, à tenir cinquante kilos de barda entre les jambes, les fesses dépassant à l’arrière ; à me demander si j’ai fait un bon choix.

Dès le premier jour, il était évident qu’on allait me demander des choses qu’on ne me demanderait pas en Suisse, ce qui fait que je ne saurais souvent pas quoi répondre. J’ai donc pris la décision de dire oui à pratiquement tout et à part quelques expériences regrettables, cela m’a très bien servi !

Par exemple, après quelques jours passés à travailler, deux employés du siège de Hanoï arrivent dans nos bureaux pour une réunion. Il est ensuite décidé qu’un des deux restera pour se former. Comme ce n’était pas prévu, il n’a pas de logement. Ma manager se tourne alors vers moi et me demande si je serais prêt à l’accueillir. En Suisse, on se serait arrangé pour lui trouver un hôtel, mais là, elle m’a sollicitée d’une façon tellement naturelle et inattendue que je n’ai su que répondre : « j’habite dans un 15m2 et n’ai qu’un lit double ». Elle a insisté en argumentant qu’il me fera découvrir le pays. Déconcerté par sa requête qui semblait évidente pour elle, conscient de mon décalage culturel et suivant mon nouveau principe, j’ai accepté… et ce fut très amusant !

D’autres choses étaient décalées par rapport à mes habitudes : dans les bureaux, les autels avec de l’encens qui brûle, les gens à pieds-nus, la totalité du personnel qui fait la sieste sur la moquette de 12:30 à 13:00, etc.

Au niveau de l’organisation du travail, il y avait également des choses étonnantes. Je n’ai quasiment jamais vu des gens en réunion et que très rarement des longues discussions sur la marche des affaires. J’ai demandé à la manager principale comment elle faisait pour faire passer les informations importantes. Elle m’a dit qu’elle écrivait simplement un message sur Skype et que les gens le lisaient et le rappelaient aux autres.

Ça m’a fait me demander, et me fait toujours me demander d’ailleurs, si on ne met pas trop la communication informelle de côté dans nos sociétés occidentales par peur d’avoir des informations qui se perdent.

Étant donné qu’elle est titulaire d’un MBA, elle est au courant des pratiques internationales. À ce sujet, elle m’a dit que c’est important d’avoir un MBA pour comprendre les standards, mais qu’il faut faire les choses à la manière qui convient le mieux à soi et à son environnement.

Les managers avaient tous une façon de faire assez plaisante. Ils se comportaient un peu comme des grands frères ou grandes sœurs qui guidaient les plus jeunes. Même s’ils remontaient quelques fois les bretelles aux employés, ils étaient généralement déconneurs et détendaient l’atmosphère avec des blagues. Le peu de micromanagement et le beaucoup de confiance dans l’habileté des gens, donnait l’impression que tout le monde savait toujours quoi faire et tout se faisait avec beaucoup d’agilité.

Malgré toutes les situations inhabituelles dans lesquelles je me retrouvais, j’avais du plaisir à travailler dans cette boîte. Mon travail en deux mots : mon équipe était sous-traitée par Panalpina qui était en contrat avec Inditex pour le marché vietnamien. Les deux activités principales étaient la réception et le dédouanement à l’aéroport, ainsi que l’acheminement vers le magasin des marchandises Zara ; mais aussi l’ouverture des magasins Massimo Dutti, Pull & Bear et Stradivarius à Hô-Chi-Minh-Ville.

Au début du stage, je me suis occupé de faire des rapports sur les processus logistiques. J’allais au terminal cargo de l’aéroport pour prendre note de la réception, du dédouanement, de l’acheminement dans les camions et de la livraison des produits dans le magasin Zara au centre-ville.

Il y avait un étrange contraste entre la rapidité induite par les exigences extrêmement élevées du groupe Inditex et la lenteur administrative institutionnelle. L’attente pour le dédouanement pouvait prendre la moitié du temps total des procédures et dès qu’il était terminé, les activités reprenaient de plus belle.

Ce n’était pas l’efficience que l’on pourrait attendre de services logistiques de nos contrées. Beaucoup de temps morts, d’incertitudes, de paperasses à contrôler manuellement. Je me demandais ce qui créait ces différentes façon de faire.

Ma théorie est que les salaires en Suisse sont si élevés par rapport aux économies émergentes, que le choix de la voie de l’efficience n’existe pas. Il faut être efficient ou ne pas être. Tandis qu’au Vietnam, la main-d’œuvre est bon marché et on peut plus facilement se permettre de payer des employés pour des tâches redondantes. Par exemple, certains cartons étaient déchirés à leur arrivée, ce qui comportait le risque que des marchandises aient été volées à un moment ou à un autre de la chaîne d’approvisionnement. Résultat, les employés de ma compagnie devaient ouvrir les cartons, compter les articles un à un (il y en avait jusqu’à deux-cents par carton) puis les refermer et boucher les trous avant de pouvoir les disposer dans le camion. Un autre exemple du côté bureaucratique des opérations, les fichiers reçus par les clients étaient sous format PDF uniquement. Pas de numérique. Pour éviter les erreurs, il fallait contrôler notamment que les objets sur les factures fussent les mêmes que sur les listes de colisage. À cause du problème de format, il n’y avait pas d’autres options que de le faire à la main, caractère par caractère.

Le pays est en forte croissance et je suis curieux de voir à ce train-là où tout cela va le mener. Je pense en tout cas que les managers sont conscients du problème. Du moins, la dernière partie de mon stage était centrée sur l’automatisation de la collecte de données et du formatage automatique de textes afin de rendre les méthodes plus efficientes.

Le côté travail n’était de loin pas la seule partie instructive de l’expérience. Bien évidemment, voir comment le management s’opère, se rendre compte des réalités du terrain et de la logistique dans d’autres régions du monde ne peut qu’apporter du positif, mais le côté relationnel était tout autant enrichissant, voire plus. Difficile malheureusement de relater le côté inédit des relations sociales dans un écrit.

Je ne sais pas si j’ai par hasard atterri dans une des boîtes les plus cools du pays, mais ce qui est sûr, c’est que les Vietnamiens que j’y ai rencontré étaient incroyablement sympathiques, ouverts, curieux et marrants malgré la barrière de langue (la plupart parlaient mal l’anglais).

Pour faire écho à ce qui est écrit en début d’article, ce voyage m’aura appris que je suis plus résilient que ce que je pensais. Malgré avoir plongé tête baissée dans toutes les expériences que l’on m’a proposé, à commencer par faire un quart du tour de la terre pour faire un stage dont je ne connaissais pas la contenance à l’avance, j’en retiens uniquement des beaux souvenirs. Il m’a également permis de prendre du recul sur le formalisme de la Suisse. Nous vivons d’une façon très ordonnée et carrée et devrions parfois lâcher du lest. Attention quand même car le prix à payer du manque de rigueur sont les inefficiences ! Là où je veux en venir, c’est que l’on devrait peut-être plus faire confiance aux capacités individuelles, ne pas fuir comme la peste les erreurs qui sont inéluctables, rester ouvert aux changements de notre environnement et y réagir avec agilité sans trop se soucier des convenances. Il doit y avoir un juste milieu à atteindre.

 Un petit mot sur le pays tout de même, car il vaut la peine qu’on en parle.

Les informalités dans des contextes professionnels que j’ai mentionnées auparavant, s’appliquent bien évidemment à la vie de tous les jours. C’est tout à fait le contraire de la Suisse où tout ce qui n’est pas interdit est une obligation. À commencer par le code de la route dont les règles respectées se limitent à porter un casque et s’arrêter au feu rouge. Pour le reste, c’est le bon sens et la (relative) sécurité qui prime. J’en ai passé des heures à l’arrière d’un scooter dans cette ville, premièrement sur les Uber Moto que je prenais pour aller au travail, mais aussi pendant tous les déplacements que je faisais avec mes collègues de boulot. Ils étaient d’ailleurs très nombreux car ces derniers ne marchaient quasiment jamais. En même temps, je les comprends. Rouler dans cette ville c’est avoir la liberté d’aller n’importe où, d’être sûr de pouvoir se garer à destination et tout ça sans devoir être attentif à une myriade de règles. Bon, je dois bien dire qu’au début j’avais souvent peur du chaos des routes et à juste titre vu que j’ai eu un accident. Un type bourré en deux-roues est rentré dans mon Uber Moto après avoir grillé un feu rouge. Heureusement qu’il n’était pas en voiture…

Mais le Vietnam c’est aussi pleins d’autres choses : la nourriture incroyable, des paysages à couper le souffle, des gens chaleureux (en dehors des circuits touristiques où ils peuvent être imbuvables), des temples splendides, une histoire tragique mais intéressante, des villes chaotiques et dynamiques et mon coup de cœur : les soirées karaoké. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seconde !

Si l’expérience te fais envie, contacte-moi et je peux t’arranger avec la compagnie quelque chose de similaire.

 

Luca Bron