Retour sur l’affaire O.J. Simpson : un procès ultra médiatisé et controversé.

L’affaire qui va nous occuper dans les lignes qui vont suivre s’est produite le 12 juin 1994 dans un quartier prestigieux de Los Angeles. Dans la propriété de Nicole Brown Simpson, l’ex-femme et mère des deux enfants d’Orenthal James Simpson, plus connu sous le nom d’O.J. Simpson, un drame s’est produit. Cette dernière, ainsi que son ami Ronald Goldman, sont retrouvés morts, le corps criblé de coups de couteau. Après s’être rendue sur les lieux, la police décide d’avertir O.J. qui habite non loin de là. Dans sa voiture, mal garée devant sa propriété, les policiers découvrent une tache de sang. Le propriétaire des lieux, lui, est absent. Il se trouve que, dans la soirée, il s’est rendu en avion à Chicago.

Le 13 juin 1994, la police l’appelle et lui annonce le décès de son ex-femme. O.J. décide alors de rentrer à Los Angeles. À son arrivée, il découvre qu’une importante enquête de police est en cours. Bientôt, la police découvre de nombreux indices qui le mettent en cause ; un mandat pour son arrestation est alors délivré. Curieusement, suite à un arrangement, O.J. est autorisé à se rendre lui-même au commissariat le 17 juin 1994. Ce dernier assiste alors, en homme libre, à l’enterrement de Nicole Brown Simpson qui a lieu la veille.

Malheureusement, O.J. ne se rend pas à la police et prend la fuite. À son domicile, la police découvre une lettre d’adieu. Lorsqu’un motocycliste l’aperçoit dans sa voiture et donne l’alerte, débute une des courses-poursuite les plus célèbres de l’histoire.

Près de 95 millions de téléspectateurs à travers le monde voient en direct plusieurs voitures de police prendre en chasse l’ancien joueur de football américain ; le spectacle s’achevant lorsqu’ O.J. Simpson est arrêté. Dans sa voiture, on découvre notamment de l’argent liquide et une arme chargée.

Le 24 janvier 1995, en raison de charges suffisantes contre O.J., s’ouvre son procès pour double meurtre. Il prend place au centre-ville de Los Angeles et non au lieu du crime. La raison avancée pour expliquer ce choix est la volonté d’éviter que les parties concernées n’aient à faire de trop longs trajets et celle de « contenir au mieux l’intérêt prévisible des médias ». Le jury, lui, est composé de douze personnes, dont dix de couleur noire, ce qui est dû à la délocalisation du procès. Ce dernier fait l’objet d’une « large couverture médiatique » et dure neuf mois. Le 3 octobre 1995, après trois heures de délibérations, O.J. Simpson est déclaré non-coupable par le jury. Cet acquittement est perçu par beaucoup comme une erreur, car les éléments à charge auraient dû suffire à le faire condamner.

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Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce procès s’inscrit dans un contexte très particulier. Quelques années auparavant, à Los Angeles, quatre policiers blancs rouèrent de plus d’une cinquantaine de coups de matraque, un citoyen noir, Rodney King, pour un excès de vitesse. Les faits, filmés par un amateur, se diffusèrent très rapidement et choquèrent l’opinion publique. Malgré la brutalité de l’affaire, les auteurs furent acquittés. Ce verdict donna lieu aux tristement célèbres émeutes de Los Angeles de 1992 ; durant six jours et causant une soixantaine de morts, des milliers de blessés et plusieurs centaines de millions de dollars de dégâts. L’acquittement d’O.J. apparaît alors comme une « erreur nécessaire », une revanche suite à l’acquittement à tort de ces quatre policiers, par un jury majoritairement composé de personnes de couleur blanche.

On comprend mieux à présent la délocalisation du procès d’O.J. Simpson. S’il s’était tenu au lieu du crime, le jury aurait été composé presque exclusivement de personnes de couleur blanche, puisque la règle veut que la composition du jury soit représentative de la population du lieu en question. On se serait retrouvé avec « un auteur présumé noir, jugé pour le double meurtre de victimes blanches, par un jury blanc. », ce qui aurait été un trop grand risque d’aboutir à un verdict entaché de partialité. Dans le souci d’apaiser les tensions raciales que connaissaient les États-Unis à cette époque, les règles de procédure ont alors été contournées.

Dans le premier cas, un jury presque exclusivement blanc acquitta quatre prévenus blancs. Dans le second, un jury majoritairement noir acquitta un prévenu noir. On ne peut que constater le parallélisme entre ces deux affaires et, éventuellement, supposer que l’acquittement injustifié d’O.J. a servi à « compenser l’erreur du verdict dans l’affaire King. » ; un certain « équilibre de la justice » ayant ainsi été rétabli.

En 1997, malgré son acquittement au pénal, O.J. fut reconnu responsable au civil de la mort de Nicole Brown Simpson et de Ronald Goldman, et condamné à verser à leurs familles trente-trois millions de dollars, ce qu’il ne fit, évidemment, jamais.

À l’époque de l’affaire O.J. Simpson, l’information télévisée prenait un tout nouveau tournant. C’était l’époque des reportages en direct. On diffusait, en temps réel, tous types d’événements, du plus banal au plus spectaculaire, et le public adorait ça. Les « réseaux se disputaient les droits des chasses à l’homme » et on mettait des caméras dans les voitures de la police ; cette dernière acceptant même parfois de faire des « live » de ses interventions. La fuite d’O.J. n’échappa pas à cette nouvelle tendance médiatique et une vingtaine d’hélicoptères parcoururent rapidement le ciel, avides d’obtenir les meilleures images de cette singulière course-poursuite.

“White, black, immigrants who were from different races,

women and men, rich and poor — and everyone was glued to the television.”

– Charles Ogletree, professor at Harvard Law School

Il est intéressant de constater ici « à quel point la frontière entre le divertissement et l’information » est maigre. En effet, l’arrestation d’un individu, accusé d’avoir commis un sanglant double-meurtre, était tout à coup transmise en direct par les journaux télévisés du monde entier. Il faut dire que cet individu n’était pas n’importe qui. C’était O.J., un héros en pleine déchéance ; les téléspectateurs étaient fascinés. Certaines personnes faisaient même tout leur possible pour se trouver sur le trajet de la fameuse Ford Bronco blanche ou, pire, pour encourager son occupant.

Le procès d’O.J. Simpson, diffusé en direct, avec ses controverses, ses irrégularités, ses soupçons de corruption et ses rebondissements fut un véritable feuilleton à sensation dont le monde entier se délecta.

« Amour, gloire et beauté » : la vedette de ce téléroman était de ces personnes que le public adore détester. O.J., élevé par sa mère, leur père les ayant abandonnés quand il n’avait que cinq ans, avait souffert de rachitisme quand il était enfant, ce qui ne l’empêcha pas de devenir une superstar du football américain. Il ne s’arrêta pas là, puisqu’il exerça ensuite comme commentateur sportif et entama une carrière d’acteur, apparaissant dans plusieurs films et publicités. Pour beaucoup, il incarnait le rêve américain, la réussite et l’espoir. C’était un homme noir « vivant comme les Blancs dans un quartier huppé de Beverly Hills », à une époque où le racisme et la discrimination ethnique battaient leur plein aux États-Unis.

Et puis, il y avait le juge présidant le procès qui autorisa les caméras dans la salle d’audience et à qui on demanda de se récuser, le racisme du policier en charge de l’enquête, l’essai des célèbres gants en cuir par O.J., l’un ayant été retrouvé sur la scène de crime, l’autre dans son jardin, les délibérations étrangement courtes du jury et, surtout, ce verdict qui, selon plusieurs sondages, divisa l’opinion publique. « Deux tiers des Blancs le jugeaient coupable » et « 60% des Noirs le disaient innocent. »

OJ Trial Not Guilty NY Times headline 1995

Si on devait citer une des pires décisions de l’histoire judiciaire américaine, ce serait certainement la décision autorisant la presse à transmettre en direct le procès d’O.J. Simpson. En effet, au détriment de l’image de la Justice, ce dernier s’est rapidement transformé en un reality-show, précurseur des plus mauvaises séries de téléréalité modernes. Le problème est que l’être humain peine à apprendre de ses erreurs et pousse ainsi l’histoire à se répéter, inlassablement.

“What I realized is, this is entertainment.

This is not news.”

– Gerald Uelmen, one of Simpson’s defense attorneys

En 1954, eut lieu le procès pour meurtre du Docteur Sam Sheppard que l’on accusait d’avoir assassiné sa femme. Celui-ci se solda par une condamnation du jeune chirurgien à la réclusion à perpétuité ; condamnation ayant été, par la suite, cataloguée d’erreur judiciaire et c’est peu de dire que la presse a joué un rôle important dans cette affaire. Après avoir passé dix ans derrière les barreaux, la Cour suprême annula sa condamnation « en raison de la mascarade médiatique qui l’avait entourée ». Sam Sheppard fut acquitté, non pas parce qu’on le pensait innocent, mais parce que croire en un procès équitable était chimérique. En effet, les médias de l’époque s’étaient rapidement emparés de son histoire et en avaient fait une « série télévisée » cauchemardesque scellant définitivement le destin de son protagoniste. En fait, le procès Sheppard fut aux États-Unis des années 50, ce que le procès d’O.J. fut aux États-Unis de la fin du siècle dernier.

Nombreux sont ceux qui pensent que la présence des caméras en audience ouvre la brèche aux dérives des médias qui ne respectent pas toujours les droits des parties, « cherchant avant tout à satisfaire la curiosité du public, voire à la provoquer. » Lorsque la liberté de la presse et le droit à l’information mettent à mal le droit à un procès équitable et la présomption d’innocence, les autorités judiciaires doivent agir et c’est ce qu’elles ont fait après l’affaire Sheppard en bannissant les télévisions des salles de tribunal jusqu’au procès d’O.J. qui fit faire à la justice américaine un gigantesque pas en arrière.

Le procès d’O.J. changea complètement la façon des Américains de percevoir les avocats plaidants. Pour la nation toute entière, ils devinrent tous des escrocs. Pire encore, l’idée selon laquelle un avocat qui ne « jouait pas le jeu » était un mauvais avocat se répandit comme une traînée de poudre. Ainsi, on vit de plus en plus d’avocats contourner les règles, tenter des mises en scène ridicules dans les salles d’audience, abuser de l’exposition médiatique et faire de la publicité de mauvais goût pour attirer l’attention ; certaines de ces publicités faisant passer « l’ensemble du système judiciaire pour un très mauvais jeu télévisé » où il était aussi facile d’empocher une grosse somme d’argent que de composer un numéro de téléphone publicitaire.

L’affaire O.J. Simpson était plus qu’une simple question de faits et de preuves. Complexe, longue et fascinante, elle eut un grand impact sur la culture nord-américaine et la manière de communiquer les nouvelles aux masses.

Le procès d’O.J. fait partie des événements télévisés les plus visionnés de l’histoire. À l’époque, tout le monde savait ce qui se passait en salle d’audience et avait sa propre opinion à ce sujet. Il faut dire que l’ignorance n’avait pas sa place à cette période d’émergence des nouvelles de type « 24 heures » et de constantes mises à jour télévisées.

Tout commença par cette chasse à l’homme, diffusée en temps réel, attisant le goût des masses pour l’immédiateté et donnant naissance au cirque médiatique qui caractérisa tout le procès. Par la suite, les moindres détails de l’affaire furent « jetés » sans ménagement à la figure du public, lequel était libre de les interpréter comme il l’entendait. Le problème, c’est que la célébrité du prévenu, la cruauté du crime et le racisme notoire de la police de Los Angeles créèrent un drame parfait pour nourrir l’appétit des téléspectateurs.

“Fueled by the national obsession with crime, celebrity and race,

the Simpson case morphed into a compelling daily national soap opera”

–  Annette Gordon-Reed, historian and law professor.

On peut dire que l’envie des médias de créer toujours plus d’« actualité » et le désastre que fut le procès d’O.J. s’alimentèrent l’un l’autre. D’un côté, les médias diffusèrent, en continu et sans filtre aucun, des nouvelles du procès, des avis d’experts, les impressions du public, les photos des uns, les témoignages des autres, privilégiant la quantité au détriment de la qualité. De l’autre côté, le procès fut affecté par les médias ; l’opinion publique ayant été nourrie et façonnée par l’image que ces derniers donnèrent de la Justice.

NY Post headline 1995 OJ Trial Fuhrman Racist

La couverture médiatique, centrée sur la personne du prévenu et ses avocats, et le volet racial de l’affaire, transformèrent le procès en un grand évènement collectif par lequel tout le monde se sentait concerné. Ce n’était pas le peuple contre « O.J. », mais « O.J. » et le peuple, armé de ses valeurs, contre le racisme de la police et plus largement l’(in)Justice. Si la colère que le peuple ressentait à l’égard de la police pour ses actes racistes est facilement compréhensible, on ne peut que regretter son instrumentalisation par les avocats d’O.J. Simpson et, plus largement, par les médias ; le procès devenant une « question de race » au lieu d’une question « de faits et de preuves ».

Juliana Ramirez Moya

 

Sources :

Auteur Inconnu, L’information spectacle : Arrestation d’O.J. Simpson en juin 1994 in Éthique et médias 16 juin 2014, (https://ethiquemedias.wordpress.com/tag/o-j-simpson/), (28.10.2019).

Babb Kent, How the O.J. Simpson murder trial 20 years ago changed the media landscape in The Washington Post 09 juin 2014, (https://www.washingtonpost.com/sports/redskins/how-the-oj-simpson-murder-trial-20-years-ago-changed-the-media-landscape/2014/06/09/a6e21df8-eccf-11e3-93d2-edd4be1f5d9e_story.html), (03.11.2019).

Dongois Nathalie, L’erreur judiciaire en matière pénale : Regards croisés sur ses contours et ses causes potentielles, (Schulthess Verlag) 2014.

De Graffenried Valérie, O.J. Simpson a été remis en liberté conditionnelle in Le Temps 01 octobre 2017, (https://www.letemps.ch/societe/o-j-simpson-remis-liberte-conditionnelle), (28.10.2019).

McNay Don, How Judge Lance ITO and OJ Simpson Ruined the Legal System in Huffpost 04 mai 2014, (https://www.huffpost.com/entry/how-judge-lance-ito-and-o_b_4896905), (03.11.2019).

Obsession, La biographie de O.J. Simpson in L’OBS 05 décembre 2008, (https://o.nouvelobs.com/people/20081205.OBS4211/la-biographie-de-o-j-simpson.html#), (28.10.2019).

Sabatier Patrick, Le fugitif réhabilité : de la fiction à la réalité. Le fils du Dr Sheppard qui servit de modèle à la série télé culte, estime avoir prouvé l’innocence de son père in Libération 08 février 1997, (https://www.liberation.fr/planete/1997/02/08/le-fugitif-rehabilite-de-la-fiction-a-la-realite-le-fils-du-dr-sheppard-qui-servit-de-modele-a-la-se_197540), (04.11.2019).

Stewart Ellie, The Trial of OJ Simpson and the Rise of 24-hour News Media in Medium 28 mars 2018, (https://medium.com/@elliestewart_58794/the-trial-of-oj-simpson-and-the-rise-of-24-hour-news-media-c82d58d9b115), (03.11.2019).

Villez Barbara, Une erreur judiciaire irréparable, Le cas du Dr Sam Sheppard in Le temps des médias n°15, (Nouveau Monde éditions) 2010.

Zorthian Julia, How the O.J. Simpson Verdict Changed the Way We All Watch TV in TIME 02 octobre 2015, (https://time.com/4059067/oj-simpson-verdict/), (03.11.2019).

Sources photos

http://content.time.com/time/covers/0,16641,19940627,00.html

https://ethiquemedias.files.wordpress.com/2014/06/oj-simpson-course-poursuite-3.jpg

https://www.dailynews.com/2017/04/27/la-riots-25-years-later-timeline-of-the-rodney-king-beating-and-lapd-officers-trial/

https://envisioningtheamericandream.com/2016/04/06/o-j-obsessed/

https://www.parismatch.com/Actu/International/O-J-Simpson-le-proces-qui-a-dechire-l-Amerique-1122464