La Naissance de l’Islande, Partie 1 : Le parlement Viking

Cet article est le premier d’une série de deux articles consacrés à l’histoire de la naissance de l’Islande. La seconde partie est disponible ‘ici‘. 

Dépérit le jeune pin

Qui se dresse en lieu sans abri :

Ne l’abritent écorne ni aiguille ;

Ainsi que l’homme

Que n’aime personne :

Pourquoi vivrait-il si longtemps ?

Extrait de l’Hávamál, poème Norrois

La terre de glace

En l’an 860 après J.-C., en plein âge d’expansion viking, le navire de l’explorateur norvégien Naddoður se perd en mer en essayant de rejoindre les iles Féroé. Il dérive alors jusqu’à une terre encore inconnue, l’Islande. Se rapprochant des côtes, lui et son équipage n’aperçoivent devant eux guère davantage qu’une étendue infinie de neige et de glace. Parvenant à retourner en Norvège, Naddoður commence à propager la nouvelle de la découverte d’une terre loin au Nord et qui n’était jusqu’ici que rumeur et légendes datant de l’époque romaine. Il décide de nommer ce nouveau territoire le « Snæland », la terre de glace, plus tard traduit en « Islande ». À ce moment-là, personne ne pouvait se douter qu’à peine 100 ans plus tard, cette terre encore quasi vierge deviendra le berceau de « l’État libre d’Islande ». Une république indépendante aux caractéristiques uniques dans l’histoire, composées des hommes et femmes ayant fui la violence et la tyrannie de leur pays natal.

Les premiers colons

À peine la nouvelle de la découverte de l’Islande rependue que toute une série d’expéditions suivit celle de Naddoður. Tout d’abord celle du viking suédois Garðarr Svavarsson, qui fut le premier à conclure que l’Islande était bel et bien une ile, après en avoir fait le tour avec un bateau. Vient ensuite celle du Norvégien Ingólfur Arnarson, le premier à s’implémenter de manière permanente sur l’ile.

50 ans après la découverte de Naddoður, l’ile n’est encore peuplée que par quelques colons vikings ainsi qu’un groupe de prêtres irlandais. Si en hiver, l’Islande est un désert glacé, l’été laisse découvrir une nature habitable, propice à la chasse et à la pêche ainsi qu’à la cueillette. Mais le climat reste difficile même pour les plus aguerris, et l’Islande n’est de loin pas une destination de choix pour les colons scandinaves. Mais de grands changements dans la situation sur le continent viennent bouleverser l’existence de cette petite colonie.

L’exode vers l’Islande et la naissance de la république

Vers la fin du 9e siècle après J.-C., le Roi Harald – dit « à la belle chevelure » – unifie pour la première fois la Norvège sous une même autorité. Soucieux de protéger son pouvoir royal, Harald se lance dans une série de persécutions contre les populations qui refusent encore de lui jurer fidélité. Poussés à bout, une partie décide alors de s’exiler loin cette tyrannie, quitte à devoir subir les vents froids du Nord.

D’une centaine au départ, l’arrivée des exilés fait que la population de l’ile augmente rapidement. D’autant plus que d’autres arrivées de colons suivront au fil des années. Mais avec l’accroissement de la population, apparait aussi toute une série de problèmes. Notamment sur les questions de la répartition des terres, de la gestion de conflit entre familles ou encore d’appliquer la justice quand un crime est commis. Les Islandais comprennent rapidement qu’il faut donner à cette société naissante les moyens de s’organiser. L’Islande doit se constituer en État et se doter de lois. Mais se souvenant sans doute de leurs expériences norvégiennes, les colons décident que ce qu’on appellera plus tard, « l’État Libre d’Islande » ne se dotera ni de roi, ni d’aucune forme d’autorité centrale quelle qu’elle soit.

Au lieu de cela, les exilées décident de se baser sur l’ancienne pratique germanique des « þing ». Quand l’Europe du Nord était encore largement tribale, chaque village, clan ou tribu possédaient un þing qui désignait une assemblée où les conflits entre familles ou groupes pouvaient être résolus. C’est en voulant appliquer ce concept au territoire entier qu’est fondé en 930 « l’Alþingi », le plus ancien parlement du monde.

Le parlement Viking

L’Alþingi devient l’institution où des lois peuvent être votées, et la justice rendue. Désormais, les Islandais pourront y organiser leurs relations sociales et commerciales. Ce système de gouvernance était déjà assez unique en soi, mais les Islandais décidèrent de pousser l’expérience encore plus loin. En plus de l’absence d’autorité centrale, il fut décidé qu’il n’y aura pas non plus ni armée, ni impôt sous aucune forme. Telle une parfaite société anarchiste.

« Chez eux, il n’y a pas de roi, seulement la loi. »

Adam de Brême (1051/1085), Chroniqueur germanique

Le lieu historique où se déroulaient les séances du Parlement se trouvait sur la plaine de « Almannagjá», littéralement : « La faille de tous les hommes ». Le lieu n’a pas été choisi par hasard, car l’énorme faille qui traverse la plaine offre aux différents intervenants une très bonne acoustique, leur voix étant renvoyée à l’assemblée via les falaises derrière eux.

Le Þingvellir sur la plaine de l’Almannagjá, lieu des rassemblements de l’Alþingi

Le nouvel État s’organise donc autour de son assemblée et des « Goðar » qui la composent. Un Goði (singulier de Goðar) est un chef de clan et grand propriétaire terrien représentant l’une des quatre régions administratives de l’Islande. Chaque année, en juin, tous les goðar sont invités à l’Alþingi pour prendre part au « Vorþing », l’assemblée de printemps. Au nombre de 39, ils votent les lois, décident de nouvelles réglementations et nomment de nouveaux juges. Mais ces réunions parlementaires sont aussi l’occasion de grandes fêtes.

En effet, les deux semaines que composent le Vorþing sont aussi l’occasion de se retrouver et de célébrer. On y organise des joutes sportives, à cheval ou à pied, on conclut des mariages, des commerçants viennent y vendre de la bière et du vin, on se raconte des histoires et on échange des nouvelles. Le lien social est au moins aussi important que les textes de loi pour souder la population islandaise. Au total, plusieurs milliers de personnes viennent camper à l’Almannagjá. Tout ceci se déroule sous la présidences des Goðar qui forment désormais la base du pouvoir en Islande.

Les Goðar, les véritables maitres de l’Islande

Même si la fonction de Goðar n’est pas spécifique à l’Islande, leur fonctionnement au sein de la nouvelle république reste assez novateur. Tout d’abord, contrairement aux chefferies présentes sur le continent, ici l’autorité d’un Goði n’est pas limitée à une région géographique spécifique, mais plus simplement aux personnes qui ont librement choisi de lui prêter allégeance. L’homme libre rejoignant le clan d’un Goði est appelé un « Thingmenn » et, en échange d’un impôt, le Goði et ses Thingmenn se font un serment d’assistance mutuelle. Le chef promet protection et aide, et en échange, les Thingmenn lui apportent leur soutien lors du Vorþing.

En effet, tel un parti politique, le pouvoir et l’influence d’un Goði pendant les sessions de l’Alþingi sont largement déterminés par le nombre de Thingmenn qui aura accepté de l’y accompagner. Mais la spécificité islandaise ne s’arrête pas là. Car un homme peut librement choisir de quitter son Goði pour un autre du jour au lendemain, sans aucune contrepartie. Cela a comme effet d’empêcher un chef de trop accumuler et d’abuser de son pouvoir, car il peut théoriquement perdre tous ses Thingmenn pour un autre jugé plus équitable. De cette manière, la société islandaise et censée « s’autoréguler », garantissant la stabilité dans toute l’ile.

Un grain dans la machine

Bien que réputée être un embryon de démocratie parlementaire et de libertés individuelles, la réalité laisse dévoiler une part plus sombre du système islandais. Après l’euphorie des premiers jours, le pays sombrera lentement dans la corruption et les luttes de pouvoirs, avant de s’écrouler sous le poids de ses contradictions. Cela mènera à une période de l’histoire islandaise appelée « la longue nuit ».

Lors de la deuxième partie de cette saga, nous verrons comment le système s’est lentement délité de l’intérieur, jusqu’à permettre le retour de la domination norvégienne sur l’État libre d’Islande.

En attendant, je vous laisse avec un chant traditionnel islandais. Le chant raconte l’histoire d’un homme en route vers la plaine de l’Almannagjá. Sur le chemin, il s’imagine à la merci des dangers que cache l’ile. J’espère qu’elle vous accompagnera jusqu’à la semaine prochaine :

 

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Armin Azarmehr
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Sources images:

  • https://en.wikipedia.org/wiki/Old_Covenant_(Iceland)#/media/File:1630_IJsland_Blaeu_HR’.jpg
  • https://commons.wikimedia.org/wiki/File:LC_P8100301.jpg?uselang=fr