Toute réflexion en finance se concentre autour de la notion de classes d’actifs. L’argent liquide, des actions ou des biens immobiliers sont des classes d’actifs. Ces catégories constituent les véhicules au travers desquels nous allons investir et faire des échanges. Loin du monde de la finance conventionnelle se trouvent d’autres moyens d’échange, d’autres classes d’actifs plus inattendus. Ce sont les jeux de cartes à collectionner.
Les Jeux de cartes à collectionner (JCC) (Trading card games (TCG) ou Collectible card games (CCG) en anglais) désignent, comme leur nom l’indique, des cartes qui ont la particularité d’être des jeux mais aussi des objets d’échanges et de collection. Dans la suite de l’article, nous utiliserons l’anglicisme TCG qui est le terme le plus répandu.
Certains TCG sont très connus à travers le monde. Citons simplement le trio de tête des TCG jouissants de la plus grande popularité : Magic l’Assemblée, Pokémon et Yu-Gi-Oh! Toute personne de moins de 40 ans a déjà entendu parler d’un de ces jeux de cartes, voit à quoi ceux-ci ressemblent, où même y a déjà joué au moins une fois dans sa vie, souvent durant l’enfance. Mis à part ces trois mastodontes, il existe une multitude d’autres TCG qui tentent de se faire connaître. Nous pouvons citer Flesh and Blood ou Digimon, par exemple. Il y en a, en réalité, bien d’autres et chaque année de nouveaux projets voient le jour. Actuellement, la mode est à l’utilisation de financement participatif (kickstarter). Beaucoup d’entre eux meurent dans l’œuf ou ne survivent pas plus d’une année, d’autres restent très confidentiels et enfin une poignée arrive à se faire une place.
Nous estimons qu’en moyenne un TCG ne survit pas plus de trois ans. Dans cette optique, nous réalisons que le trio de tête cité plus haut avec leur popularité qui ne dément pas depuis plus de vingt ans font office de meilleurs exemples de TCG à succès.
Qu’est-ce qui fait d’un TCG un potentiel actif financier ?
Il existe plusieurs raisons. Parlons d’abord du système de rareté. Les cartes qui composent ces jeux sont imprimés de manière industrielle dans des usines d’impression. Nous pouvons apparenter une carte à un billet de banque. Certaines cartes ont plus de valeur que d’autre. Cela est dû au fait qu’il existe un système de rareté inhérent à tout TCG. Certaines cartes sont imprimées à des tirages très élevés, ce sont les cartes communes, puis viendront les peu communes, les rares puis les raretés ultimes que nous appellerons ultra rares, mythiques ou légendaires. Peu importe, chaque TCG a ses appellations propres pour se démarquer de la concurrence.
Le premier paramètre qui fait donc l’intérêt financier d’un TCG est le système de rareté et de distribution aléatoire. Effectivement, quand vous achetez et ouvrez un paquet de cartes scellé, appelé « booster », vous n’êtes jamais sûr des cartes exactes que vous allez obtenir. Vous pouvez tomber sur de faibles raretés comme vous pouvez tomber par moment sur des cartes beaucoup plus rares à obtenir et à la valeur financière non négligeable. Cela ressemble un peu à de la loterie, il est vrai, mais l’espérance de gain en ouvrant des paquets de cartes est beaucoup plus élevée qu’en grattant des billets de loterie car, si la distribution de carte d’un paquet scellé est « aléatoire », elle ne l’est pas totalement non plus mais nous rentrerions dans des subtilités inutiles qui alourdiraient le propos de cet article.
Tout l’intérêt est d’obtenir une carte dans son paquet qui ait plus de valeur que le paquet lui-même et ainsi un bénéfice en serait potentiellement retiré. Pour se faire une idée, un paquet vaut en moyenne 5 francs. Imaginez si dans ce paquet, contenant 12 cartes dont une majorité de communes, se trouve une carte dont la valeur cote à 15 francs, le gain potentiel est déjà présent. Si vous tombez sur une carte encore plus rare et dont la valeur sur les marchés s’élève à 100 francs ou plus, c’est encore mieux !
Si une commune ne vaut pas plus de quelques centimes et n’a donc pas d’intérêt financier, les cartes de rareté élevée peuvent facilement monter à quelques centaines de francs. Bien sûr, cela varie d’un TCG à un autre. Chaque TCG est un marché à lui tout seul mais chacun d’entre eux s’influencent et s’impactent mutuellement. Les TCG forment une seule classe d’actifs et donc la corrélation est forcément présente entre chacun de ces marchés.
Comme tout actif financier, la valeur est corrélée à la confiance et à l’intérêt que les acteurs économiques projettent sur ce bien. Quand il s’agit d’un bien de collection, comme une œuvre d’art, l’intérêt est avant tout affectif ou lié au prestige de l’auteur ou de la marque associée. Par exemple, la marque Pokémon fait vendre, c’est indéniable. Les cartes Pokémon bénéficient évidemment de cette image de marque. Forger une puissante image de marque autour de son jeu, notamment grâce à la multiplication de produits dérivés, est donc très important pour lui faire prendre de la valeur.
Il y aussi une notion de valeur d’utilité qui rentre en jeu, c’est le cas de le dire. Nous parlons bien de jeux de cartes. Des gens y jouent et participent à des tournois. Plus une carte est rare mais aussi forte dans le jeu, et donc plus elle est recherchée par les joueurs, plus son prix augmente.
Nous pouvons aborder un TCG selon trois profils de consommateurs : joueur, collectionneur, investisseur. Chacun d’entre eux consommeront un TCG de manière différente et impacteront la valeur des cartes à leur manière.
Nous avons parlé de l’enfance plus haut et effectivement le facteur générationnel joue un grand rôle dans cette discussion. Il y a 20 ans les TCG, et en particulier Pokémon et Yu-Gi-Oh!, captaient uniquement un public de jeunes enfants. Ces enfants sont maintenant devenus des adultes ayant un pouvoir d’achat, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ceci augmente virtuellement la valeur des cartes. De plus, le côté nostalgique fait que ces gens continuent encore aujourd’hui à être sensibles à ces licences. Il aura suffi de quelques youtubeurs pour relancer l’enthousiasme autour des cartes Pokémon en 2020. Une bulle financière, qui est redescendue depuis, s’est formée et un exemplaire du fameux dracaufeu 1ère édition (carte Pokémon la plus convoitée) a même été vendu pour 369’000 $ aux enchères fin 2020.
Cette folie spéculative a conduit à attirer de plus en plus de gens dans le marché des cartes Pokémon. Cela a été sans doute rendu possible par le phénomène psychologique de la peur de passer à côté d’une bonne opportunité. Constatant l’afflux de nouveaux consommateurs, la société productrice des cartes a décidé d’augmenter la cadence d’impression en vue de satisfaire la demande grandissante. Le résultat fût une baisse sensible de la qualité des cartes et une dégradation de l’image de marque du jeu de cartes Pokémon, qui a toujours été vu comme un produit de collectionneur avant tout.
Un plaisir d’esthète
Nous l’avons dit, le public est de plus en plus mature et aussi de plus en plus exigeant sur la qualité des produits. C’est ainsi que des entreprises spécialisées dans la gradation de cartes ont émergé. Les cartes en carton sont des objets hautement falsifiables et, de fait, il existe de nombreuses contrefaçons en circulation sur des sites de ventes de particulier à particulier comme Amazon ou Ebay. Il faut donc privilégier l’achat dans des magasins spécialisés ou entre amis. Très récemment, les autorités chinoises ont mis la main sur huit tonnes de fausses cartes Pokémon dans un aéroport, un record.
C’est notamment pour ces raisons que des entreprises de gradation sont apparues. L’idée consiste à envoyer ses cartes de valeurs à ces entreprises. Ces dernières vont évaluer l’authenticité de la carte et son état d’usure par tout un processus d’expertise, pour ensuite sceller la carte dans une fourre protectrice et lui attribuer une note sur 10. Des cartes ainsi authentifiées et obtenant une bonne note (9 ou 10) peuvent voir leur prix facilement multiplié par trois sur les marchés. Certaines de ses entreprises bénéficient d’un grand prestige.
Cette mode n’est pas nouvelle. Elle est apparue avec les cartes de collection de baseball aux États-Unis. Ces cartes, que l’on trouvait dans des paquets de cigarettes et représentant des célébrités du monde du baseball, existent depuis la seconde moitié du XIXème siècle. L’ancienneté de ces cartes nécessitait de pouvoir identifier la qualité et le degré d’usure de celle-ci au fil du temps. Les cartes les mieux conservées voient généralement leur prix exploser une fois graduées. Aujourd’hui, d’innombrables cartes issues de multiple TCG passent entre les mains de ces sociétés.
Pour conclure, n’oublions pas que la classe d’actifs des TCG, comme tout bien de collection, est hautement volatile et spéculative. Ces actifs ne constituent en aucune manière des biens fiables à long terme. Certes, nous avons déjà vu des cartes être vendues au prix d’une maison, mais cela n’est qu’un miroir aux alouettes. Les TCG sont avant tout des jeux et, si vous ne comptez pas vous en servir de cette manière, il vaut mieux passer son chemin. Néanmoins, si vous avez quelques économies dont vous ne savez trop quoi faire, il peut être intéressant d’investir dans une carte de valeur ou deux qui vous font plaisir. Celles-ci prendront peut-être un jour de la valeur au bénéfice d’une vague d’enthousiasme telle que l’a connue Pokémon en 2020. Vous l’aurez compris, il y a beaucoup d’incertitude. Il est évident qu’il y a des opportunités à saisir dans le microcosme des TCG mais, sauf si vous tenez un commerce de jeux de cartes, mieux vaut ne pas prendre tout cela avec trop de sérieux.
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