Le 3 mai dernier a eu lieu l’Assemblée générale de l’Association des Alumni HEC Lausanne, réunissant les membres de l’association. Elle a été suivie d’une conférence sur le thème de la géopolitique du gaz naturel animée par Monsieur Philippe Petitpierre. Cette 47ème édition de l’assemblée générale des Alumni HEC a permis aux membres de se retrouver après deux ans de Covid et de réunions exclusivement en ligne.
Conférence – Webinar : Géopolitique du gaz naturel. Quel avenir pour les approvisionnements européens ?
Monsieur Petitpierre, directeur de Holdigaz, a ensuite pris le relais pour nous parler de ce sujet très actuel qu’est la problématique des gaz naturels. Évidemment, aucune position n’a été prise quant à la situation russo-ukrainienne. L’idée ici était vraiment de nous ouvrir les yeux sur ce qu’est le gaz naturel, mais aussi sur son futur, notamment quant à ses aspects durables.
D’un point de vue historique pour commencer, le gaz naturel a été découvert il y a plusieurs milliers d’années. A l’époque, les Chinois l’utilisaient déjà pour s’éclairer et se chauffer. Il était récupéré en profondeur grâce à des mécanismes de tuyaux en bambou. En 1836, les Etats-Unis prennent de l’avance en découvrant des sources de gaz de schiste. En Suisse, Roger Bonvin est le premier à introduire le gaz naturel. Le conduit Transitgaz voit par la suite le jour. Ce gazoduc, qui connecte les marchés allemand, suisse et italien, possède une capacité de transport énergétique équivalent à la production de 25 centrales nucléaires.
D’où vient le gaz naturel ?
Le gaz naturel se trouve un peu partout. En Suisse, plus particulièrement à Villeneuve, du « tight gas » a été découvert, à plus de 4300 mètres de profondeur. De nombreuses manifestations et actions ont d’ailleurs été engagées pour en empêcher le forage.
Le forage est la technique utilisée pour prélever le gaz, il peut être terrestre ou maritime. L’idée est de prélever le gaz en profondeur. Il doit ensuite être stocké, déplacé, puis stocké à nouveau. Il est très important de faire preuve d’une grande vigilance quant à la gestion du gaz. En effet, une mauvaise maintenance par exemple pourrait avoir des conséquences dramatiques (explosions, etc.). Chez Holdigaz, la gestion des réseaux et de la maintenance a une importance capitale.
La problématique de la transition énergétique et des émissions de CO2
A cause de la combustion et des émissions de CO2, les gaziers sont souvent perçus comme les démons de la durabilité. On sait que l’objectif pour 2050 serait de complètement supprimer les émissions de CO2, soit une réduction de 100 %. Pour 2030, l’objectif est de réduire les émissions de 30 %. Cependant, c’est une problématique compliquée à traiter, il est difficile de ne plus émettre de CO2 dans l’air. Monsieur Petitpierre nous mentionne que s’il est compliqué de ne plus émettre de CO2, alors il faut trouver un mécanisme pour capter le CO2 aussitôt qu’il a été émis, en dégager les effets néfastes, puis le revaloriser. Ce projet est en développement avec l’EPFL.
Monsieur Petitpierre nous a mentionné aussi d’autres actions menées :
- L’achat d’éoliennes en mer du Nord, avec un fonctionnement différent de celui des éoliennes classiques.
- Novagaz, une chaudière révolutionnaire qui permettrait de consommer moins de gaz naturel, et donc d’émettre moins de CO2.
- Des investissements en Inde pour soutenir les paysans et leur permettre de se chauffer.
- Soft Car, une voiture qui fonctionnerait avec des bombonnes de gaz et avec un look de Smart,
- Etc.
Les réserves naturelles de gaz
Avec la fermeture des approvisionnements de gaz de la Pologne par la Russie, il est important de faire un état des lieux de la situation. A savoir, regarder notre dépendance, mais aussi, en contrepartie, ce qu’on peut faire en Europe pour compenser.
Dans la répartition des réserves de gaz naturel dans le monde, l’Europe est à la traîne. En haut du classement, la Russie bien sûr, suivie de très près par l’Iran et le Qatar. Il est important de savoir que l’Iran et le Qatar se fournissent au même endroit, c’est donc le plus rapide qui fait le plus d’affaires. Cependant, le Qatar dispose en moyenne de 25 % d’excédents en matière de gaz, le pays est donc un partenaire particulièrement important. A la suite du classement, on trouve les Etats-Unis. Monsieur Petitpierre nous remémore un souvenir d’il y a quatre ans, où les États- Unis construisaient leur premier train de liquéfaction pour pouvoir exporter en Europe. A l’époque, ils achetaient le gaz, aujourd’hui ils le vendent. Ces opérations et aménagements de plusieurs centaines de milliards de dollars ont été majoritairement financés par des privés et des caisses de pension.
L’enjeu de l’approvisionnement en Europe est d’une très haute importance, et avec la situation changeante en permanence à laquelle nous faisons face, il est très difficile de prévoir. Cependant, il est important de se rendre compte de la place centrale de l’Europe en matière de réseau de transport. En effet, cette dernière n’a pas de gaz, mais si la relation était saine et équitable avec la Russie par exemple, alors il n’aurait aucun problème.
La Suisse n’a pas de contact direct avec la Russie pour les approvisionnements de gaz, mais passe par l’Allemagne. Cependant, Monsieur Petitpierre nous mentionne que cette situation de blocage de la Russie ne pourra pas continuer, pour des questions économiques de leur part. En effet, en Europe, nous achetons le gaz bien plus cher que ne l’achète la Chine par exemple, et pour cette raison, la Russie devra, à terme, changer d’optique.
La conférence a ensuite pris fin. Pendant le verre de l’amitié qui a suivi, j’ai eu la chance de pouvoir poser quelques questions à Monsieur Petitpierre.
L’interview de monsieur Petitpierre
HEConomist : Merci beaucoup pour cette conférence, c’était très intéressant. J’avais de mon côté bien sûr quelques questions à vous poser sur la situation actuelle, même si vous avez mentionné ne pas vouloir y prendre position. Il est toujours facile de dire après que l’on aurait pu faire autrement mais selon vous, au vu de la dépendance énergétique subie de notre côté de l’Europe, est-ce que cette situation aurait pu être plus ou mieux anticipée ?
Monsieur Petitpierre : La situation n’aurait pas pu être prévue aussi violemment que ça, pour des raisons principalement financières. Poutine utilise l’argent de l’énergie, pas seulement du gaz, mais aussi du pétrole pour développer ses activités tierces, personnelles et d’Etat. On parle d’une fortune personnelle pour Poutine de 200 milliards de dollars. Il paye aussi son entourage, bien sûr. Il a cette habitude de rendre les gens toxicodépendants à leurs relations avec lui, et le seul moyen pour cela, c’est l’argent. Il n’y a qu’à voir comme il se comporte avec le peuple russe. Manifestement, Poutine a ici joué sur tous les tableaux, toutes les échelles. C’est pour cela qu’il est difficile de dire qu’on aurait pu prévoir. En plus de cela, il y aussi une question financière pour les autres Etats d’Europe. On aurait pu prévoir en faisant quoi ? En allant chercher du gaz ailleurs ? Cela aurait coûté très cher. En faisant de la recherche ? Pour du gaz profond ? Ça aurait coûté très cher aussi. Je crois que les décisions qui ont été prises ont été d’ordre d’efficacité économique avant toute chose. Si l’on avait dû prendre des décisions purement de sécurité, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Si l’on regarde les changements politiques dans les pays, prenons l’exemple de l’élection présidentielle en France récemment, ou des changements de gouvernements et de politiques dans d’autres pays européens, pensez-vous que les changements de points de vue peuvent être la cause d’un ralentissement des actions liées à l’énergie ?
J’ai assez bien suivi les discussions qui se sont passées en France. Il y a des sujets qui fâchent, et l’énergie en fait partie. C’est un sujet qui est traité avec le revers de la main. Emmanuel Macron notamment, pour qui les maîtres-mots étaient gaz renouvelable, écologie, transition énergétique. Il a dit que son quinquennat se ferait dans le cadre de la transition énergétique ou qu’il ne se ferait pas. Je ne pense pas qu’il se sente concerné en réalité. Parce que c’est en réalité quand les autres ont commencé à prendre des positions sur le domaine écologique et celui de la transition qu’il a décidé d’opter pour une position ferme, sans quoi il aurait perdu des électeurs. Il a davantage joué une carte d’opportunité de mon point de vue.
On en a parlé pendant la conférence, mais que pensez-vous de la pluie d’informations diffusées par les médias par rapport à l’énergie ? Vous qui avez une vraie connaissance de l’énergie, que pensez-vous du rôle des médias et de la qualité de l’information diffusée ?
Je ne peux pas en vouloir aux médias. Pour tenir une conférence comme j’ai donné ce soir, il faut être du métier. Un journaliste qui écrit pour un média, il a traité l’affaire du gaz ce soir, mais il peut traiter une affaire complètement différente le lendemain. On ne peut pas dire que le journaliste soit spécialiste. L’important est de sélectionner ces médias, et de mesurer l’information, de faire une différence entre le probable et l’improbable.
On a parlé de durabilité et d’objectifs définis pour 2030 et 2050 quant aux émissions de CO2 notamment. Finalement 2030 c’est demain, et 2050, après-demain. Pensez-vous que ces objectifs sont atteignables et seront atteints ?
30 % en 2030, si l’on m’avait posé la question, j’aurais dit non, vous rêvez et je le dis toujours. Ces objectifs, je les ai cités, car ils figurent dans les sites officiels des gaziers suisses. Un sujet que je n’ai pas traité parce qu’il fait sauter au plafond, c’est l’hydrogène. L’hydrogène n’est pas une énergie primaire, mais résulte d’une transformation, et donc d’une perte de rendement énergétique. Ils veulent le mélanger dans les réseaux de gaz de l’hydrogène avec du gaz naturel. Mais l’hydrogène a des capacités énergétiques biens moindres par rapport au gaz naturel. Il va falloir compenser. C’est perdant-perdant. Mais si vous prenez le site de l’Association Suisse de l’industrie du gaz, il faudrait selon eux de l’hydrogène, et l’objectif pour 2030 sera atteint. Quand j’étais encore vice-président de cette association, je leur ai demandé sur quoi ils se fondaient et je n’ai pas signé cet objectif, car on n’y arrivera pas. On va faire certainement une grande avancée, pas forcément selon le mode opératoire qu’ils ont prévu.
Malgré sa complexité, la durabilité est-elle un sujet central de préoccupation selon vous ?
Totalement. Chez Holdigaz, nous avons fait en tout à peu près un demi-milliard d’investissement dans ce domaine.
Puisque nos articles s’adressent principalement aux étudiants : l’énergie vous a-t-elle toujours intéressé, ou est-ce venu plus tard ?
J’étais dans une forme d’énergie qui était l’eau au départ, dans le traitement de l’eau plus précisément. J’ai toujours été intéressé par la gestion des flux. Quand je suis rentré dans l’énergie, il y avait une nécessité de développement et de disposer de l’énergie à des prix intéressants et dans des conditions intéressantes.
Pour terminer, vous avez effectué la majorité de votre parcours académique à l’EPFL. Conseilleriez-vous à un étudiant intéressé par l’énergie de suivre le même chemin ?
C’est difficile à dire, car j’ai eu la chance de jouer sur tellement de registres. Un de mes amis, Antoine, a eu le même parcours, avec d’autres étapes, mais nous avons fini au même endroit, et pourtant, il venait de HEC Lausanne. Alors évidemment, il a dû plus travailler sur certains domaines qu’il connaissait moins. Moi aussi, il y a certains domaines dans lesquels je n’étais pas du tout blindé, comme la gestion. Je m’en étais plaint d’ailleurs à l’EPFL à l’époque ! Mais c’est venu quelques années plus tard, et c’est un élément très important. Alors évidemment, Antoine et moi avons formé un super duo, sans dispute, en 37 ans d’association. C’est pour cela que je ne peux pas vous dire qu’en suivant mes traces, un étudiant aura le même parcours.
En effet, sans avoir rencontré ce merveilleux collègue, ou sans avoir eu ces expériences, je n’en serais pas là. J’ai eu la chance de pouvoir toucher un peu à tout. La curiosité est très importante. Quand j’ai créé le développement économique vaudois en 1991, nous n’étions pas du tout dans la logique de constitution d’un groupe avec des entreprises, et pour finir, nous avons créé 45’000 emplois en 20 ans sous ma direction, parce que je me suis passionné pour ce projet. Je ne peux que souhaiter à un jeune aujourd’hui d’avoir cette chance, mais tout le monde ne l’a pas. C’est une question d’opportunités.
Merci beaucoup pour vos réponses, et merci encore pour votre conférence !
Globalement, cette conférence était accessible sans connaissance de l’énergie, et permettait de comprendre davantage ce que sont le gaz et ses enjeux. Sujet d’autant plus intéressant dans la situation que nous vivons actuellement, mais aussi d’une tout autre portée quand il est expliqué par un tel expert dans le domaine. Merci encore aux Alumni HEC Lausanne pour cette soirée, et merci également à Monsieur Petitpierre pour cette conférence, ainsi que pour le temps accordé pour répondre à nos questions.
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