Curtain, Cinema, Theater, Stage, Film

REINVENTONS LE CINEMA

Du muet au parlant, du noir et blanc aux couleurs, sur petit ou grand écran… Depuis sa création, le cinéma n’a eu de cesse de se transformer, de se réinventer. Alors que l’ère du numérique s’installe, cela est d’autant plus vrai que la pandémie mondiale rebat les cartes et accélère la métamorphose du septième art.

LE CORONA ET SES DÉGÂTS

Les nombreuses mesures anti-Covid ont secoué le secteur cinématographique de tous les pays, dont les Etats-Unis, où les coûts sont particulièrement visibles : Hollywood a perdu 100’000 emplois en 2020 suite à la suspension des tournages pendant plusieurs mois. Avec un box-office US qui chute de 80 %, les cinémas, désemparés, se tournent vers les locations privées, sont mis en vente, ou ferment, tout simplement.

Et, même si tout le monde est sur son canapé, les pilotes de séries annulés font perdre 500 millions de dollars aux chaînes américaines, quand les pubs supprimées faute de matchs font un trou de 3 milliards dans leurs revenus… Le nouveau Breaking Bad n’est pas encore pour tout de suite.

En attendant, les tournages reprennent, d’abord timidement ; malgré une augmentation de 43 % des tournages à Los Angeles en février 2021 par rapport à janvier, les chiffres sont toujours 40 % plus bas que la moyenne de la saison en temps normal. Les tournages ayant encore lieu sont pour l’instant ceux des séries telles que S.W.A.T. et Curb your Enthusiasm, plus courtes et nécessitant moins de personnel.

Même des géants comme Disney ont ressenti le coup : le groupe a déclaré en 2020 une baisse dans ses bénéfices avant impôts s’élevant à 7,4 milliards de dollars (en incluant les parcs d’attractions).

Le coronavirus pourrait donc changer à jamais l’industrie du rêve, en supprimant les petits et en fragilisant les gros, et même les très gros : avec une crise sanitaire incontrôlable aux Etats-Unis et des protocoles sanitaires qui ralentissent la production, le pays a connu un « boom de délocalisation », transférant un peu plus le centre de gravité du cinéma de Hollywood à l’Islande ou encore à la Nouvelle-Zélande, qui affichent nettement moins de cas positifs.

Cependant, la principale mutation du cinéma n’est pas due aujourd’hui au Covid, même si les deux vont souvent de pair : il est temps de parler du streaming.

LE STREAMING, OU L’ÉVOLUTION VERS LA (TRÈS) PETITE LUCARNE

Cette évolution avait déjà été amorcée depuis quelques années. Mais la pandémie lui a donné un sacré coup de pouce. Warner Bros avait ainsi déclaré assez rapidement qu’en 2021, tous ses films sortiraient en même temps dans les salles et sur sa plateforme de streaming HBO Max (qui a tout de même gagné 4 millions d’abonnés en 3 mois l’année dernière !).

De la même manière, Disney+, lancé fin 2019, a connu un succès fulgurant. Les grandes chaînes TV proposent progressivement leurs propres services de streaming à des consommateurs qui préfèrent y souscrire plutôt que de payer le câble, plus cher.

En découle une concurrence accrue. NBC a par exemple versé à Netflix 500 millions de dollars pour racheter les droits de la célèbre série The Office (U.S.). Cette dernière avait engrangé en 2020 plus de 950 millions d’heures de visionnage, soit 7,19 % du total mondial de la plateforme.

La concurrence est évidemment rude pour les salles de cinéma. La « theatrical window » correspond au laps de temps entre la sortie d’un film en salle et sa sortie en DVD ou en streaming (du moins le streaming légal…).

La moyenne est actuellement de 90 jours. Mais Netflix et Amazon notamment souhaitent supprimer cette dernière ressource pour les cinémas. Le premier rend déjà ses contenus disponibles sur sa plateforme en même temps que dans les salles. Amazon souhaite une période allant de 2 à 8 semaines. Aux critiques, les deux géants proposent de racheter les cinémas, afin de garder l’expérience des salles noires pour des avant-premières et autres évènements, en parallèle du streaming pour ceux qui n’ont pas les moyens d’aller au cinéma.

La question est épineuse : alors que la Warner Bros Pictures pèse en faveur du streaming, Toby Emmerich, l’un de ses cadres exécutifs, avait déclaré : “A lot more people have had their first kiss in a movie theater than their parents’ living room” (« bien plus de gens ont eu leur premier baiser dans un cinéma que dans le salon de leur parents »).

Disney lui, affirme vouloir conserver la « window » pour les films majeurs, mais les autres sortiront en simultané sur Disney+.

Cette concurrence féroce pousse les différents acteurs à proposer des contenus attirant toujours plus les spectateurs. Netflix emploie l’intelligence artificielle au service de la production en masse de films, proposant ainsi un fan-service vital pour la continuité de la plateforme, au détriment parfois de l’art pour certains.

Ce qui soulève bien plus de questions que vous ne l’imaginez.

L’AVENIR DU CINÉMA

En premier lieu, la question qui hante les Oscars : Qu’est-ce qu’un film ? Cela peut paraître dérisoire, voire un peu mélodramatique, mais pensez-y : un film qui ne joue pas (ou presque) dans les salles mérite-t-il d’être récompensé pour sa contribution à l’expérience cinématographique ?

Pour la Palme d’Or, la question ne se pose pas, les films ne devant pas être présentés au public avant le festival pour être éligibles ; que ce soit en salles, lors d’un festival ou sur n’importe quelle plateforme de streaming d’ailleurs.

Mais la question du streaming soulève un point intéressant. Dès 2018, Steven Spielberg argumentait que les films sortis en streaming devraient concourir pour les Emmy Awards et non les Academy Awards. Et donc, être considérés plus comme de la télévision que du cinéma.

Pour l’instant, le comité des Oscars a statué sur l’éligibilité des films sortis en streaming, pour peu qu’ils soient sortis simultanément pour au moins 7 jours dans une salle de Los Angeles. Ce choix représente-t-il la définition d’un film selon les Oscars ? Ou a-t-il été motivé par le Département de la Justice américaine, qui a prévenu que des contraintes d’éligibilité pourraient s’avérer anti-compétitives ? Et combien de temps avant que cela ne change ?

L’autre question majeure du streaming et des productions à (très) gros budget en général est celle de l’art. Souvenez-vous, en 2019, Martin Scorsese déclarait lors d’une interview que les films Marvel n’étaient pas du cinéma. Il s’était par la suite expliqué dans une tribune publiée par le New York Times (que je vous conseille de lire). Pour « Marty », ces grosses productions, qui tiennent plus du fan-service que d’autre chose, monopolisent les écrans et ainsi empêchent les « vrais films » de se faire connaître. Et, surtout, ils omettent un point essentiel dans leur narration, dans leur réalisation : la prise de risque. Il écrit ainsi :

“Many of the elements that define cinema as I know it are there in Marvel pictures. What’s not there is revelation, mystery or genuine emotional danger. Nothing is at risk. The pictures are made to satisfy a specific set of demands, and they are designed as variations on a finite number of themes. (…) All the same, they lack something essential to cinema: the unifying vision of an individual artist. Because, of course, the individual artist is the riskiest factor of all.”

Le fan-service tuerait-il le septième art ?

Pourtant, et peut-être un peu grâce à Marvel finalement, les strapontins rouges se portent bien : en 2018 aux Etats-Unis, ils ont vendu pour 41 milliards de dollars de tickets, et ce en dépit des 90 films streamés par Netflix cette même année. En 2019 encore, les ventes n’ont cessé d’augmenter dans la plupart des pays, allant de record en record, tout comme le nombre de cinémas disponibles. L’année dernière, même s’il n’est pas sorti en salle dans les pays où les cinémas étaient fermés, Wonder Woman 1984 a connu un franc succès au moins dans son pays d’origine.

Seule la Suisse connaît un nombre d’entrées en baisse ces dernières années. Ce qui la place à l’opposé de la Chine et de sa soif des salles sombres : la fréquentation des cinémas y a augmenté encore en 2020, et ce malgré les jauges sanitaires. Certains experts la classent même devant Hollywood, en attendant la reprise complète de l’industrie californienne.

Le public semble donc attendre moins la fin de la pandémie que la production et diffusion de bons films pour envahir à nouveau les cinémas. En 2019, au second semestre, Netflix a même perdu des abonnés, une première en 12 ans. La faute à une concurrence rude qui fait grimper les prix.

Au-delà de toutes les questions juridiques que le streaming amène (rappelons tout de même que ces mêmes questions se sont posées avec l’avènement de la télévision, puis des cassettes), le cinéma devrait donc survivre, et les salles avec. Les spectateurs ne sauraient se passer du frisson des salles obscures. Mais quelle forme prendra ce frisson à l’avenir ?

En attendant des jours meilleurs, la prochaine princesse Disney sera-t-elle masquée ?

cinema
Arthur Thévenin
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Sources:

Los Angeles Times, New York Times, Chicago Tribune, Reuters, Télérama, Igen, Le Parisien, site des Academy Awards, site du Festival de Cannes, bfs.ch