Affaire Carlsen – Niemann [Partie 1] : lorsque les soupçons de triche aux échecs se transforment en paranoïa généralisée

À la suite des récentes accusations de triche émises par le champion du monde en titre Magnus Carlsen, appuyées par un rapport de la plateforme Chess.com et relayées par le streamer d’échecs Hikaru Nakamura à l’encontre du jeune grand-maître américain Hans Moke Niemann, ce dernier a décidé de porter l’affaire en justice et exige 100 millions de dollars de dommages et intérêts. Retour sur ce qui constitue peut-être le plus grand « drama » de l’histoire des échecs.

Une partie d’échecs qui crée la polémique

Le 5 septembre 2022, après une partie riche en péripéties jouée lors de la 3e ronde de la Sinquefield Cup dans le Missouri, le public observe un Magnus Carlsen agacé, quitter l’échiquier en donnant la victoire par abandon à son adversaire du jour, le jeune grand-maître américain Hans Niemann. Si l’étoile montante américaine était jusqu’alors méconnu du grand public, sa victoire surprenante face au leader mondial norvégien, vainqueur des cinq derniers championnats du monde (en 2013, 2014, 2016, 2018 et 2021), ne tardera cependant pas à faire parler de lui, mais pour des raisons toutes autres de celles qu’il espérait.

Le soir-même, Carlsen bouleverse en effet la scène échiquéenne en annonçant son retrait de la Sinquefield Cup via Twitter « Je me suis retiré du tournoi. J’ai toujours aimé jouer au Saint-Louis Chess Club et j’espère être de retour dans le futur », avant d’ajouter à son message une courte vidéo lourde de sous-entendus et devenue célèbre, dans laquelle on entend l’entraîneur de football José Mourinho, dévoiler en conférence de presse, dans un tout autre contexte : « Je ne peux pas en dire plus. Sinon j’aurais de gros ennuis. »

Dès lors, les théories fusent de toute part pour tenter de comprendre le tweet énigmatique du numéro un mondial. La première personnalité échiquéenne influente à délivrer son interprétation des faits est le streamer au 1,44 million d’abonnés sur YouTube Hikaru Nakamura, qui avance, puis répète dans plusieurs de ses streams et vidéos que Carlsen, mécontent, aurait quitté le tournoi car il suspectait Niemann d’avoir triché face à lui. Une semaine plus tard, le champion du monde donne raison au streamer puisqu’il réaffronte le même adversaire dans le cadre du Champions Chess Tour, et boycotte la rencontre en abandonnant après seulement deux petits coups.

A mesure que la polémique prend de l’ampleur sur les réseaux – au point de largement dépasser la sphère échiquéenne – Magnus Carlsen se voit obligé de clarifier ses propos dans un communiqué Twitter. Il y partage sa frustration de ne pas pouvoir jouer, mais regrette que les organisateurs de tournois ne prennent pas assez de mesures pour lutter contre la triche aux échecs, qu’il décrit comme « une menace existentielle pour le jeu ». Sans apporter aucune preuve concrète contre Hans Niemann, Carlsen réaffirme ses suspicions de triche envers lui ; il le suspecte notamment d’avoir « triché plus – et plus récemment – qu’il ne l’a admis publiquement », et de l’avoir battu sans donner l’impression d’avoir été pleinement investi dans les positions critiques de la partie – ce qui semble signifier qu’une aide extérieure lui aurait permis de l’emporter. Le champion norvégien conclut en prétendant détenir davantage d’informations, qu’il ne peut diffuser sans l’accord de Niemann, comme pour rajouter une couche de mystère.

Les théories les plus folles ne tardent pas à circuler sur ce que les médias du monde entier appellent désormais « l’affaire Carlsen-Niemann » ou « la plus grande polémique de l’histoire des échecs ». Ainsi apparait une hypothèse surprenante qui prétend que le grand-maître de 19 ans aurait triché à l’aide… d’un plug anal. Il faudrait ainsi imaginer un complice, suivant la partie de Niemann depuis chez lui, et utilisant un logiciel qui calcule les meilleurs coups, transmettre à son homologue américain les coups à jouer en temps réel à l’aide de séries de vibrations courtes et longues, sur le même principe que le code Morse. Les organisateurs des tournois semblent prendre cette théorie très au sérieux puisque désormais, le fessier de Hans Niemann fait l’objet systématique d’un contrôle approfondi à l’entrée des salles de jeu. Une décision que l’Américain prend avec le sourire : « S’ils veulent me mettre tout nu, je le ferai, je m’en fiche, parce que je sais que je suis réglo ».

Face aux multiples accusations et propos dénigrants – notamment sur les réseaux sociaux – que subit Niemann depuis septembre, le GM américain décide de contrattaquer ce jeudi 20 octobre. Il dépose à ce jour une plainte de 44 pages contre le super GM Magnus Carlsen et le streamer Hikaru Nakamura pour diffamation et calomnie, ainsi que contre la plateforme d’échecs en ligne et leader du marché Chess.com (fusionnée depuis peu avec le groupe « Play Magnus » créé par Carlsen lui-même) et son PDG Daniel Rensch pour l’avoir banni injustement du site et de plusieurs tournois, juste après la 3e ronde de la Sinquefield Cup. Il réclamerait ainsi, semble-t-il, au moins 100 millions de dollars de dommages et intérêts à ses défendeurs.

Hans Niemann, « l’adolescent le plus irrespectueux » des échecs que tout porte à accuser

Si Hans Niemann est jugé coupable à l’issue de cette polémique, il n’en sera certainement pas à son premier cas de triche. Comme le rapporte un rapport interne de 72 pages du Wall Street Journal publié le 4 octobre 2022 et supervisé par la plateforme Chess.com, Niemann aurait probablement triché lors de plus de 100 parties en ligne par le passé, dont certaines dans le cadre de tournois avec des prix en jeu. Le rapport souligne également la progression « statistiquement extraordinaire » de l’homme pouvant être considéré sur la base de celle-ci comme « le meilleur joueur d’échecs classique de l’histoire moderne, celui qui a progressé le plus rapidement », ce qui ne manque pas d’attirer les soupçons. Le rapport indique même que l’adolescent de l’époque aurait, en privé, avoué certains de ses cas de triche sur internet, des révélations lui valant la suspension de son compte pour non-respect de la politique de fair-play et son bannissement de plusieurs tournois en ligne.

Le 21 septembre, Carlsen en rajoute une couche lorsqu’il déclare publiquement, non sans ironie : « Je dois dire que je suis très impressionné par le jeu de Niemann et je pense que son mentor Maxim Dlugly a dû faire un excellent travail ». Grand maître américain à la tête de la Chess Max Academy depuis une dizaine d’années, Maxim Dlugly a en effet entraîné le tout jeune Hans Niemann de 11 ans pendant 3 ou 4 mois en 2014, avant de se faire bannir de Chess.com trois ans plus tard suite à la publication d’un rapport de triche mettant en cause l’un de ses étudiants. Dlugly dénonce les « accusations complètement absurdes et calomnieuses » de Carlsen à son égard, arguant qu’il n’a plus jamais préparé Niemann depuis 2014, et rejette la tentative malhonnête du champion du monde de prouver sa « culpabilité par association » qui consiste à dire que « si Hans a un mentor qui est un tricheur, par définition, Hans doit être un tricheur ».

L’article de la semaine prochaine s’attachera à analyser l’affaire sous un tout autre angle ; il mettra en lumière les motivations sous-jacentes de Carlsen dans cette bataille juridico-médiatique, qu’il espère bien emporter grâce à son influence dans le milieu des échecs et à l’aide de ses puissants soutiens.

Martin Vasseur
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